
Le média qui analyse et présages des mutations de la fabrique de la ville.
L'origine de cette forme d’action directe non-violente, sinon de cette éco-tactique, remonte aux années 1970. A New York, parallèlement à l’émergence des jardins communautaires dont elle est un des fers de lance, l’artiste Liz Christy inaugure alors la « Green Guerilla » à coup de « seed bombs » (bombes de graines) lancées dans les béances de la ville. Dès les prémices du mouvement, l'ambition est bel et bien de revégétaliser les délaissés urbains de façon à redonner de la vie à un quartier déshérité. Depuis, le mouvement s'est amplifié et des actions de Guerilla gardening ont été rapportées un peu partout dans le monde, surtout à partir des années 2000.
Les raisons de pratiquer cet activisme vert sont multiples, comme le souligne Richard Reynolds, l’un de ses chefs de file, dans l’ouvrage La guérilla jardinière : on plante pour reconquérir la ville, favoriser les échanges et les rencontres, se nourrir, sinon par idéalisme... Dès les premières pages du livre de Richard Reynolds, le ton est donné : « La guérilla jardinière est une lutte pour les ressources, une bataille contre la rareté de la terre, la destruction de l'environnement et le gaspillage des opportunités. C'est aussi un combat pour la liberté d'expression et la cohésion sociale » (p 15). Un discours qui rappelle la dimension engagée d'un mouvement aux multiples visages, et dont la relation avec les autorités est teintée d’ambivalence (voir interview).
« C'est une action douce de protestation, explique Reynolds. L'implication et la motivation doivent précéder les autorisations qui peuvent venir après, une fois que les pouvoirs publics peuvent constater les résultats obtenus ». De fait, lorsqu’il s’agit de refleurir la ville, c’est l’approche pragmatique qui prime, avec en arrière-plan ce mot d’ordre : Do-it-yourself ! Proche des valeurs autonomes revendiquées par le DIY, la Guerilla gardening récuse aussi toute forme d’organisation hiérarchique et se déploie plutôt comme un collectif informel et à géométrie variable. Pourtant, qu’ils soient indépendants, isolés ou particulièrement investis dans la communauté, ses différents groupes se structurent progressivement. Depuis 2007, un congrès international des guerilla gardeners est même organisé chaque 1er mai, journée durant laquelle sont plantés des tournesols.
Parallèlement à la structuration du mouvement, ses manières de faire et de penser la ville essaiment un peu partout comme de la mauvaise herbe. Prenez les « bombes de graines », ces boules fabriquées par les green guerilleros à partir d’argile, de compost et de graines de fleurs horticoles ou indigènes. Voici que de jeunes designers commencent à réfléchir à des objets qui en sont directement inspirés. Ainsi, à l'occasion du concours de l’innovation au salon Jardin jardins (27-29 mai) sur les nouveaux usages du végétal en ville, le lauréat du concours Gauthier Leleu (étudiant BTS design produit à ESAAT de Roubaix) a proposé un kit de trois objets destiné à s'initier à la guérilla jardinière. L’intérêt qu’a suscité son travail confirme le côté résolument « tendance » de la Guerilla gardening. Il suggère aussi que cette forme d’activisme vert est un bon point de départ pour qui veut repenser la place du végétal en milieu…
Richard Reynolds – « La guérilla jardinière », éditions Yves Michel, Paris, 2010
C'est notamment le cas des villas concept qui viennent de présenter à la presse leur vitrine, le bateau Ivre. Le point sur les forces et les faiblesses de ce projet.
Imaginée par l’architecte Jacques Patingre pour un couple avec trois enfants, le « Bateau Ivre » propose des performances énergétiques de 38 KW/h/m² an, soit moins que les exigences de la future RT 2012 (50 KW/h/m²). Construite dans le Vaucluse (84), c’est le premier bâtiment à bénéficier d’un cahier des charges “Villasconcept.com”, nouvelle marque de maison « contemporaine à hautes performances énergétiques » lancée par le constructeur Villas La Provençale. Une réalisation qui a reçu pas moins de six récompenses.
