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Le recyclage, une solution trompeuse ?

Avec Recyclage, le grand enfumage, publié aux éditions rue de l’échiquier, Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste France, signe un ouvrage à charge contre une économie contre-productive et mensongère. Une alerte salutaire.

Par un hasard du calendrier, les dernières relectures de Recyclage, le grand enfumage, paru en juin 2020 aux éditions rue de l’Echiquier, ont coïncidé avec l’épidémie de COVID-19. Flore Berlingen, présidente de l’association Zéro Waste et autrice de l’ouvrage, souligne d’ailleurs dès l’avant-propos combien l’événement vient conforter le contenu du livre. « Cette crise marque le retour en force du jetable, y affirme-elle. L’industrie du plastique, notamment, y a vu l’occasion de battre en brèche quelques avancées de ces dernières années contre les objets et emballages unique. » Sous couvert d’hygiène et de sécurité sanitaire (arguments brandis de longue date par le lobby du plastique), la société du jetable vient de remporter une nouvelle manche. Les avancées en matière de lutte contre les pollutions plastiques étaient pourtant modestes. Le pacte national sur les emballages plastiques signé en février 2019 par le gouvernement, en accord avec 13 géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution, était insuffisant. Pour une raison simple : il n’est pas contraignant. Derrière, un volontarisme de façade, la « fin du gaspillage » ne signe pas pour l’Etat la fin du jetable. L’enjeu est de recycler 60% seulement du plastique d’ici 2022. On n’envisage jamais la réduction des déchets à la source. Dans l’esprit de nos dirigeants, l’économie circulaire reste indissociable du jetable. Dans Recylage, le grand enfumage, Flore Berlingen explique pourquoi.

Le tout jetable et ses conséquences

Le livre s’ouvre sur un état des lieux du « tout jetable », dont l’avènement coïncide avec les débuts de l’ère du plastique en 1950. Depuis, l’ascension a été fulgurante : d’un million de tonnes annuelles à l’époque, on est passé à 359 millions en 2018. La mise en place du tri et du recyclage dans les années 1990 n’a pas entâmé cette progression, et le moins que l’on puisse dire est que le bilan est mitigé. Certes le volume de déchets recyclés a progressé, mais leur production a crû dans le même temps. Pour les emballages, la collecte stagne autour de 65%. Encore ce taux est-il faussé par le fait qu’on y inclut le verre, qui est à la fois plus lourd et moindre en termes d’unités.Conséquence : le nombre de décharges a été multiplié par 5, souvent dans des pays d’Asie où nous exportons nos déchets. Les coûts de collecte et de traitement des déchets, à la charge des collectivités, ont explosé. « La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! », pointe Flore Berlingen. Or, le principe du pollueur-payeur reste peu appliqué : si des filières dites de « responsabilité élargie du producteur » (REP) sont mises en oeuvre dans les années 1990, pour que les entreprises qui commercialisent des emballages jetables contribuent au financement du recyclage, « la contribution des entreprises à ce coût, via les filières REP, s’élève à 1,2 milliards d’euros, explique Flore Berligen. Autrement dit, comme de nombreuses autres « externalités environnementales » des activités économiques, le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble. » En l’occurrence, c’est aux EPCI de gérer les déchets, et in fine aux particuliers.

« La gestion des déchets coût environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! » Flore Berlingen

