Le recyclage des déchets en Afrique du sud : une problématique locale, des enjeux internationaux

écrit par
Nicolas Buchoud
2011-01-21

Alors que la quantité de déchets dans les pays occidentaux a doublé en quarante ans, l’Afrique est également confrontée aujourd’hui au même problème. En Afrique du Sud, l’accroissement démographique et le développement de la société de consommation ont multiplié la quantité de ces déchets. Mais les politiques de gestions de déchets efficaces tardent à être mises en place.

Ils se promènent avec nonchalance dans la banlieue du Cap, trainant derrière eux des cadis chargés de détritus. En pleine période de vacances d’été, sous un soleil de plomb qui fait régulièrement passer le thermomètre au dessus des 40 degrés, les collecteurs des déchets métalliques du Cap continuent leurs inlassables rondes dans les townships et quartiers pauvres de la ville. Alors que toute la cité-mère d'Afrique du Sud est dans l’effervescence du Minstrel Carnival également appelé "Coon Carnival" en africans ("carnaval noir" qui a lieu chaque année du 28 décembre au 2 janvier), ces derniers n’ont pas vraiment le même enthousiasme. En passant de maison en maison, ils espèrent simplement récupérer quelques déchets métalliques. Des débris oubliés derrières les conteneurs maritimes dans lesquels habitent de nombreuses familles. Ils iront également frapper à la porte des petites maisons en briques rouge, là ou vivent les familles plus aisées des townships.

Après avoir repéré la marchandise, il leur faut négocier avec les propriétaires. Si certains n’hésitent pas à offrir gracieusement ces encombrants déchets, il faudra la plupart du temps engager une âpre discussion sur le prix. Mais le tarif est dérisoire et le kilo de fer s’emporte souvent sous les 5 rands (cinquante centimes d’euros). Ces collecteurs de métaux lourds choisissent chaque jour un nouveau quartier. Ils connaissent parfaitement la banlieue du Cap et tissent au fils des années un réseau de points de collecte chez les habitants des immenses townships du sud de la ville. Mais si l’activité est rentable et permet à un collecteur de manger à sa fin chaque jour, elle est usante physiquement et reste très souvent réservée aux hommes de moins de 30 ans. La journée terminée, ils doivent se rendre dans un des centres de collecte de la ville. Les métaux sont alors convoyés au Waterfront, près du port du Cap pour être ensuite recyclés dans d’autres villes d’Afrique du Sud. Le pays possède en effet les infrastructures suffisantes et assez de centres de recyclage pour traiter lui-même ses déchets métalliques et favoriser ainsi une réexploitation locale. L’Afrique du Sud est d’ailleurs un maillon essentiel dans la chaîne de recyclage de ces déchets sur le continent africain. Des milliers de tonnes de déchets métalliques et informatiques y sont ainsi acheminés chaque année.

Reste que ces collecteurs informels de déchets métalliques symbolisent également l’absence de politique de recyclage des déchets (autres que métallique et informatique) en Afrique du Sud. Car si les métaux sont la plupart du temps laissés à l’abandon dans la périphérie de la ville, le traitement des déchets plastiques, du verre, du papier et du carton pose également problème à plus ou moins grande échelle.

Une prise de conscience souvent tardive

Le verre est recyclable à l’infini après broyage et refonte du calcin (verre brisé). Mais il a fallu pourtant attendre juillet 2006 pour voir enfin la création d’un organisme public de gestion du verre en Afrique du Sud. The Glass Recycling compagny a été crée après un Memoranding of Understanding (MOU). Selon son Directeur Brian Rodger, « 204 000 tonnes de déchets ont été collecté par The Glass Recycling compagny en 2008, soit une augmentation de 38 % en deux ans. Et nous avons engagés plus de 202 partenariats avec des entreprises ». Reste que l’Afrique du Sud ne recycle aujourd’hui que 24 % de son verre quand la plupart des pays européens en recyclent entre 75 % et 80 %. En cause, le faible nombre de conteneurs à verre. Ainsi, il n’existe que 1 800 glass drop-off points in South Africa. L’objectif est d’attendre en 2012 un taux de 50 % de verre recyclé en Afrique du Sud.