Ses principales caractéristiques ? Des panneaux solaires (en prévision) qui devraient assurer 80% de la consommation d'eau chaude sanitaire, une isolation thermique performante, un système de récupération des eaux de pluie et une volonté d'offrir de grands volumes, le tout dans une architecture contemporaine. « Il s'agit d'une alternative à la maison traditionnelle, dans les mêmes fourchettes de prix », explique Jacques Patingre, architecte du projet et directeur associé de Villasconcept.com. Le constructeur propose ainsi plusieurs gammes de maisons « allant de 150.000 à 250.000 euros pour un maximum de 2400euros du m² ». Le coût de la maison le Bateau Ivre se chiffre ainsi à environ 500.000 euros. Tout de même.
Outre son coût assez prohibitif, cette réalisation n'est pas transposable sur tout le territoire. « On construit environ 250 maisons par an dans le Sud-Est de la France et on souhaiterait que cette gamme représente de 20 à 30% de notre offre», précise Jacques Patingre. De sorte que la possibilité de dupliquer ce modèle de maisons est finalement assez faible : « Nous ne pourrions pas proposer exactement la même chose dans le Nord de la France, ajoute-t-il. C'est un modèle qui convient dans une zone climatique favorable où l'ensoleillement est important et les températures douces. »
De plus, il s'agit d'un projet de maison individuelle située dans un quartier pavillonnaire très peu équipé en transports en commun... ce qui implique forcément des déplacements en voiture et donc une mobilité à forte consommation de CO2. A l’heure où la préservation de l’environnement concourt à l’essor des maisons basse consommation, on est en droit de se demander dans quelle mesure la question de l'habitat durable ne se situe pas a minima à l'échelle du quartier ?
En septembre 2011, la génération 93 pourra choisir le premier cursus post bac intégrant la notion de développement durable dans son programme. Baptisé STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), ce bac technologique qui viendra remplacer la filière STI, aura quatre nouvelles matières à son programme : Système d’information et numérique (SIN), Energie et environnement (EE), Architecture et construction (AC) et Innovation technologique et éco-conception (ITEC). Cette filière, si elle ne donne aucun savoir-faire professionnel, permettra à ceux qui l’intègrent d’envisager un large éventail de formations jusqu’au niveau bac + 5, masters universitaires et diplômes d’ingénieur.
L'enjeu : sensibiliser certains élèves aux problématiques environnementales. Mais l’ensemble de cette génération de bacheliers aura-t-elle profité dans ses années de maternelle, d’école primaire, de collège et de lycée d’une éducation à l’environnement ? Pas vraiment car les réformes en la matière ont tardé à se mettre en place. Ainsi, si le ministère de l'Environnement propose dès le début des années 90 l'opération "Mille défis pour ma planète" aux enseignants, il s’agit d’une opération unique sur l’année et qui n’est pas imposée dans les programmes de l’Education nationale. A l’échelle locale, un projet de préservation de la nature est choisi par les enfants pendant les heures de cours et régulé ensuite par des adultes, qui se réunissent hors temps scolaire.
Dans les textes, une circulaire de 1977 définit pour la première fois les contenus et les méthodes de l’éducation à l’environnement. La dimension donnée est essentiellement écologique au sens scientifique du terme. Mais les aspects économiques ne sont pas absents. La notion de développement durable apparaît en filigrane. Concrètement, il faut attendre 2004 et une nouvelle circulaire qui remplace celle de 1977 et fait apparaître clairement la notion de développement durable. Elle préconise que "l’Éducation à l’Environnement pour un Développement Durable (EEDD) doit être une composante importante de la formation initiale des élèves, dès leur plus jeune âge et tout au long de leur scolarité, pour leur permettre d’acquérir des connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de manière responsable. " Cette première phase définissait les conditions de généralisation de l’EDDD.
En 2007, un nouveau plan triennal (2007-2010) en faveur de l’éducation à l’environnement pour un développement durable (EDD) est annoncé. Cette deuxième phase vise trois objectifs : "inclure l’éducation au développement durable dans les programmes de toutes les disciplines à l’école, au collège et au lycée, multiplier les établissements en démarche de développement durable (EDDD) et former les professeurs à cet enseignement, quelle que soit leur discipline."
