Proumouvoir les comportements écologiques sans contraindre : la piste des nudges

2011-03-11

Entre la fiscalité verte et la réglementation, certains économistes comme Richard Thaler explorent une troisième voie pour promouvoir les comportements écologiquement "vertueux" sans contrainte : les nudges, ou "coups de pouce".  Mais cette méthode de persuasion douce en débat.

Lors d’un voyage d’étude dans le Vorarlberg, j’ai eu la chance de visiter un immeuble passif parmi les plus performants au monde. Pourtant, le bâtiment, qui avait été conçu pour fonctionner avec très peu d’énergie (moins de 15 kwh/m²/an), révélait des consommations supérieures aux estimations initiales des bureaux d’études… Comment expliquer cet écart ?

De la théorie à la pratique

Certainement pas par d’éventuelles erreurs de conception : Hermann Kaufmann, l’architecte du bâtiment, est parmi les meilleurs que je connaisse. La cause du phénomène est plutôt à chercher dans les comportements des habitants. Bien qu’informés sur les caractéristiques de leur logement (étanchéité à l’air, ventilation double-flux…), certains d’entre eux continuaient à ouvrir les fenêtres pour aérer et à laisser leurs appareils électriques allumés en permanence…Pour éviter cet écueil et faire en sorte que les usages d’un bâtiment n’en grèvent pas les performances, on a alors pensé qu’il suffisait d’informer l’usager. On s’est mis à lui distribuer des guides et des livrets d’accueil. Sans grands résultats : si elle est une condition nécessaire pour changer les comportements, l’information n’est pas suffisante. Elle peut même s’avérer contre-productive, et induire ce qu’on appelle un effet rebond : conscient des bénéfices écologiques d’un bien ou d’un service, son usager relâche alors sa vigilance, et se laisse aller à des comportements peu économes…Pour vous donner un second exemple de ce que je viens d’avancer, je citerai l’étude menée en 2009 par Ethicity et l’ADEME sur la consommation durable. On y apprend par exemple que si ¾ des Français pensent que le développement durable est une nécessité, seuls 20% d’entre eux sont des « consom’acteurs » (ie : qui choisissent les produits en fonction de critères éthiques). Bref, alors qu’une immense majorité marque son adhésion aux valeurs portées par le développement durable (surtout compris comme synonyme de « protection de l’environnement », à l’exclusion de ses volets social et économique), seule une frange marginale de la population traduit ces valeurs en actes.

Pourquoi nous n'agissons pas de façon rationnelle

Des deux exemples qui précèdent, il faut conclure ceci : nos raisons d’agir et de consommer sont multiples, et ne se fondent pas (ou pas uniquement) sur la rationalité. D’autres facteurs entre en jeu et peuvent freiner le passage à l’acte alors même qu’on est convaincu de la nécessité d’agir. Olivier Oullier, conseiller scientifique au Centre d’analyses stratégiques, énumérait quelques-uns de ces freins le mercredi 9 mars lors d’un colloque intitulé « Incitations comportementales et environnement », auquel j’ai assisté avec intérêt. Voici les principaux :

  • La difficulté d’appréhender le risque : le changement climatique et l’écologie sont souvent minorés au profits d’événements qui impactent plus directement le quotidien
  • L’inertie face au changement
  • Le coût (financier, temporel…) du changement
  • Le sentiment d’impuissance : « les effets bénéfiques de ces actions ne pouvant être observés à court terme, explique dans une note Olivier Oullier, le sentiment d’impuissance et la difficulté d’estimer le retour sur investissement s’en trouvent renforcés. »
  • Les situations paradoxales liées au changement. Par exemple, un cycliste décidé à lutter contre la pollution se trouve plus exposé à celle-ci qu’un automobiliste roulant vitres fermées.
  • La marginalité : il est d’autant plus difficile d’adopter un comportement s’il n’est pas majoritaire et ne constitue pas la norme.