Si l’Afrique du Sud doit rattraper son retard en matière de recyclage du verre, elle a en revanche mis en place depuis 1993 un organisme de collecte des boites de conserves et canettes. Ces dernières sont ainsi composées principalement d’aluminium et d’acier. Deux matériaux 100 % recyclables. Collect-a-can a ainsi pour objectif de «promouvoir le recyclage des canettes usages et d’organiser leur collecte ». Grâce à de nombreux partenariats avec des industriels et un système de collecte efficace (en particulier dans les écoles), Collect-a-can a permis à l’Afrique du Sud de faire passer son taux de recyclages des boites de conserves et des cannettes de 25 % en 1993 à 69 % en 2009. Un chiffre qui n’a rien à envier à ceux obtenus par les pays occidentaux.  

43 % du papier produit en Afrique du Sud est issu du papier recyclé

L’Afrique du Sud a également fait des efforts ces dernières années pour promouvoir l’utilisation du papier recyclé par les industriels via son organisme PRASA (Paper Recycling Association of South Africa). PRASA regroupe une dizaine d’industriels de la filière papier. Ces derniers ont doublé l’utilisation du papier recyclé dans leur production entre 1990 et 2003 passant ainsi de 80 millions de tonnes à 187 millions. Selon les derniers chiffres fourni par PRASA, « 43 % du papier produit en Afrique du Sud était issu du papier recyclé en 2009, soit un million de tonne de papier recyclé sur l’année ». Des chiffres assez proches des standards européens (par exemple, 58% des fibres de la pâte à papier sont issues du recyclage en France).

Enfin, le recyclage du plastique n’en est encore qu’à ses prémices. L’Afrique du Sud possède une seule usine de recyclage des plastiques alimentaires à Johannesburg. Si celle-ci s’est vue attribuer un financement de plusieurs millions de rands pour développer le recyclage des plastiques PET (PolyEthylène Téréphtalate), le pays est encore loin de produire uniquement des plastiques recyclés. Le ratio n’est aujourd’hui que de 50 % quand le Royaume-Uni n’utilise actuellement que des plastiques PET recyclés.

Reste que si les politiques publiques et certains industriels visent à encourager et à promouvoir la filière recyclage via la création de ces organismes, le peuple sud-africain peine encore à adopter des habitudes responsables vis-à-vis de l’environnement. Ainsi, dans la plupart des foyers du pays, une seule et même poubelle sert pour tous les types de déchets. Le tri n’est pas une priorité et le constat est identique dans les lieux publics. Les centres-villes sont propres, mais il n’en va pas de même dans les banlieues et en particulier dans les townships ou les déchets sont omniprésents. Ils jonchent les rues et les caniveaux mais il est évident que la problématique environnementale n’est pas ici une priorité.

Une problématique internationale

Si le tri des déchets n’est pas encore rentré dans les mœurs des sud-africains, la problématique des déchets se situe également à une autre échelle plus large. Ainsi, au niveau international, l’Afrique du Sud, comme de nombreux pays du continent africain a du faire face dans les années 80 à l’arrivée massive de déchets. C’est en effet à partir de cette période que les normes environnementales se sont considérablement renforcées dans les pays occidentaux, entrainant un développement du trafic de déchets vers l’Afrique. Mais plusieurs scandales (dont celui du Zanoobia, un bateau chargé de déchets toxiques italiens qui se verra fermer les portes d’entrée de tous les ports d’Afrique et qui sera finalement contraint de retourner à son point de départ en 1988) entraineront la signature d’accords internationaux réglementant voir interdisant les transits vers les pays du sud à l’image de la Convention de Bâle - adoptée le 22 Mars 1989 – qui encadre et limite les mouvements transfrontaliers de déchets toxiques, afin de protéger les pays émergents. Le trafic s’est alors redirigé vers les pays d’Europe de l’est. Mais les industriels des principaux pays pollueurs ont également rapidement compris que le marché du traitement des déchets était prometteur et qu’il nécessitait de toute façon des infrastructures et des technologies difficiles à financer dans les pays pauvres.