Si ces dispositions sont désormais obligatoires, le caractère interdisciplinaire de l’EDD rend difficile son application. Car l’EDD n’existe non pas sous forme d'une nouvelle discipline mais dans le cadre des disciplines existantes, à l’image de la biodiversité, enseignée en fil rouge tout au long du parcours scolaire. Difficilement contrôlable, l’enseignement du développement durable dans l’éducation est donc avant tout une question de volonté de la part des enseignants et de la direction des écoles. Certains cas prouvent pourtant qu’il est possible de placer l’EDD au cœur du programme éducatif. L’école du Colibri dans la Drôme s’applique ainsi à mettre en relation "les enfants avec le monde du vivant pour l’apprentissage d’un mode de vie respectueux aussi bien de la planète que des humains qui y séjournent, pour l’acquisition d’une responsabilité écologique et relationnelle." En Ardèche, "l'école de La Ferme des Enfants prend sa place au sein d'un écovillage à vocation pédagogique et intergénérationnelle : le Hameau des Buis." Enfin, si d’autres écoles ne jouissent pas d’un cadre naturel propice à cet apprentissage écologique, cela n’empêche pas certaines de valoriser la notion de développement durable dans leur programme à l’image de l’école Living School de Paris.
Sans aller aussi loin, des programmes ponctuels sont proposés aux écoles et aux enseignants. Plus faciles à mettre en place, ces derniers ont le mérite de faire plancher les élèves sur des situations concrètes. C’est par exemple le cas des Jeunes reporters pour l’Environnement (JRE). Ce programme d’éducation à l’environnement est destiné aux jeunes de 11 à 20 ans. Encadrés par leurs enseignants, les élèves mènent des enquêtes journalistiques sur des thématiques d’environnement local et communiquent leurs conclusions au grand public sur différents supports (écrit, audio, exposition, photo, vidéo, site internet…).
L’Eco-Ecole est quant à lui "un label décerné aux écoles élémentaires et secondaires qui s’engagent vers un fonctionnement éco-responsable et intègrent l’EDD dans les enseignements." Ici, les élèves, les enseignants, la direction et le personnel travaillent en partenariat avec les élus locaux, les associations locales et les parents d’élèves. Ensemble, ces partenaires locaux évaluent la situation environnementale de l’école lors d’un diagnostic relatif à l’eau, l’énergie, les déchets et l'alimentation. Au sein du comité de suivi, force d’impulsion du projet, ils définissent des actions pour améliorer la situation de départ puis ils évaluent la portée de ces actions.
Autre exemple avec le Stockholm junior water prize qui est un concours scientifique international pour les jeunes. Il vise à récompenser les initiatives d’amélioration de la qualité et de la gestion de l'eau ainsi que la protection des ressources en eau.
Enfin, les établissements d’enseignement peuvent aussi se lancer dans des actions éducatives d'impulsion ministérielle comme les classes de découverte ou les ateliers scientifiques et techniques. Certaines actions proposées aux écoles, collèges ou lycées sont également menées conjointement par le ministère de l'Éducation nationale et différents partenaires à l’image de celle de l’année dernière baptisée "L'eau, une ressource vitale". Un kit d'exposition et des documents pédagogiques sont fournis aux classes participantes.
Mais là encore, les textes indiquent que "les enseignants ont la possibilité de monter des projets". Aucune obligation n’est mentionnée, et il en va donc avant tout de la bonne volonté des enseignants et directeurs d’école. Charge à eux de former la génération verte de demain.
Lors d’un voyage d’étude dans le Vorarlberg, j’ai eu la chance de visiter un immeuble passif parmi les plus performants au monde. Pourtant, le bâtiment, qui avait été conçu pour fonctionner avec très peu d’énergie (moins de 15 kwh/m²/an), révélait des consommations supérieures aux estimations initiales des bureaux d’études… Comment expliquer cet écart ?