Les nudges, une troisième voie

Dès lors, quels leviers actionner pour généraliser les « éco-gestes » et faire évoluer les pratiques ? En France, les politiques publiques privilégient deux approches :

  • La réglementation : puisque le volontarisme ne permet pas de généraliser des modes de consommation plus durables, on va encadrer et contraindre. La nouvelle réglementation thermique (RT 2012), qui impose des normes de construction moins énergétivores, va dans ce sens.
  • La taxation : il s’agit de décourager les comportements peu durables en jouant sur le signal prix. C’était l’objectif de la taxe carbone, dont l’adoption dans nombre de pays européens a permis de réduire les émissions de GES et d’opérer des transferts de fiscalité. Les raisons qui ont conduit à annuler la mise en œuvre de la taxe carbone nous ont largement éclairés sur les limites d’un tel dispositif : les inégalités qu’il génère.

Entre contrainte et taxation, le monde anglo-saxon explore depuis quelques années une « troisième voie » : les incitations comportementales ou « nudges » (traduisez par : « coup de pouce »). Comme l’expliquent Olivier Oullier et Sarah Sauneron, cette stratégie formalisée par Cass Sunstein et Richard Thaler dans l’ouvrage du même nom consiste à « conduire l’individu à faire des choix qui aillent dans le sens de l’intérêt général, sans être pour autant prescriptive ou culpabilisante. » Cette politique de « paternalisme libertaire » hérite des sciences comportementales et met en œuvre des dispositifs d’information et de communication simples, positifs et présentés (à tort ou à raison) comme peu coûteux pour implémenter le changement.En voici quelques exemples :

  • L’option par défaut : pour favoriser les économies de papier, certains organismes américains (banques, fournisseurs d’énergie, etc.) adressent par défaut des factures électroniques. Ceux qui veulent recevoir leur facture sous forme papier doivent le demander, et le service est facturé… Le fait de ne pas distribuer de sacs plastiques aux caisses et de les faire payer est un autre exemple d’option par défaut.
  • L’argument de la norme : en Californie, pour inciter les foyers à utiliser des ventilateurs plutôt que des climatiseurs très gourmands en énergie, on informe les habitants d’un quartier que c’est « le choix le plus populaire ». Résultat : l’argument de la norme s’est avéré beaucoup plus efficace que la responsabilisation (« ça consomme moins d’énergie ») ou l’argument économique (« c’est moins cher »). Autre exemple bien connu : celui de l’hôtel où l’on incite les clients à réutiliser leur serviette en leur signifiant que « 75% des personnes ayant occupé [la] chambre avant [eux] ont (…) utilisé leurs serviettes de toilettes plusieurs fois. » Les gérants de l’hôtel ont alors constaté que 44,1% des clients répondaient à l’incitation, contre 35,1% lorsque la statistique n’était pas mentionnée.
  • Les dispositifs « intelligents » : en France, l’ERDF expérimente les compteurs électriques Linky, qui permettent à l’usager de suivre sa consommation en temps réel et de contrôler la mise sous tension de certains appareils. Ces objets pourraient par ailleurs être combinés à des systèmes d’alertes par SMS.

Evidemment, les nudges ne sont pas une panacée et présentent un certain nombre de limites, parmi lesquelles l’existence d’effets pervers induits par la comparaison et l’invitation à se conformer aux normes sociales. Pourtant, leur expérimentation a le mérite d’apporter un complément aux instruments traditionnels des politiques en matière d’environnement. Si l’on veut rendre le changement désirable, on a en effet tout intérêt à le mettre en œuvre sans contrainte. D’où l’intérêt des nudges, qui insistent sur les effets positifs des comportements vertueux plutôt que sur l’effort à entreprendre pour mettre en œuvre une société plus durable…

Pour en savoir plus

Le blog de R. Thaler et C. Sunstein :  http://nudges.wordpress.com/

Un article très complet sur les nudges dans la vie des idées.

Jean-Jacques Fasquel

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Le recyclage, une solution trompeuse ?