Pourtant, certains déchets sont aujourd’hui encore considérés comme trop peu rentables à recycler et à traiter par les pays occidentaux. D’autres sont également jugés très dangereux. Les déchets électroniques (ordinateurs portables, téléphones…) sont représentatifs de cette problématique. Leur volume augmente de façon exponentielle, leur durée d’utilisation diminue constamment et plusieurs composants utilisés dans leur fabrication sont toxiques (cadmium, plomb, mercure). Résultat : la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud se sont spécialisés dans le démantèlement et le recyclage de ces déchets. Mais les normes environnementales dans ces pays sont bien souvent très éloignées des standards européens. Difficilement mesurables, les conséquences sont pourtant bien réelles sur l’air, les sols et les nappes phréatiques proches de ces centres de démantèlement et de recyclage. Des répercussions environnementales qui passent bien souvent au second plan au regard du business généré par le traitement des déchets.

Nicolas Buchoud

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Le recyclage, une solution trompeuse ?

Avec Recyclage, le grand enfumage, publié aux éditions rue de l’échiquier, Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste France, signe un ouvrage à charge contre une économie contre-productive et mensongère. Une alerte salutaire.

Par un hasard du calendrier, les dernières relectures de Recyclage, le grand enfumage, paru en juin 2020 aux éditions rue de l’Echiquier, ont coïncidé avec l’épidémie de COVID-19. Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste et autrice de l’ouvrage, souligne d’ailleurs dès l’avant-propos combien l’événement vient conforter le contenu du livre. « Cette crise marque le retour en force du jetable, y affirme-elle. L’industrie du plastique, notamment, y a vu l’occasion de battre en brèche quelques avancées de ces dernières années contre les objets et emballages unique. » Sous couvert d’hygiène et de sécurité sanitaire (arguments brandis de longue date par le lobby du plastique), la société du jetable vient de remporter une nouvelle manche. Les avancées en matière de lutte contre les pollutions plastiques étaient pourtant modestes. Le pacte national sur les emballages plastiques signé en février 2019 par le gouvernement, en accord avec 13 géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution, était insuffisant. Pour une raison simple : il n’est pas contraignant. Derrière, un volontarisme de façade, la « fin du gaspillage » ne signe pas pour l’Etat la fin du jetable. L’enjeu est de recycler 60% seulement du plastique d’ici 2022. On n’envisage jamais la réduction des déchets à la source. Dans l’esprit de nos dirigeants, l’économie circulaire reste indissociable du jetable. Dans Recylage, le grand enfumage, Flore Berlingen explique pourquoi.

Le tout jetable et ses conséquences

Le livre s’ouvre sur un état des lieux du « tout jetable », dont l’avènement coïncide avec les débuts de l’ère du plastique en 1950. Depuis, l’ascension a été fulgurante : d’un million de tonnes annuelles à l’époque, on est passé à 359 millions en 2018. La mise en place du tri et du recyclage dans les années 1990 n’a pas entâmé cette progression, et le moins que l’on puisse dire est que le bilan est mitigé. Certes le volume de déchets recyclés a progressé, mais leur production a crû dans le même temps. Pour les emballages, la collecte stagne autour de 65%. Encore ce taux est-il faussé par le fait qu’on y inclut le verre, qui est à la fois plus lourd et moindre en termes d’unités.Conséquence : le nombre de décharges a été multiplié par 5, souvent dans des pays d’Asie où nous exportons nos déchets. Les coûts de collecte et de traitement des déchets, à la charge des collectivités, ont explosé. « La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! », pointe Flore Berlingen. Or, le principe du pollueur-payeur reste peu appliqué : si des filières dites de « responsabilité élargie du producteur » (REP) sont mises en oeuvre dans les années 1990, pour que les entreprises qui commercialisent des emballages jetables contribuent au financement du recyclage, « la contribution des entreprises à ce coût, via les filières REP, s’élève à 1,2 milliards d’euros, explique Flore Berligen. Autrement dit, comme de nombreuses autres « externalités environnementales » des activités économiques, le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble. » En l’occurrence, c’est aux EPCI de gérer les déchets, et in fine aux particuliers.