Une communication trompeuse

Cet état de fait contraste avec une communication très optimiste des producteurs d’emballages, jamais à court d’arguments pour vanter la mise sur le marché de produits « recyclables ». Or, « recyclable » ne veut pas dire « recyclé » : il faut pour cela une filière de recyclage opérationnelle, chose difficile à mettre en oeuvre alors que les producteurs ne cessent d’innover en matières de matériaux… recyclables. Le logo « Point vert » est à cet égard trompeur : « trop souvent interprété comme attestant le caractère recyclable ou recyclé de l’emballage, (...) il indique simplement que le metteur sur le marché s’est bien acquitté de sa contribution obligatoire », explique l’autrice. Dans Recyclage, le grand enfumage, celle-ci multiplie les exemples de communication ambiguë, quand elle ne tourne pas franchement à la célébration des producteurs d’emballages jetables. Un écueil lié selon elle à la gouvernance des filières REP : « une fois agréés par L’Etat pour plusieurs années, les éco-organismes rendent des comptes à leurs adhérents avant tout, explique-t-elle. Leurs organes de pilotage en témoignent : Citéo compte parmi ces administrateurs les représentants de Lactalis, Coca-Cola, Nestlé, Evian, Auchan, Carrefour… Ces producteurs et distributeurs n’ont aucun intérêt à ce que le public prenne conscience de la non-recyclabilité d’une grande partie des emballages. » A ces conflits d’intérêt s’ajoutent diverses actions de lobbying auprès des parlementaires. Citéo a ainsi participé à une campagne en faveur du plastique à usage unique - le comble pour un « éco-organisme » que l’Etat français charge de promouvoir le tri et la prévention des déchets. Le même éco-organisme n’hésite pas non plus à faire peser la responsabilité de la gestion des déchets sur les consommateurs, qui sont pourtant en bout de chaîne. Il n’est d’ailleurs pas le seul à faire valoir un tel argument. Flore Berlingen rappelle à ce titre que les première campagnes portant sur les pollutions plastiques dans la nature ont été créées et financées par les producteurs de l’agro-alimentaire : « Elles apparaissent bien avant l’arrivée du tri pour signifier que le pollueur n’est pas l’entreprise qui inonde le marché de ses emballages à usage unique sans se préoccuper de leur devenir, mais l’individu qui les jette n’importe où », pointe-elle. A partir des années 1990, l’émergence de filières de tri est venue compléter cet argument d’un « nos déchets ne sont plus des déchets mais des ressources en devenir ». Une façon de rassurer les consommateurs qui seraient tentés de se détourner des emballages plastiques.

« L'extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage. » Flore Berlingen

Le mythe de l’économie circulaire

Dans le second chapitre de l’ouvrage, Flore Berlingen tire de cet état de fait une conclusion implacable : l’économie circulaire est un mythe et une forme de green washing. Celle-ci s’affronte en effet à trois grandes limites. « La première est la dispersion des ressources, qui rend difficile, sinon irréalisable, le recyclage de certains produits, écrit l’autrice. La deuxième tient à la difficulté, voire l’impossibilité, de se débarrasser, au cours du processus de recyclage, d’additifs contenus initialement dans les produits ou d’impuretés liées à leur utilisation. Enfin, l’imperfection des processus de recyclage suscite des pertes et rend nécessaire le recours à des matières premières vierges. » Difficile à mettre en oeuvre du fait des alliages de matériaux et de l’entropie propre à toute transformation, le recyclage est très loin dans les faits de conduire à une économie de ressources. Les chiffres avancés par Flore Berlingen le démontrent : entre 2005 et 2015, la production mondiale annuelle de plastique a augmenté de 45%. Cette hausse concerne toutes les ressources, dont la consommation a triplé depuis les années 1970. En somme, « l’extraction se développe à un rythme deux à trois fois plus rapide que le recyclage ». Il faut dire que certains secteurs d’activité, dont l’agro-alimentaire, sont particulièrement dépendants du plastique à usage unique, du fait de leur logistique mondialisée et de l’allongement des circuits de production et de distribution. Calqué sur le modèle de l’économie linéaire, l’économie circulaire ne peut fonctionner, puisqu’elle dépend de la première et son impératif de croissance. Pour être efficientes, les filières de recyclage ont besoin d’importants volumes de déchets. Bel exemple de cercle vicieux.