Avec Recyclage, le grand enfumage, publié aux éditions rue de l’échiquier, Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste France, signe un ouvrage à charge contre une économie contre-productive et mensongère. Une alerte salutaire.

Par un hasard du calendrier, les dernières relectures de Recyclage, le grand enfumage, paru en juin 2020 aux éditions rue de l’Echiquier, ont coïncidé avec l’épidémie de COVID-19. Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste et autrice de l’ouvrage, souligne d’ailleurs dès l’avant-propos combien l’événement vient conforter le contenu du livre. « Cette crise marque le retour en force du jetable, y affirme-elle. L’industrie du plastique, notamment, y a vu l’occasion de battre en brèche quelques avancées de ces dernières années contre les objets et emballages unique. » Sous couvert d’hygiène et de sécurité sanitaire (arguments brandis de longue date par le lobby du plastique), la société du jetable vient de remporter une nouvelle manche. Les avancées en matière de lutte contre les pollutions plastiques étaient pourtant modestes. Le pacte national sur les emballages plastiques signé en février 2019 par le gouvernement, en accord avec 13 géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution, était insuffisant. Pour une raison simple : il n’est pas contraignant. Derrière, un volontarisme de façade, la « fin du gaspillage » ne signe pas pour l’Etat la fin du jetable. L’enjeu est de recycler 60% seulement du plastique d’ici 2022. On n’envisage jamais la réduction des déchets à la source. Dans l’esprit de nos dirigeants, l’économie circulaire reste indissociable du jetable. Dans Recylage, le grand enfumage, Flore Berlingen explique pourquoi.

Le tout jetable et ses conséquences

Le livre s’ouvre sur un état des lieux du « tout jetable », dont l’avènement coïncide avec les débuts de l’ère du plastique en 1950. Depuis, l’ascension a été fulgurante : d’un million de tonnes annuelles à l’époque, on est passé à 359 millions en 2018. La mise en place du tri et du recyclage dans les années 1990 n’a pas entâmé cette progression, et le moins que l’on puisse dire est que le bilan est mitigé. Certes le volume de déchets recyclés a progressé, mais leur production a crû dans le même temps. Pour les emballages, la collecte stagne autour de 65%. Encore ce taux est-il faussé par le fait qu’on y inclut le verre, qui est à la fois plus lourd et moindre en termes d’unités.Conséquence : le nombre de décharges a été multiplié par 5, souvent dans des pays d’Asie où nous exportons nos déchets. Les coûts de collecte et de traitement des déchets, à la charge des collectivités, ont explosé. « La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! », pointe Flore Berlingen. Or, le principe du pollueur-payeur reste peu appliqué : si des filières dites de « responsabilité élargie du producteur » (REP) sont mises en oeuvre dans les années 1990, pour que les entreprises qui commercialisent des emballages jetables contribuent au financement du recyclage, « la contribution des entreprises à ce coût, via les filières REP, s’élève à 1,2 milliards d’euros, explique Flore Berligen. Autrement dit, comme de nombreuses autres « externalités environnementales » des activités économiques, le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble. » En l’occurrence, c’est aux EPCI de gérer les déchets, et in fine aux particuliers.