Certainement pas par d’éventuelles erreurs de conception : Hermann Kaufmann, l’architecte du bâtiment, est parmi les meilleurs que je connaisse. La cause du phénomène est plutôt à chercher dans les comportements des habitants. Bien qu’informés sur les caractéristiques de leur logement (étanchéité à l’air, ventilation double-flux…), certains d’entre eux continuaient à ouvrir les fenêtres pour aérer et à laisser leurs appareils électriques allumés en permanence…Pour éviter cet écueil et faire en sorte que les usages d’un bâtiment n’en grèvent pas les performances, on a alors pensé qu’il suffisait d’informer l’usager. On s’est mis à lui distribuer des guides et des livrets d’accueil. Sans grands résultats : si elle est une condition nécessaire pour changer les comportements, l’information n’est pas suffisante. Elle peut même s’avérer contre-productive, et induire ce qu’on appelle un effet rebond : conscient des bénéfices écologiques d’un bien ou d’un service, son usager relâche alors sa vigilance, et se laisse aller à des comportements peu économes…Pour vous donner un second exemple de ce que je viens d’avancer, je citerai l’étude menée en 2009 par Ethicity et l’ADEME sur la consommation durable. On y apprend par exemple que si ¾ des Français pensent que le développement durable est une nécessité, seuls 20% d’entre eux sont des « consom’acteurs » (ie : qui choisissent les produits en fonction de critères éthiques). Bref, alors qu’une immense majorité marque son adhésion aux valeurs portées par le développement durable (surtout compris comme synonyme de « protection de l’environnement », à l’exclusion de ses volets social et économique), seule une frange marginale de la population traduit ces valeurs en actes.
Des deux exemples qui précèdent, il faut conclure ceci : nos raisons d’agir et de consommer sont multiples, et ne se fondent pas (ou pas uniquement) sur la rationalité. D’autres facteurs entre en jeu et peuvent freiner le passage à l’acte alors même qu’on est convaincu de la nécessité d’agir. Olivier Oullier, conseiller scientifique au Centre d’analyses stratégiques, énumérait quelques-uns de ces freins le mercredi 9 mars lors d’un colloque intitulé « Incitations comportementales et environnement », auquel j’ai assisté avec intérêt. Voici les principaux :
Dès lors, quels leviers actionner pour généraliser les « éco-gestes » et faire évoluer les pratiques ? En France, les politiques publiques privilégient deux approches :
Entre contrainte et taxation, le monde anglo-saxon explore depuis quelques années une « troisième voie » : les incitations comportementales ou « nudges » (traduisez par : « coup de pouce »). Comme l’expliquent Olivier Oullier et Sarah Sauneron, cette stratégie formalisée par Cass Sunstein et Richard Thaler dans l’ouvrage du même nom consiste à « conduire l’individu à faire des choix qui aillent dans le sens de l’intérêt général, sans être pour autant prescriptive ou culpabilisante. » Cette politique de « paternalisme libertaire » hérite des sciences comportementales et met en œuvre des dispositifs d’information et de communication simples, positifs et présentés (à tort ou à raison) comme peu coûteux pour implémenter le changement.En voici quelques exemples :
Evidemment, les nudges ne sont pas une panacée et présentent un certain nombre de limites, parmi lesquelles l’existence d’effets pervers induits par la comparaison et l’invitation à se conformer aux normes sociales. Pourtant, leur expérimentation a le mérite d’apporter un complément aux instruments traditionnels des politiques en matière d’environnement. Si l’on veut rendre le changement désirable, on a en effet tout intérêt à le mettre en œuvre sans contrainte. D’où l’intérêt des nudges, qui insistent sur les effets positifs des comportements vertueux plutôt que sur l’effort à entreprendre pour mettre en œuvre une société plus durable…
Le blog de R. Thaler et C. Sunstein : http://nudges.wordpress.com/
Un article très complet sur les nudges dans la vie des idées.
"Tu peux les toucher, mais c’est à tes risques et périls, car ils peuvent pincer très fort…" Jean-Pierre met en garde le visiteur qui a pour la première fois l’opportunité d’approcher un manchot. Volontaire au centre SANCCOB (Southern African Foundation for the Conservation of Coastal Birds) du Cap, ce français à la retraite travaille depuis six semaines sous les toits en tôle qui abritent une cinquantaine de manchots en ce début février.