Une seule solution : sortir du tout jetable

Dès lors, que faire ? Pour Flore Berlingen, la solution, exposée dans le dernier chapitre, est claire : il faut sortir de l’ère du jetable. Les leviers pour ce faire sont multiples. L’auteure balaie d’emblée le boycott individuel, aux effets trop limités. C’est sur le plan des politiques publiques, pointe-elle, qu’il faut agir. Il faudrait d’abord introduire des quotas de réemploi obligatoires et progressifs, qui permettraient une transition vers des emballages lavables et réutilisables standardisés. Il convient aussi selon elle d’allonger la durée de vie des biens dits « durables », et de mettre fin à l’obsolescence programmée. Renforcer le système des bonus-malus pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques dans ce sens, comme le prévoit la loi de 2020 sur l’économie circulaire. Il convient aussi de mieux piloter et contrôler les éco-organismes, aujourd’hui aux mains des producteurs. En la matière, un changement de cap s’impose : c’est bien à la prévention des déchets qu’il faut donner la priorité, plus qu’à leur recyclage. Or, actuellement, c’est à ce dernier que vont l’essentiel des financements publics nationaux. « Sur les 135 millions d’euros attribués en 2018 par l’Ademe dans le cadre du volet économie circulaire du programme d’investissements d’avenir, moins de 1% semble avoir été consacré à des initiatives de réduction des déchets », pointe Flore Berlingen. Il faut dire que les appels à projets sont calibrés pour les grands groupes industriels, pas pour les initiatives plus modestes visant à développer les circuits courts, la consigne ou le compostage. Concernant le recyclage lui-même, il conviendrait selon l’auteure de cesser la course à l’innovation, qui conduit à mettre sur le marché toujours plus de matériaux. Il faut aussi changer la manière de communiquer sur le recyclage, qui encourage actuellement la surconsommation (on a tendance à « gaspiller » les ressources si l’on croit qu’elles peuvent être recyclées). Enfin, l’immense problème posé par les déchets plastiques plaide pour une toute autre approche de la consommation. « Pendant plusieurs années, j’ai tenté, comme d’autres, de faire passer ce message : ne misons pas tout sur le recyclage, il est indispensable mais ne suffira pas, explique Flore Berlingen. Aujourd’hui, j’en viens à penser que cette mise en garde pèche par sa faiblesse. Dans la course au recyclage, la question de l’utilité sociale des objets produits n’est plus mise en balance avec leur impact social et environnemental. On en vient à chercher des moyens de recycler ce qui ne devrait même pas exister en premier lieu. » En somme, il en va des déchets comme de l’énergie : les meilleurs sont ceux qu’on ne produit pas.

En savoir plus :

Flore Berlingen : Recyclage, le grand enfumage - comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable, éditions Rue de l’Echiquier, juin 2020, 128 pages, 13 euros

2020-09-23
Ecologie
Prats, un village des Pyrénées bientôt autonome en énergie

La petite commune de 1000 habitants de Prats-de-Mollo-La Preste située dans les montagnes des Pyrénées Orientales s’est donné 5 ans pour devenir autonome en énergie (2021). Mode d'emploi.

Ce n’est pas un élan écologique qui a fait germer ce projet mais une augmentation drastique et régulière du prix de l’électricité et de son transport, qui alourdissait régulièrement la facture énergétique des Pratsois.Pour mener à bien ce projet, une Société d’Economie Mixte (Prats’Enr) a été créée avec trois collèges d’actionnaires : la mairie (60%), la régie d’électricité locale (20%) et une SCIC d’un collectif d’habitants (20 %) dénommée Ecocit (Energie-COllectif-CIToyen).