« La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! » Flore Berlingen

Une communication trompeuse

Cet état de fait contraste avec une communication très optimiste des producteurs d’emballages, jamais à court d’arguments pour vanter la mise sur le marché de produits « recyclables ». Or, « recyclable » ne veut pas dire « recyclé » : il faut pour cela une filière de recyclage opérationnelle, chose difficile à mettre en oeuvre alors que les producteurs ne cessent d’innover en matières de matériaux… recyclables. Le logo « Point vert » est à cet égard trompeur : « trop souvent interprété comme attestant le caractère recyclable ou recyclé de l’emballage, (...) il indique simplement que le metteur sur le marché s’est bien acquitté de sa contribution obligatoire », explique l’autrice. Dans Recyclage, le grand enfumage, celle-ci multiplie les exemples de communication ambiguë, quand elle ne tourne pas franchement à la célébration des producteurs d’emballages jetables. Un écueil lié selon elle à la gouvernance des filières REP : « une fois agréés par L’Etat pour plusieurs années, les éco-organismes rendent des comptes à leurs adhérents avant tout, explique-t-elle. Leurs organes de pilotage en témoignent : Citéo compte parmi ces administrateurs les représentants de Lactalis, Coca-Cola, Nestlé, Evian, Auchan, Carrefour… Ces producteurs et distributeurs n’ont aucun intérêt à ce que le public prenne conscience de la non-recyclabilité d’une grande partie des emballages. » A ces conflits d’intérêt s’ajoutent diverses actions de lobbying auprès des parlementaires. Citéo a ainsi participé à une campagne en faveur du plastique à usage unique - le comble pour un « éco-organisme » que l’Etat français charge de promouvoir le tri et la prévention des déchets. Le même éco-organisme n’hésite pas non plus à faire peser la responsabilité de la gestion des déchets sur les consommateurs, qui sont pourtant en bout de chaîne. Il n’est d’ailleurs pas le seul à faire valoir un tel argument. Flore Berlingen rappelle à ce titre que les première campagnes portant sur les pollutions plastiques dans la nature ont été créées et financées par les producteurs de l’agro-alimentaire : « Elles apparaissent bien avant l’arrivée du tri pour signifier que le pollueur n’est pas l’entreprise qui inonde le marché de ses emballages à usage unique sans se préoccuper de leur devenir, mais l’individu qui les jette n’importe où », pointe-elle. A partir des années 1990, l’émergence de filières de tri est venue compléter cet argument d’un « nos déchets ne sont plus des déchets mais des ressources en devenir ». Une façon de rassurer les consommateurs qui seraient tentés de se détourner des emballages plastiques.

« L'extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage. » Flore Berlingen

Le mythe de l’économie circulaire

Dans le second chapitre de l’ouvrage, Flore Berlingen tire de cet état de fait une conclusion implacable : l’économie circulaire est un mythe et une forme de green washing. Celle-ci s’affronte en effet à trois grandes limites. « La première est la dispersion des ressources, qui rend difficile, sinon irréalisable, le recyclage de certains produits, écrit l’autrice. La deuxième tient à la difficulté, voire l’impossibilité, de se débarrasser, au cours du processus de recyclage, d’additifs contenus initialement dans les produits ou d’impuretés liées à leur utilisation. Enfin, l’imperfection des processus de recyclage suscite des pertes et rend nécessaire le recours à des matières premières vierges. » Difficile à mettre en oeuvre du fait des alliages de matériaux et de l’entropie propre à toute transformation, le recyclage est très loin dans les faits de conduire à une économie de ressources. Les chiffres avancés par Flore Berlingen le démontrent : entre 2005 et 2015, la production mondiale annuelle de plastique a augmenté de 45%. Cette hausse concerne toutes les ressources, dont la consommation a triplé depuis les années 1970. En somme, « l’extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage ». Il faut dire que certains secteurs d’activité, dont l’agro-alimentaire, sont particulièrement dépendants du plastique à usage unique, du fait de leur logistique mondialisée et de l’allongement des circuits de production et de distribution. Calqué sur le modèle de l’économie linéaire, l’économie circulaire ne peut fonctionner, puisqu’elle dépend de la première et son impératif de croissance. Pour être efficientes, les filières de recyclage ont besoin d’importants volumes de déchets. Bel exemple de cercle vicieux.