« La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! » Flore Berlingen

Une communication trompeuse

Cet état de fait contraste avec une communication très optimiste des producteurs d’emballages, jamais à court d’arguments pour vanter la mise sur le marché de produits « recyclables ». Or, « recyclable » ne veut pas dire « recyclé » : il faut pour cela une filière de recyclage opérationnelle, chose difficile à mettre en oeuvre alors que les producteurs ne cessent d’innover en matières de matériaux… recyclables. Le logo « Point vert » est à cet égard trompeur : « trop souvent interprété comme attestant le caractère recyclable ou recyclé de l’emballage, (...) il indique simplement que le metteur sur le marché s’est bien acquitté de sa contribution obligatoire », explique l’autrice. Dans Recyclage, le grand enfumage, celle-ci multiplie les exemples de communication ambiguë, quand elle ne tourne pas franchement à la célébration des producteurs d’emballages jetables. Un écueil lié selon elle à la gouvernance des filières REP : « une fois agréés par L’Etat pour plusieurs années, les éco-organismes rendent des comptes à leurs adhérents avant tout, explique-t-elle. Leurs organes de pilotage en témoignent : Citéo compte parmi ces administrateurs les représentants de Lactalis, Coca-Cola, Nestlé, Evian, Auchan, Carrefour… Ces producteurs et distributeurs n’ont aucun intérêt à ce que le public prenne conscience de la non-recyclabilité d’une grande partie des emballages. » A ces conflits d’intérêt s’ajoutent diverses actions de lobbying auprès des parlementaires. Citéo a ainsi participé à une campagne en faveur du plastique à usage unique - le comble pour un « éco-organisme » que l’Etat français charge de promouvoir le tri et la prévention des déchets. Le même éco-organisme n’hésite pas non plus à faire peser la responsabilité de la gestion des déchets sur les consommateurs, qui sont pourtant en bout de chaîne. Il n’est d’ailleurs pas le seul à faire valoir un tel argument. Flore Berlingen rappelle à ce titre que les première campagnes portant sur les pollutions plastiques dans la nature ont été créées et financées par les producteurs de l’agro-alimentaire : « Elles apparaissent bien avant l’arrivée du tri pour signifier que le pollueur n’est pas l’entreprise qui inonde le marché de ses emballages à usage unique sans se préoccuper de leur devenir, mais l’individu qui les jette n’importe où », pointe-elle. A partir des années 1990, l’émergence de filières de tri est venue compléter cet argument d’un « nos déchets ne sont plus des déchets mais des ressources en devenir ». Une façon de rassurer les consommateurs qui seraient tentés de se détourner des emballages plastiques.

« L'extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage. » Flore Berlingen

Le mythe de l’économie circulaire

Dans le second chapitre de l’ouvrage, Flore Berlingen tire de cet état de fait une conclusion implacable : l’économie circulaire est un mythe et une forme de green washing. Celle-ci s’affronte en effet à trois grandes limites. « La première est la dispersion des ressources, qui rend difficile, sinon irréalisable, le recyclage de certains produits, écrit l’autrice. La deuxième tient à la difficulté, voire l’impossibilité, de se débarrasser, au cours du processus de recyclage, d’additifs contenus initialement dans les produits ou d’impuretés liées à leur utilisation. Enfin, l’imperfection des processus de recyclage suscite des pertes et rend nécessaire le recours à des matières premières vierges. » Difficile à mettre en oeuvre du fait des alliages de matériaux et de l’entropie propre à toute transformation, le recyclage est très loin dans les faits de conduire à une économie de ressources. Les chiffres avancés par Flore Berlingen le démontrent : entre 2005 et 2015, la production mondiale annuelle de plastique a augmenté de 45%. Cette hausse concerne toutes les ressources, dont la consommation a triplé depuis les années 1970. En somme, « l’extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage ». Il faut dire que certains secteurs d’activité, dont l’agro-alimentaire, sont particulièrement dépendants du plastique à usage unique, du fait de leur logistique mondialisée et de l’allongement des circuits de production et de distribution. Calqué sur le modèle de l’économie linéaire, l’économie circulaire ne peut fonctionner, puisqu’elle dépend de la première et son impératif de croissance. Pour être efficientes, les filières de recyclage ont besoin d’importants volumes de déchets. Bel exemple de cercle vicieux.