Le mix énergétique pratsois

La commune ne partait pas de zéro. Elle avait déjà une Régie électrique et une usine hydraulique sur la rivière du Tech produisant 35 % de sa consommation électrique. Pour atteindre l'autonomie énergétique, la SEM a tout d’abord remis en service l’ancienne installation hydraulique. Inutilisée depuis 20 ans, celle-ci alimentait un établissement thermal installé sur la commune. Des microturbines ont été posées sur les canalisations d’eau potable venant de la montagne. Des panneaux photovoltaïques sont en cours d’installation sur des toitures agricoles (bergeries, étables ou granges) et industrielles. Une installation de microméthanisation alimentée par les effluents des agriculteurs du bassin complétera le panel de production.En parallèle une régie de données est en cours de création pour piloter au mieux les infrastructures de production et de distribution d’électricité de la commune. Elle permettra aussi de sensibiliser et informer les Pratsois sur leur consommation d’énergie, en vertu du postulat selon lequel la meilleure énergie renouvelable est celle qu’on ne consomme pas. La gouvernance du projet et de ces données est un chantier important pour le succès de l’opération dans un contexte de défiance à l’égard des compteurs intelligents Linky.

L'implication des habitants, facteur de réussite

La concertation et la sensibilisation ont démarré et les citoyens sont réceptifs et impliqués. Aujourd’hui 8 % des habitants (soit 80 personnes) ont adhéré au collectif citoyen, soit un taux de participation très élevé pour ce type de projets. Plus de la moitié (50) sont présents aux réunions d’information.Le projet bénéficie d’un programme de recherche action baptisé DAISEE qui a pour objectifs de développer de nouveaux liens entre consommateurs et producteurs d’énergie, de publier des connaissances ouvertes sur les questions complexes de la transition énergétique et de créer et expérimenter des solutions face aux nombreux défis à relever sur le plan technique et organisationnel.Pour sensibiliser les habitants aux pics de dépassement de production, il est par exemple envisagé d’installer dans chaque foyer une lampe qui sera verte en cas de production suffisante et rouge en cas de dépassement. Issue d’un retour d’expérience au Danemark, l'idée sera d’autant plus pertinente que le village compte de nombreux retraités n’ayant pas toujours de smartphone ni d’ordinateur susceptibles de les informer. Bref, les Pratsois ne manquent pas d’énergie pour faire aboutir ce projet !

2019-04-08
Ecologie
Aux Archives nationales, l'exposition Mobile/Immobile sonde les mobilités contemporaines

Aux Archives nationales, l’exposition Mobile/immobile explore sous toutes leurs coutures les mobilités contemporaines, en croisant les regards d’artistes et de chercheurs. Visite guidée.

Dans les sociétés contemporaines, la mobilité est une valeur, sinon un idéal. Se déplacer, bouger, voyager (si possible loin), est vu comme un gage d’ouverture au monde, de réussite sociale et de liberté. C’est même un droit fondamental inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ici et là pourtant, ce mythe né au XIXe siècle se fissure. Il y a bien sûr la crise écologique : les transports pèsent lourd (de l’ordre de 30% en France) dans les émissions de gaz à effets de serre, et l’organisation spatiale née de la massification automobile obère toute possibilité de transition à court et même à moyen terme. Il y a aussi la différentiation sociale et spatiale qu’opère la possibilité ou non d’aller et venir librement – la crise des migrants et celle des gilets jaunes l’illustrent chacune à leur manière. Au point que le géographe Tim Creswell écrivait en 2016 dans Ne pas dépasser la ligne ! : « La mobilité des uns dépend de l’immobilité des autres. »L’exposition Mobile/Immobile aux Archives nationales n’est pas de nature à réhabiliter ce « fait social total » qu’est la mobilité, ni à plaider pour un modèle (et un mode de vie) fondé à plus de 90% sur l’extraction pétrolière. Organisée par le Forum Vies Mobiles, elle synthétise les collaborations d’artistes et de chercheurs en sciences sociales suscitées par ce think tank depuis 2011, pour mieux plaider – dans la dernière partie surtout – la nécessité d’une décélération. L’ambivalence des mobilités contemporaines s’esquisse en effet dès le seuil de l’exposition, avant même qu’on n’en parcoure les quatre sections.A droite des escaliers, une série de planches de bandes dessinées conçues par Jean Leveugle à partir de textes d’Emmanuel Ravalt, Stéphanie Vincent-Geslin et Vincent Kaufmann (par ailleurs commissaire scientifique de Mobile/Immobile) décrit quatre « tranches de vie mobile », dont celles de Gaby, infirmière et mère célibataire contrainte à d’interminables trajets quotidiens par des contrats précaires, et de Jean, commercial ravi de voler de gare en aéroport. Si leurs regards se croisent furtivement dans le RER, toute autre forme de rencontre serait entre eux impossible : leur expérience de la mobilité – l’une contrainte, l’autre choisie – et la condition qui en découle les éloigne radicalement. De l’autre côté de l’escalier qui mène aux salles d’exposition, la même dialectique se fait jour dans les photographies de Vincent Jarousseau : initiateur pendant la dernière campagne présidentielle d’une série à Denain, dans le Nord, il défait l’idée qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot, et montre au contraire l’harassant quotidien de livreurs et de chauffeurs routiers, dont l’un apparaît d’ailleurs, sur les derniers clichés, vêtu d’un gilet jaune.