Le travail est harassant, les journées sont longues, et la chaleur vient vous rappeler chaque jour que l’hémisphère sud est bien en plein été. "J’ai perdu trois kilos depuis que je suis ici. Le travail est très physique. Personnellement, je suis chargé de nettoyer les bassins et de laver les serviettes et outils qui servent à nourrir les manchots. Mais on oublie toutes ces journées épuisantes en quelques instants lors du « release »". Le lâchage des manchots est en effet un moment clé de la vie du centre. Deux semaines auparavant, les sept volontaires et les cinq salariés de SANCCOB étaient mobilisés en plus de quelques bénévoles venus pour l’occasion afin de relâcher une cinquantaine de manchots. Le retour à la nature s’effectue toujours en groupe, le manchot vivant uniquement dans des colonies de plusieurs centaines d’individus. En l’occurrence, c’est la colonie de Stony Point, à une centaine de kilomètres du Cap qui est choisie la plupart du temps par le centre.
Composée d’une centaine de couples, cette colonie est la seule avec celle de Boulders Beach (la plus importante d’Afrique avec 3000 spécimens) à accueillir des manchots sur le continent. Les autres vivent sur 24 îles (comme la colonie présente sur Robben Island), au large des côtes entre le nord de la Namibie et Port Elisabeth, au sud-est de l’Afrique du Sud. "Stony Point et Boulders Beach sont deux colonies très importantes dans la survie de l’espèce, car elles étaient menacées d’extinction à la fin des années 80", explique Vanessa Strauss, la Directrice du centre.
Plusieurs autres colonies installées sur le continent n’ont d’ailleurs pas résisté à l’envahissement urbain, en particulier sur les côtes sud-africaines qui abritent parmi les plus belles plages du monde. Des centres comme celui de SANCCOB sont aujourd’hui dotés d’un financement plus important car ils s’occupent de la seule espèce de manchots du continent africain (sur 18 espèces recensées dans le monde). Si l’apparence physique de ce manchot du Cap rappelle celle des pingouins, les deux compères n'appartiennent pas à la même famille. Le pingouin est un oiseau de la famille des alcidés et mesure 40 centimètres de haut alors que le manchot du Cap est de la famille des sphéniscidés et mesure 70 centimètres. Ces derniers ont également été rebaptisés Pingouins jackass par les habitants de la cité mère d’Afrique du Sud. Le cri de ces manchots rappelle en effet celui de l’âne.
Difficile pourtant de se croire dans une étable remplie de bourriquets ce jour-là. La cinquantaine de manchots encore présents dans le centre barbotent gentiment dans les bassins ou se promènent sur les rochers artificiels. "On a clairement ralenti la cadence de travail depuis le dernier relâchement, explique Jean-Pierre. Cette année, on a dû attendre fin janvier pour les remettre dans la nature car un virus avait été détecté dans le centre. On a même dû amener une poule autour des bassins pour être certain que le virus ne pouvait pas muter sur d’autres espèces animales. Il fallait éviter tous risques de transmission avant le relâchement."
La plupart du temps, les manchots ont besoin d’une semaine pour être à nouveau acceptés par leur colonie. Pourtant, il arrive parfois que le centre ait recours à d’autres stratégies de relâchement en cas d’urgence. Ainsi, le 23 juin 2000, le pétrolier Treasure coulait au large de la ville du Cap, déversant 400 tonnes de pétrole sur les îles de Robben et Dassen. Les autorités sud-africaines décidèrent de lancer le plus important sauvetage d’animaux sauvages au monde afin d’évacuer les milliers de locataires de ces îles. Une opération essentielle car la péninsule du Cap abrite 50 000 manchots jackass tandis que la population totale de cette espèce est estimée à 180 000. Le centre a ainsi lancé un appel public pour mobiliser des volontaires et transporter ces 50 000 manchots à 800 km de leur île souillée par le pétrole. Plus de 1000 volontaires ont répondu à l’appel et ont permis d’acheminer les manchots. Ces derniers ont ensuite regagné leur milieu initial en une quinzaine de jours, permettant à l’armée et à la police, réquisitionnées pour l’occasion, de nettoyer les bords de mer. "C’était une opération exceptionnelle qui a coûté 10 millions de rands au gouvernement (1 millions d’euros), détaille Vanessa Strauss. Mais elle aura permis de préserver intactes ces colonies sur le continent."