Une seule solution : sortir du tout jetable

Dès lors, que faire ? Pour Flore Berlingen, la solution, exposée dans le dernier chapitre, est claire : il faut sortir de l’ère du jetable. Les leviers pour ce faire sont multiples. L’auteure balaie d’emblée le boycott individuel, aux effets trop limités. C’est sur le plan des politiques publiques, pointe-elle, qu’il faut agir. Il faudrait d’abord introduire des quotas de réemploi obligatoires et progressifs, qui permettraient une transition vers des emballages lavables et réutilisables standardisés. Il convient aussi selon elle d’allonger la durée de vie des biens dits « durables », et de mettre fin à l’obsolescence programmée. Renforcer le système des bonus-malus pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques dans ce sens, comme le prévoit la loi de 2020 sur l’économie circulaire. Il convient aussi de mieux piloter et contrôler les éco-organismes, aujourd’hui aux mains des producteurs. En la matière, un changement de cap s’impose : c’est bien à la prévention des déchets qu’il faut donner la priorité, plus qu’à leur recyclage. Or, actuellement, c’est à ce dernier que vont l’essentiel des financements publics nationaux. « Sur les 135 millions d’euros attribués en 2018 par l’Ademe dans le cadre du volet économie circulaire du programme d’investissements d’avenir, moins de 1% semble avoir été consacré à des initiatives de réduction des déchets », pointe Flore Berlingen. Il faut dire que les appels à projets sont calibrés pour les grands groupes industriels, pas pour les initiatives plus modestes visant à développer les circuits courts, la consigne ou le compostage. Concernant le recyclage lui-même, il conviendrait selon l’auteure de cesser la course à l’innovation, qui conduit à mettre sur le marché toujours plus de matériaux. Il faut aussi changer la manière de communiquer sur le recyclage, qui encourage actuellement la surconsommation (on a tendance à « gaspiller » les ressources si l’on croit qu’elles peuvent être recyclées). Enfin, l’immense problème posé par les déchets plastiques plaide pour une toute autre approche de la consommation. « Pendant plusieurs années, j’ai tenté, comme d’autres, de faire passer ce message : ne misons pas tout sur le recyclage, il est indispensable mais ne suffira pas, explique Flore Berlingen. Aujourd’hui, j’en viens à penser que cette mise en garde pèche par sa faiblesse. Dans la course au recyclage, la question de l’utilité sociale des objets produits n’est plus mise en balance avec leur impact social et environnemental. On en vient à chercher des moyens de recycler ce qui ne devrait même pas exister en premier lieu. » En somme, il en va des déchets comme de l’énergie : les meilleurs sont ceux qu’on ne produit pas.

En savoir plus :

Flore Berlingen : Recyclage, le grand enfumage - comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable, éditions Rue de l’Echiquier, juin 2020, 128 pages, 13 euros

2020-09-23
Prats, un village des Pyrénées bientôt autonome en énergie

La petite commune de 1000 habitants de Prats-de-Mollo-La Preste située dans les montagnes des Pyrénées Orientales s’est donné 5 ans pour devenir autonome en énergie (2021). Mode d'emploi.

Ce n’est pas un élan écologique qui a fait germer ce projet mais une augmentation drastique et régulière du prix de l’électricité et de son transport, qui alourdissait régulièrement la facture énergétique des Pratsois.Pour mener à bien ce projet, une Société d’Economie Mixte (Prats’Enr) a été créée avec trois collèges d’actionnaires : la mairie (60%), la régie d’électricité locale (20%) et une SCIC d’un collectif d’habitants (20 %) dénommée Ecocit (Energie-COllectif-CIToyen).

Le mix énergétique pratsois

La commune ne partait pas de zéro. Elle avait déjà une Régie électrique et une usine hydraulique sur la rivière du Tech produisant 35 % de sa consommation électrique. Pour atteindre l'autonomie énergétique, la SEM a tout d’abord remis en service l’ancienne installation hydraulique. Inutilisée depuis 20 ans, celle-ci alimentait un établissement thermal installé sur la commune. Des microturbines ont été posées sur les canalisations d’eau potable venant de la montagne. Des panneaux photovoltaïques sont en cours d’installation sur des toitures agricoles (bergeries, étables ou granges) et industrielles. Une installation de microméthanisation alimentée par les effluents des agriculteurs du bassin complétera le panel de production.En parallèle une régie de données est en cours de création pour piloter au mieux les infrastructures de production et de distribution d’électricité de la commune. Elle permettra aussi de sensibiliser et informer les Pratsois sur leur consommation d’énergie, en vertu du postulat selon lequel la meilleure énergie renouvelable est celle qu’on ne consomme pas. La gouvernance du projet et de ces données est un chantier important pour le succès de l’opération dans un contexte de défiance à l’égard des compteurs intelligents Linky.