Une seule solution : sortir du tout jetable

Dès lors, que faire ? Pour Flore Berlingen, la solution, exposée dans le dernier chapitre, est claire : il faut sortir de l’ère du jetable. Les leviers pour ce faire sont multiples. L’auteure balaie d’emblée le boycott individuel, aux effets trop limités. C’est sur le plan des politiques publiques, pointe-elle, qu’il faut agir. Il faudrait d’abord introduire des quotas de réemploi obligatoires et progressifs, qui permettraient une transition vers des emballages lavables et réutilisables standardisés. Il convient aussi selon elle d’allonger la durée de vie des biens dits « durables », et de mettre fin à l’obsolescence programmée. Renforcer le système des bonus-malus pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques dans ce sens, comme le prévoit la loi de 2020 sur l’économie circulaire. Il convient aussi de mieux piloter et contrôler les éco-organismes, aujourd’hui aux mains des producteurs. En la matière, un changement de cap s’impose : c’est bien à la prévention des déchets qu’il faut donner la priorité, plus qu’à leur recyclage. Or, actuellement, c’est à ce dernier que vont l’essentiel des financements publics nationaux. « Sur les 135 millions d’euros attribués en 2018 par l’Ademe dans le cadre du volet économie circulaire du programme d’investissements d’avenir, moins de 1% semble avoir été consacré à des initiatives de réduction des déchets », pointe Flore Berlingen. Il faut dire que les appels à projets sont calibrés pour les grands groupes industriels, pas pour les initiatives plus modestes visant à développer les circuits courts, la consigne ou le compostage. Concernant le recyclage lui-même, il conviendrait selon l’auteure de cesser la course à l’innovation, qui conduit à mettre sur le marché toujours plus de matériaux. Il faut aussi changer la manière de communiquer sur le recyclage, qui encourage actuellement la surconsommation (on a tendance à « gaspiller » les ressources si l’on croit qu’elles peuvent être recyclées). Enfin, l’immense problème posé par les déchets plastiques plaide pour une toute autre approche de la consommation. « Pendant plusieurs années, j’ai tenté, comme d’autres, de faire passer ce message : ne misons pas tout sur le recyclage, il est indispensable mais ne suffira pas, explique Flore Berlingen. Aujourd’hui, j’en viens à penser que cette mise en garde pèche par sa faiblesse. Dans la course au recyclage, la question de l’utilité sociale des objets produits n’est plus mise en balance avec leur impact social et environnemental. On en vient à chercher des moyens de recycler ce qui ne devrait même pas exister en premier lieu. » En somme, il en va des déchets comme de l’énergie : les meilleurs sont ceux qu’on ne produit pas.

En savoir plus :

Flore Berlingen : Recyclage, le grand enfumage - comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable, éditions Rue de l’Echiquier, juin 2020, 128 pages, 13 euros

2020-09-23
Prats, un village des Pyrénées bientôt autonome en énergie

La petite commune de 1000 habitants de Prats-de-Mollo-La Preste située dans les montagnes des Pyrénées Orientales s’est donné 5 ans pour devenir autonome en énergie (2021). Mode d'emploi.

Ce n’est pas un élan écologique qui a fait germer ce projet mais une augmentation drastique et régulière du prix de l’électricité et de son transport, qui alourdissait régulièrement la facture énergétique des Pratsois.Pour mener à bien ce projet, une Société d’Economie Mixte (Prats’Enr) a été créée avec trois collèges d’actionnaires : la mairie (60%), la régie d’électricité locale (20%) et une SCIC d’un collectif d’habitants (20 %) dénommée Ecocit (Energie-COllectif-CIToyen).