Au-delà des marées noires, le manchot du Cap a longtemps été menacé par l’homme qui récupérait ses œufs et utilisait le guano (essentiel pour les manchots dans la localisation de leurs sites habituels de nidification) comme fertilisant. Ces pratiques sont désormais interdites. Aujourd’hui, la menace principale vient de la surpêche et de la raréfaction de la nourriture qui en découle pour les manchots. Se nourrissant principalement de petits poissons (sardines, anchois…) et calmars, les manchots doivent désormais parcourir de plus grandes distances pour parvenir à leurs fins. Sous-alimentés, certains se retrouvent au centre pour quelques semaines. "Chaque manchot reçoit entre six et huit poissons par jour, raconte Jean-Pierre. Nous utilisons principalement du poisson congelé. Nous les nourrissons un par un. En général, ils s’habituent très rapidement au nourrissage par l’homme. Nous devons juste apprendre aux jeunes manchots à avaler les poissons en entier."
"Le centre a contribué à quintupler la population de manchots de Robben Island"
Si les manchots sont tous numérotés, les employés et volontaires du centre s’attachent forcément plus facilement à ceux qui se trouvent dans les homes pain. Dans ces cases sont logés les manchots qui ne seront jamais relâchés car trop malades. La vingtaine d’animaux présents ce jour-là ne semblent en effet pas dans la meilleure forme. "Contrairement aux autres, nous les connaissons par leur prénom", précise Jean-Pierre. Il faut plus de moyens pour s’occuper de ces manchots, c’est pourquoi le centre propose au public de les parrainer. Ainsi, pour 500 rands (50 euros), il est possible "d’adopter" un manchot. Le centre se charge ensuite d’informer le parrain de l’évolution de ce dernier. Depuis 1968 et l’ouverture du centre, 86 000 manchots ont ainsi été soignés et remis en liberté.
Un travail d’autant plus important que l’espèce a drastiquement diminué au cours du XXème siècle. La population totale de manchots d’Afrique est ainsi passée de 1,5 million en 1910 à 180 000 aujourd’hui. Le manchot d’Afrique est aujourd’hui inscrit dans la catégorie B2 de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA). Cette catégorie regroupe les populations vulnérables de plus de 100 000 individus dont l’aire de répartition est restreinte et dont la population décline.
Mais si les manchots restent encore menacés, le travail effectué par le centre a contribué à la sauvegarde de l’espèce dans la péninsule du Cap. "Pendant les quarante dernières années, le centre SANCCOB a permis de multiplier par trois la population de manchots à Stony Point et de quintupler celle de Robben Island", explique Vanessa Strauss. Depuis quelques années, les manchots ont également dû faire de la place pour de nouveaux pensionnaires. A quelques mètres des bassins, un pélican observe paisiblement les volontaires s’activer. Un problème de plume l’a amené jusqu’ici. Un peu plus loin, deux cormorans ont également été pris en charge par le centre. "Nous sommes un centre pour les oiseaux de mer, précise Vanessa Strauss. Nous accueillons régulièrement d’autres espèces, mais il est évident que 90% de notre travail est concentré sur les manchots." Dans quelques jours, le centre accueillera une dizaine de nouveaux pensionnaires blancs et noirs. Et Jean-Pierre et les volontaires remettront comme chaque jour leurs cirés pour participer à la survie des manchots du Cap.