L'implication des habitants, facteur de réussite

La concertation et la sensibilisation ont démarré et les citoyens sont réceptifs et impliqués. Aujourd’hui 8 % des habitants (soit 80 personnes) ont adhéré au collectif citoyen, soit un taux de participation très élevé pour ce type de projets. Plus de la moitié (50) sont présents aux réunions d’information.Le projet bénéficie d’un programme de recherche action baptisé DAISEE qui a pour objectifs de développer de nouveaux liens entre consommateurs et producteurs d’énergie, de publier des connaissances ouvertes sur les questions complexes de la transition énergétique et de créer et expérimenter des solutions face aux nombreux défis à relever sur le plan technique et organisationnel.Pour sensibiliser les habitants aux pics de dépassement de production, il est par exemple envisagé d’installer dans chaque foyer une lampe qui sera verte en cas de production suffisante et rouge en cas de dépassement. Issue d’un retour d’expérience au Danemark, l'idée sera d’autant plus pertinente que le village compte de nombreux retraités n’ayant pas toujours de smartphone ni d’ordinateur susceptibles de les informer. Bref, les Pratsois ne manquent pas d’énergie pour faire aboutir ce projet !

2019-04-08
Transition écologique : quelles pistes ?

Lors de son allocution télévisée du lundi 10 décembre, Emmanuel Macron a annoncé pour début 2019 « un débat sans précédent pour prendre le pouls vivant du pays ». En prélude à ce moment de réflexion dont les modalités restent floues, midionze avance quelques premières pistes en faveur d’une transition écologique juste et ambitieuse. Compte tenu de l’actualité, la rédaction examinera plus en détail chacune de ces pistes dans les semaines qui viennent.

Pris avec le mouvement des gilets jaunes dans une crise politique majeure, le gouvernement a choisi le recul sur la taxe carbone : après avoir d’abord annoncé un moratoire pour 6 mois, Edouard Philippe s’est dit prêt le mercredi 5 décembre à geler toute hausse de la taxe sur les carburants. Celle-ci ne figurera donc pas au projet de loi de finance 2019. Faut-il voir dans la décision de Matignon un renoncement à toute ambition en matière de transition énergétique ?Lors du discours qu’il a prononcé le 27 novembre dernier devant le Haut conseil pour l’action climatique, fraichement créé pour aborder ces questions, Emmanuel Macron avait pourtant fixé le cap : « nous devons sortir de ce qu'on appelle les énergies fossiles. En 30 ans, c'est-à-dire en une génération, nous devons passer d'une France où 75 % de l'énergie consommée est d'origine fossile, c'est-à-dire le charbon, le fuel, le gaz naturel, à une France où, en 2050, la production et la consommation d'énergie seront totalement décarbonées. »Atteindre un tel objectif suppose d’agir, et vite. Comment mettre en œuvre une stratégie globale et un plan d’action écologiquement ambitieux, justes socialement, et aptes à être mis en œuvre rapidement ? Pour le gouvernement, le « débat national » annoncé lors de l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron doit constituer un premier pas. Si ses modalités et son calendrier restent flous, ses thématiques ont d’ores et déjà été fixées lors du conseil des ministres du 12 décembre. La « transition écologique » y figure en haut de la liste (« comment se loger, comment se déplacer, comment se chauffer »), suivie par la fiscalité, la démocratie et la citoyenneté, l’organisation de l’Etat et des services publics, mais aussi l’immigration, une "invitée surprise" qui pourrait bien constituer un point de divergence majeur au sein des gilets jaunes. En prélude à la consultation, voici quelques pistes de réflexion sur le thème de la transition écologique.