Le mix énergétique pratsois

La commune ne partait pas de zéro. Elle avait déjà une Régie électrique et une usine hydraulique sur la rivière du Tech produisant 35 % de sa consommation électrique. Pour atteindre l'autonomie énergétique, la SEM a tout d’abord remis en service l’ancienne installation hydraulique. Inutilisée depuis 20 ans, celle-ci alimentait un établissement thermal installé sur la commune. Des microturbines ont été posées sur les canalisations d’eau potable venant de la montagne. Des panneaux photovoltaïques sont en cours d’installation sur des toitures agricoles (bergeries, étables ou granges) et industrielles. Une installation de microméthanisation alimentée par les effluents des agriculteurs du bassin complétera le panel de production.En parallèle une régie de données est en cours de création pour piloter au mieux les infrastructures de production et de distribution d’électricité de la commune. Elle permettra aussi de sensibiliser et informer les Pratsois sur leur consommation d’énergie, en vertu du postulat selon lequel la meilleure énergie renouvelable est celle qu’on ne consomme pas. La gouvernance du projet et de ces données est un chantier important pour le succès de l’opération dans un contexte de défiance à l’égard des compteurs intelligents Linky.

L'implication des habitants, facteur de réussite

La concertation et la sensibilisation ont démarré et les citoyens sont réceptifs et impliqués. Aujourd’hui 8 % des habitants (soit 80 personnes) ont adhéré au collectif citoyen, soit un taux de participation très élevé pour ce type de projets. Plus de la moitié (50) sont présents aux réunions d’information.Le projet bénéficie d’un programme de recherche action baptisé DAISEE qui a pour objectifs de développer de nouveaux liens entre consommateurs et producteurs d’énergie, de publier des connaissances ouvertes sur les questions complexes de la transition énergétique et de créer et expérimenter des solutions face aux nombreux défis à relever sur le plan technique et organisationnel.Pour sensibiliser les habitants aux pics de dépassement de production, il est par exemple envisagé d’installer dans chaque foyer une lampe qui sera verte en cas de production suffisante et rouge en cas de dépassement. Issue d’un retour d’expérience au Danemark, l'idée sera d’autant plus pertinente que le village compte de nombreux retraités n’ayant pas toujours de smartphone ni d’ordinateur susceptibles de les informer. Bref, les Pratsois ne manquent pas d’énergie pour faire aboutir ce projet !

2019-04-08
Transition écologique : quelles pistes ?

Lors de son allocution télévisée du lundi 10 décembre, Emmanuel Macron a annoncé pour début 2019 « un débat sans précédent pour prendre le pouls vivant du pays ». En prélude à ce moment de réflexion dont les modalités restent floues, midionze avance quelques premières pistes en faveur d’une transition écologique juste et ambitieuse. Compte tenu de l’actualité, la rédaction examinera plus en détail chacune de ces pistes dans les semaines qui viennent.

Pris avec le mouvement des gilets jaunes dans une crise politique majeure, le gouvernement a choisi le recul sur la taxe carbone : après avoir d’abord annoncé un moratoire pour 6 mois, Edouard Philippe s’est dit prêt le mercredi 5 décembre à geler toute hausse de la taxe sur les carburants. Celle-ci ne figurera donc pas au projet de loi de finance 2019. Faut-il voir dans la décision de Matignon un renoncement à toute ambition en matière de transition énergétique ?Lors du discours qu’il a prononcé le 27 novembre dernier devant le Haut conseil pour l’action climatique, fraichement créé pour aborder ces questions, Emmanuel Macron avait pourtant fixé le cap : « nous devons sortir de ce qu'on appelle les énergies fossiles. En 30 ans, c'est-à-dire en une génération, nous devons passer d'une France où 75 % de l'énergie consommée est d'origine fossile, c'est-à-dire le charbon, le fuel, le gaz naturel, à une France où, en 2050, la production et la consommation d'énergie seront totalement décarbonées. »Atteindre un tel objectif suppose d’agir, et vite. Comment mettre en œuvre une stratégie globale et un plan d’action écologiquement ambitieux, justes socialement, et aptes à être mis en œuvre rapidement ? Pour le gouvernement, le « débat national » annoncé lors de l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron doit constituer un premier pas. Si ses modalités et son calendrier restent flous, ses thématiques ont d’ores et déjà été fixées lors du conseil des ministres du 12 décembre. La « transition écologique » y figure en haut de la liste (« comment se loger, comment se déplacer, comment se chauffer »), suivie par la fiscalité, la démocratie et la citoyenneté, l’organisation de l’Etat et des services publics, mais aussi l’immigration, une "invitée surprise" qui pourrait bien constituer un point de divergence majeur au sein des gilets jaunes. En prélude à la consultation, voici quelques pistes de réflexion sur le thème de la transition écologique.