Ils se promènent avec nonchalance dans la banlieue du Cap, trainant derrière eux des cadis chargés de détritus. En pleine période de vacances d’été, sous un soleil de plomb qui fait régulièrement passer le thermomètre au dessus des 40 degrés, les collecteurs des déchets métalliques du Cap continuent leurs inlassables rondes dans les townships et quartiers pauvres de la ville. Alors que toute la cité-mère d'Afrique du Sud est dans l’effervescence du Minstrel Carnival également appelé "Coon Carnival" en africans ("carnaval noir" qui a lieu chaque année du 28 décembre au 2 janvier), ces derniers n’ont pas vraiment le même enthousiasme. En passant de maison en maison, ils espèrent simplement récupérer quelques déchets métalliques. Des débris oubliés derrières les conteneurs maritimes dans lesquels habitent de nombreuses familles. Ils iront également frapper à la porte des petites maisons en briques rouge, là ou vivent les familles plus aisées des townships.
Après avoir repéré la marchandise, il leur faut négocier avec les propriétaires. Si certains n’hésitent pas à offrir gracieusement ces encombrants déchets, il faudra la plupart du temps engager une âpre discussion sur le prix. Mais le tarif est dérisoire et le kilo de fer s’emporte souvent sous les 5 rands (cinquante centimes d’euros). Ces collecteurs de métaux lourds choisissent chaque jour un nouveau quartier. Ils connaissent parfaitement la banlieue du Cap et tissent au fils des années un réseau de points de collecte chez les habitants des immenses townships du sud de la ville. Mais si l’activité est rentable et permet à un collecteur de manger à sa fin chaque jour, elle est usante physiquement et reste très souvent réservée aux hommes de moins de 30 ans. La journée terminée, ils doivent se rendre dans un des centres de collecte de la ville. Les métaux sont alors convoyés au Waterfront, près du port du Cap pour être ensuite recyclés dans d’autres villes d’Afrique du Sud. Le pays possède en effet les infrastructures suffisantes et assez de centres de recyclage pour traiter lui-même ses déchets métalliques et favoriser ainsi une réexploitation locale. L’Afrique du Sud est d’ailleurs un maillon essentiel dans la chaîne de recyclage de ces déchets sur le continent africain. Des milliers de tonnes de déchets métalliques et informatiques y sont ainsi acheminés chaque année.
Reste que ces collecteurs informels de déchets métalliques symbolisent également l’absence de politique de recyclage des déchets (autres que métallique et informatique) en Afrique du Sud. Car si les métaux sont la plupart du temps laissés à l’abandon dans la périphérie de la ville, le traitement des déchets plastiques, du verre, du papier et du carton pose également problème à plus ou moins grande échelle.
Le verre est recyclable à l’infini après broyage et refonte du calcin (verre brisé). Mais il a fallu pourtant attendre juillet 2006 pour voir enfin la création d’un organisme public de gestion du verre en Afrique du Sud. The Glass Recycling compagny a été crée après un Memoranding of Understanding (MOU). Selon son Directeur Brian Rodger, « 204 000 tonnes de déchets ont été collecté par The Glass Recycling compagny en 2008, soit une augmentation de 38 % en deux ans. Et nous avons engagés plus de 202 partenariats avec des entreprises ». Reste que l’Afrique du Sud ne recycle aujourd’hui que 24 % de son verre quand la plupart des pays européens en recyclent entre 75 % et 80 %. En cause, le faible nombre de conteneurs à verre. Ainsi, il n’existe que 1 800 glass drop-off points in South Africa. L’objectif est d’attendre en 2012 un taux de 50 % de verre recyclé en Afrique du Sud.
Si l’Afrique du Sud doit rattraper son retard en matière de recyclage du verre, elle a en revanche mis en place depuis 1993 un organisme de collecte des boites de conserves et canettes. Ces dernières sont ainsi composées principalement d’aluminium et d’acier. Deux matériaux 100 % recyclables. Collect-a-can a ainsi pour objectif de «promouvoir le recyclage des canettes usages et d’organiser leur collecte ». Grâce à de nombreux partenariats avec des industriels et un système de collecte efficace (en particulier dans les écoles), Collect-a-can a permis à l’Afrique du Sud de faire passer son taux de recyclages des boites de conserves et des cannettes de 25 % en 1993 à 69 % en 2009. Un chiffre qui n’a rien à envier à ceux obtenus par les pays occidentaux.