La taxe carbone, oui mais…

Comme l’expliquait récemment un article de Mediapart, la taxe carbone est un levier essentiel de la lutte contre le changement climatique. Fréquemment citée en exemple, la politique mise en œuvre par la Suède a dans ce domaine porté ses fruits : dès 1991, le pays a mis en place une taxe sur les émissions de CO2, et allégé en contrepartie les charges pesant sur le travail et les entreprises. Seules en étaient exemptées les entreprises soumises au marché européen des doits d’émission, pour des raisons de concurrence. Depuis le mois de janvier 2018, elles participent cependant à l’effort commun. En 2003, la Suède met également en place un système de certificats verts pour promouvoir la production d’électricité à partir de ressources renouvelables. Ces mesures ont permis au pays de transformer en profondeur son mix énergétique, et de favoriser le développement de l’éolien et de la biomasse. Résultat : même si la consommation d’énergie par habitant se situe dans la moyenne de l’Europe occidentale, le pays affiche la plus faible empreinte carbone de la zone. Selon un rapport de l'IFRI rédigé par Michel Cruciani, ce bilan positif tient à deux facteurs. D’abord à la capacité collective du pays à prendre un virage rapide pour décarboner l’économie et les modes de vie. Ensuite à la place qu’il accorde à la recherche et l’innovation. « L’intégration accrue du marché nordique dans un grand marché européen risque d’éroder ses avantages compétitifs », nuance toutefois le rapport.La réplication d’un tel modèle en France s’affronte à une question, qu’on pourrait résumer ainsi : comment favoriser l’acceptabilité d’une taxe carbone, ce qui suppose son équité, sans grever la compétitivité des entreprises ? En la matière, le gouvernement a tranché dans un premier temps en faveur de la compétitivité, d’où une série d’exonérations – sur le transport routier, sur l’aviation ou la pêche. Ce choix explique largement le mouvement des gilets jaunes : exprimant une demande très majoritaire en France de justice fiscale, ce dernier exige l’équité devant la transition écologique, et exige que son financement pèse d’abord sur les plus gros pollueurs. A ce titre, le débat national devra déterminer qui doit payer, et comment réaffecter au mieux le produit de toute nouvelle taxe sur les carburants.

Quelles mobilités hors des métropoles ?