La taxe carbone, oui mais…

Comme l’expliquait récemment un article de Mediapart, la taxe carbone est un levier essentiel de la lutte contre le changement climatique. Fréquemment citée en exemple, la politique mise en œuvre par la Suède a dans ce domaine porté ses fruits : dès 1991, le pays a mis en place une taxe sur les émissions de CO2, et allégé en contrepartie les charges pesant sur le travail et les entreprises. Seules en étaient exemptées les entreprises soumises au marché européen des doits d’émission, pour des raisons de concurrence. Depuis le mois de janvier 2018, elles participent cependant à l’effort commun. En 2003, la Suède met également en place un système de certificats verts pour promouvoir la production d’électricité à partir de ressources renouvelables. Ces mesures ont permis au pays de transformer en profondeur son mix énergétique, et de favoriser le développement de l’éolien et de la biomasse. Résultat : même si la consommation d’énergie par habitant se situe dans la moyenne de l’Europe occidentale, le pays affiche la plus faible empreinte carbone de la zone. Selon un rapport de l'IFRI rédigé par Michel Cruciani, ce bilan positif tient à deux facteurs. D’abord à la capacité collective du pays à prendre un virage rapide pour décarboner l’économie et les modes de vie. Ensuite à la place qu’il accorde à la recherche et l’innovation. « L’intégration accrue du marché nordique dans un grand marché européen risque d’éroder ses avantages compétitifs », nuance toutefois le rapport.La réplication d’un tel modèle en France s’affronte à une question, qu’on pourrait résumer ainsi : comment favoriser l’acceptabilité d’une taxe carbone, ce qui suppose son équité, sans grever la compétitivité des entreprises ? En la matière, le gouvernement a tranché dans un premier temps en faveur de la compétitivité, d’où une série d’exonérations – sur le transport routier, sur l’aviation ou la pêche. Ce choix explique largement le mouvement des gilets jaunes : exprimant une demande très majoritaire en France de justice fiscale, ce dernier exige l’équité devant la transition écologique, et exige que son financement pèse d’abord sur les plus gros pollueurs. A ce titre, le débat national devra déterminer qui doit payer, et comment réaffecter au mieux le produit de toute nouvelle taxe sur les carburants.

Quelles mobilités hors des métropoles ?