L’Afrique du Sud a également fait des efforts ces dernières années pour promouvoir l’utilisation du papier recyclé par les industriels via son organisme PRASA (Paper Recycling Association of South Africa). PRASA regroupe une dizaine d’industriels de la filière papier. Ces derniers ont doublé l’utilisation du papier recyclé dans leur production entre 1990 et 2003 passant ainsi de 80 millions de tonnes à 187 millions. Selon les derniers chiffres fourni par PRASA, « 43 % du papier produit en Afrique du Sud était issu du papier recyclé en 2009, soit un million de tonne de papier recyclé sur l’année ». Des chiffres assez proches des standards européens (par exemple, 58% des fibres de la pâte à papier sont issues du recyclage en France).
Enfin, le recyclage du plastique n’en est encore qu’à ses prémices. L’Afrique du Sud possède une seule usine de recyclage des plastiques alimentaires à Johannesburg. Si celle-ci s’est vue attribuer un financement de plusieurs millions de rands pour développer le recyclage des plastiques PET (PolyEthylène Téréphtalate), le pays est encore loin de produire uniquement des plastiques recyclés. Le ratio n’est aujourd’hui que de 50 % quand le Royaume-Uni n’utilise actuellement que des plastiques PET recyclés.
Reste que si les politiques publiques et certains industriels visent à encourager et à promouvoir la filière recyclage via la création de ces organismes, le peuple sud-africain peine encore à adopter des habitudes responsables vis-à-vis de l’environnement. Ainsi, dans la plupart des foyers du pays, une seule et même poubelle sert pour tous les types de déchets. Le tri n’est pas une priorité et le constat est identique dans les lieux publics. Les centres-villes sont propres, mais il n’en va pas de même dans les banlieues et en particulier dans les townships ou les déchets sont omniprésents. Ils jonchent les rues et les caniveaux mais il est évident que la problématique environnementale n’est pas ici une priorité.
Si le tri des déchets n’est pas encore rentré dans les mœurs des sud-africains, la problématique des déchets se situe également à une autre échelle plus large. Ainsi, au niveau international, l’Afrique du Sud, comme de nombreux pays du continent africain a du faire face dans les années 80 à l’arrivée massive de déchets. C’est en effet à partir de cette période que les normes environnementales se sont considérablement renforcées dans les pays occidentaux, entrainant un développement du trafic de déchets vers l’Afrique. Mais plusieurs scandales (dont celui du Zanoobia, un bateau chargé de déchets toxiques italiens qui se verra fermer les portes d’entrée de tous les ports d’Afrique et qui sera finalement contraint de retourner à son point de départ en 1988) entraineront la signature d’accords internationaux réglementant voir interdisant les transits vers les pays du sud à l’image de la Convention de Bâle - adoptée le 22 Mars 1989 – qui encadre et limite les mouvements transfrontaliers de déchets toxiques, afin de protéger les pays émergents. Le trafic s’est alors redirigé vers les pays d’Europe de l’est. Mais les industriels des principaux pays pollueurs ont également rapidement compris que le marché du traitement des déchets était prometteur et qu’il nécessitait de toute façon des infrastructures et des technologies difficiles à financer dans les pays pauvres.
Pourtant, certains déchets sont aujourd’hui encore considérés comme trop peu rentables à recycler et à traiter par les pays occidentaux. D’autres sont également jugés très dangereux. Les déchets électroniques (ordinateurs portables, téléphones…) sont représentatifs de cette problématique. Leur volume augmente de façon exponentielle, leur durée d’utilisation diminue constamment et plusieurs composants utilisés dans leur fabrication sont toxiques (cadmium, plomb, mercure). Résultat : la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud se sont spécialisés dans le démantèlement et le recyclage de ces déchets. Mais les normes environnementales dans ces pays sont bien souvent très éloignées des standards européens. Difficilement mesurables, les conséquences sont pourtant bien réelles sur l’air, les sols et les nappes phréatiques proches de ces centres de démantèlement et de recyclage. Des répercussions environnementales qui passent bien souvent au second plan au regard du business généré par le traitement des déchets.