En matière d’émissions de GES, le transport pèse lourd : selon le ministère de l'écologie et du développement durable, il était en 2013 le premier secteur en France, avec 38% des émissions. Mais en la matière, le mouvement des gilets jaunes a mis en lumière l’extrême disparité de l’offre de transports en France métropolitaine. D’un côté, des métropoles largement dotées de transports publics, mais aussi d’un éventail toujours plus vaste de mobilités connectées (trottinettes, vélibs, etc.). De l’autre, des territoires ruraux et périurbains où la voiture demeure la seule manière d’assurer des trajets quotidiens – lesquels se voient d’ailleurs allongés par la raréfaction de l’emploi, l’aménagement de zones commerciales distantes des centres urbains et le recul des services publics de proximité (hôpitaux, écoles, trains, etc.). En 2012, un rapport visionnaire du centre d’analyse stratégique annonçait que cette disparité pourrait conduire à un « scénario noir » dès 2015 : « déjà confrontés à l’éloignement des services essentiels, y lit-on, les territoires à faible densité vont devoir faire face dans les vingt prochaines années à une hausse inéluctable du prix des carburants, due à l’augmentation du prix du pétrole mais aussi à la mise en place d’une taxe carbone, quelle qu’en soit la forme. Dans le prolongement des tendances actuelles, un tel scénario pourrait conduire à appauvrir les habitants de ces territoires et à les marginaliser. Le risque de l’inaction est réel : une hausse durable du prix des carburants (à 3 euros le litre, par exemple, voir analyse de l’AIE des tensions sur le marché mondial) mettrait en péril les budgets déjà tendus d’un nombre élevé de ménages dans les territoires à faible densité. Elle entraînerait localement une spirale d’appauvrissement des valeurs immobilières, de l’offre de services de proximité et des conditions de vie quotidienne. Elle accentuerait la « relégation » sociale d’une grande partie de ces territoires, avec une triple peine : éloignement des services, accès plus difficile à l’emploi, dépenses accrues d’énergie pour l’habitat et le transport. » L'inaction (et même le renforcement des métropoles via la loi MAPTAM en 2014) ayant été la règle depuis, le mouvement des gilets jaunes vient mettre en question l'aménagement du territoire.Comment inverser cette tendance ? La création d’une offre de mobilités souples, « agiles », voire « smart » dans les espaces ruraux et périurbains pourrait être une piste, mais comment la mener dans des zones à faible densité, et ne disposant ni de la 4G ni de connexions Internet efficientes ? Promise par Emmanuel Macron à l’horizon 2020, la fin des « zones blanches » tarde à se mettre en œuvre. La couverture numérique de l’ensemble du territoire pourrait pourtant constituer un adjuvant de taille du rééquilibrage territorial. A deux titres : elle pourrait renforcer l’attractivité des zones extra-métropolitaines pour des TPE et PME en quête de loyers abordables et d’une meilleure qualité de vie pour leurs gérants et employés, mais aussi favoriser l’émergence d’une offre de transports individuels et collectifs à la demande.L’équité territoriale suppose aussi de maintenir dans les territoires ruraux des transports publics, voire de les développer. Une politique à rebours du rapport Spinetta, qui préconise au contraire de concentrer les moyens sur les lignes à grande vitesse, au détriment des liaisons secondaires. Enfin, quid du développement du vélo dans les zones périurbaines et rurales ? L’aménagement de voies vertes est bien sûr à encourager : la pratique du vélo y est dangereuse, et impossible la nuit, faute de voies éclairées hors agglomérations. La sécurité des aménagements ne saurait donc suffire, et il faut aussi prévoir des systèmes d’éclairages autonomes en énergie, comme il en existe déjà dans certains pays.

Comment accroitre l'efficacité énergétique des logements ?

La mise en œuvre d’une politique écologique ambitieuse suppose aussi d’aborder la question du logement. Comme le rappelait récemment un article de Reporterre, la rénovation thermique est un indispensable facteur d’économies d’énergies. Renforcer les dispositifs existants (crédit d’impôt, éco-PTZ…) est à cet égard une nécessité. Or aujourd’hui, l’obtention d’aides est soumise à l’obligation d’un « bouquet de travaux ». Pour être éligible, les particuliers et copropriétés doivent en somme engager des sommes importantes. A cet égard, il pourrait être judicieux de faire évoluer les dispositifs existants vers des aides par paliers : les bénéficiaires pourraient ainsi planifier sur plusieurs années les travaux à réaliser.Réduire l’empreinte carbone du logement suppose aussi de l’aborder non comme secteur isolé, mais au contraire dans ses liens étroits avec d’autres postes, dont la mobilité. C’est ce que propose, en Suisse, la société à 2000 watts, qui vise à réduire l’empreinte carbone des pays les plus gros émetteurs en abordant globalement, selon une approche holistique, les consommations d’énergie. A cet égard, la création de permis de construire intégrant la mobilité pourrait être une piste, au moins dans le logement collectif neuf. De la même manière, la RT 2020 gagnerait à intégrer l’épineuse question des usages : aujourd’hui calculée sur des prévisions, la performance énergétique des bâtiments neufs laisse encore trop de côté les performances réelles des bâtiments dans des conditions "normales" d'utilisation. En ce sens, l’accompagnement des usagers après livraison est à développer par les promoteurs immobiliers et les bailleurs privés.Enfin, l’innovation technologique pourrait être une piste de réduction des émissions de GES du logement. Le très controversé compteur Linky propose ainsi des tarifications préférentielles en heures creuses et des délestages programmés aux périodes de pointe pour réduire les consommations d’énergie. A condition d'être accompagné et expliqué, son usage pourrait ainsi constituer un levier significatif...

2018-12-14
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