En matière d’émissions de GES, le transport pèse lourd : selon le ministère de l'écologie et du développement durable, il était en 2013 le premier secteur en France, avec 38% des émissions. Mais en la matière, le mouvement des gilets jaunes a mis en lumière l’extrême disparité de l’offre de transports en France métropolitaine. D’un côté, des métropoles largement dotées de transports publics, mais aussi d’un éventail toujours plus vaste de mobilités connectées (trottinettes, vélibs, etc.). De l’autre, des territoires ruraux et périurbains où la voiture demeure la seule manière d’assurer des trajets quotidiens – lesquels se voient d’ailleurs allongés par la raréfaction de l’emploi, l’aménagement de zones commerciales distantes des centres urbains et le recul des services publics de proximité (hôpitaux, écoles, trains, etc.). En 2012, un rapport visionnaire du centre d’analyse stratégique annonçait que cette disparité pourrait conduire à un « scénario noir » dès 2015 : « déjà confrontés à l’éloignement des services essentiels, y lit-on, les territoires à faible densité vont devoir faire face dans les vingt prochaines années à une hausse inéluctable du prix des carburants, due à l’augmentation du prix du pétrole mais aussi à la mise en place d’une taxe carbone, quelle qu’en soit la forme. Dans le prolongement des tendances actuelles, un tel scénario pourrait conduire à appauvrir les habitants de ces territoires et à les marginaliser. Le risque de l’inaction est réel : une hausse durable du prix des carburants (à 3 euros le litre, par exemple, voir analyse de l’AIE des tensions sur le marché mondial) mettrait en péril les budgets déjà tendus d’un nombre élevé de ménages dans les territoires à faible densité. Elle entraînerait localement une spirale d’appauvrissement des valeurs immobilières, de l’offre de services de proximité et des conditions de vie quotidienne. Elle accentuerait la « relégation » sociale d’une grande partie de ces territoires, avec une triple peine : éloignement des services, accès plus difficile à l’emploi, dépenses accrues d’énergie pour l’habitat et le transport. » L'inaction (et même le renforcement des métropoles via la loi MAPTAM en 2014) ayant été la règle depuis, le mouvement des gilets jaunes vient mettre en question l'aménagement du territoire.Comment inverser cette tendance ? La création d’une offre de mobilités souples, « agiles », voire « smart » dans les espaces ruraux et périurbains pourrait être une piste, mais comment la mener dans des zones à faible densité, et ne disposant ni de la 4G ni de connexions Internet efficientes ? Promise par Emmanuel Macron à l’horizon 2020, la fin des « zones blanches » tarde à se mettre en œuvre. La couverture numérique de l’ensemble du territoire pourrait pourtant constituer un adjuvant de taille du rééquilibrage territorial. A deux titres : elle pourrait renforcer l’attractivité des zones extra-métropolitaines pour des TPE et PME en quête de loyers abordables et d’une meilleure qualité de vie pour leurs gérants et employés, mais aussi favoriser l’émergence d’une offre de transports individuels et collectifs à la demande.L’équité territoriale suppose aussi de maintenir dans les territoires ruraux des transports publics, voire de les développer. Une politique à rebours du rapport Spinetta, qui préconise au contraire de concentrer les moyens sur les lignes à grande vitesse, au détriment des liaisons secondaires. Enfin, quid du développement du vélo dans les zones périurbaines et rurales ? L’aménagement de voies vertes est bien sûr à encourager : la pratique du vélo y est dangereuse, et impossible la nuit, faute de voies éclairées hors agglomérations. La sécurité des aménagements ne saurait donc suffire, et il faut aussi prévoir des systèmes d’éclairages autonomes en énergie, comme il en existe déjà dans certains pays.

Comment accroitre l'efficacité énergétique des logements ?

La mise en œuvre d’une politique écologique ambitieuse suppose aussi d’aborder la question du logement. Comme le rappelait récemment un article de Reporterre, la rénovation thermique est un indispensable facteur d’économies d’énergies. Renforcer les dispositifs existants (crédit d’impôt, éco-PTZ…) est à cet égard une nécessité. Or aujourd’hui, l’obtention d’aides est soumise à l’obligation d’un « bouquet de travaux ». Pour être éligible, les particuliers et copropriétés doivent en somme engager des sommes importantes. A cet égard, il pourrait être judicieux de faire évoluer les dispositifs existants vers des aides par paliers : les bénéficiaires pourraient ainsi planifier sur plusieurs années les travaux à réaliser.Réduire l’empreinte carbone du logement suppose aussi de l’aborder non comme secteur isolé, mais au contraire dans ses liens étroits avec d’autres postes, dont la mobilité. C’est ce que propose, en Suisse, la société à 2000 watts, qui vise à réduire l’empreinte carbone des pays les plus gros émetteurs en abordant globalement, selon une approche holistique, les consommations d’énergie. A cet égard, la création de permis de construire intégrant la mobilité pourrait être une piste, au moins dans le logement collectif neuf. De la même manière, la RT 2020 gagnerait à intégrer l’épineuse question des usages : aujourd’hui calculée sur des prévisions, la performance énergétique des bâtiments neufs laisse encore trop de côté les performances réelles des bâtiments dans des conditions "normales" d'utilisation. En ce sens, l’accompagnement des usagers après livraison est à développer par les promoteurs immobiliers et les bailleurs privés.Enfin, l’innovation technologique pourrait être une piste de réduction des émissions de GES du logement. Le très controversé compteur Linky propose ainsi des tarifications préférentielles en heures creuses et des délestages programmés aux périodes de pointe pour réduire les consommations d’énergie. A condition d'être accompagné et expliqué, son usage pourrait ainsi constituer un levier significatif...

2018-12-14
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