Quand la mobilité modèle l'espace et trie les hommes

Après cette entrée en matière, la première section de l’exposition retrace la genèse d’un modèle économique et social dont la mobilité est la valeur cardinale. Pour ce faire, elle réunit d’abord une collecte photographique de 82 clichés amateurs pris en Chine entre 1960 et aujourd’hui. Le pays a effet vécu en accéléré les bouleversements qui ont conduit l’Occident, dès le 19e siècle, à valoriser la vitesse – au point d’accorder le design d’objets ménagers (dont le fameux presse agrume de Starck) aux formes nées de l’aérodynamisme ferroviaire et aérien. Elle montre surtout comment l’automobile remodèle l’espace dès l’entre-deux-guerres via la mise en œuvre du « zonage » prôné par le fonctionnalisme. A cet effet, l’accrochage confronte le Plan Voisin conçu par le Corbusier en 1925 à la représentation rétrofuturiste qu’en propose Alain Bublex. Des grands ensembles à l’étalement urbain, c’est tout l’aménagement urbain qui se plie désormais aux déplacements motorisés – au risque de l’uniformisation, comme le montre la série photographique « Espace-Construction » conçue entre 2002 et 2005 par Claire Chevrier.Mais la massification de l’automobile à l’échelle planétaire n’équivaut pas mobilité généralisée, bien au contraire. La deuxième section de Mobile/Immobile montre au contraire comment s’organisent des formes différentiées de mobilités, selon qu’on est homme d’affaire ou migrant, riche ou pauvre, Blanc ou Noir. Née d’une collaboration avec Tim Creswell, la série photographique « Ne pas dépasser la ligne ! » de Géraldine Lay révèle le tri qui s’opère à l’aéroport de Schipol (Amsterdam) et dans la gare du Nord entre les différentes catégories de voyageurs. Si Laura Henno reconstitue avec les migrants de Calais les étapes de leur périple dans une veine quasi épique, Ai Weiwei dévoile dans Réfugiés connectés (2017) le rôle crucial que les migrants assignent aux téléphones mobiles. Du reste, un aperçu des listes et des fiches conservées dans les Archives souligne que ce traitement différencié n’est pas un fait nouveau : mis en œuvre dès le Moyen-âge, le contrôle des populations mobiles (soldats, vagabonds, esclaves, etc.) se rationalise et se complexifie au 19e siècle, jusqu’à la généralisation du passeport et de la carte d’identité pendant la Première guerre mondiale.

Et demain, accélérer ou ralentir ?

Après un « sas » de transition dédié à la série « Néonomades » de Ferjeux Van Der Stigghel, Mobile/Immobile plonge ensuite dans les modes de vie contemporains, et s’intéresse tout particulièrement à la façon dont les mobilités dites réversibles (celles qui utilisent la vitesse et les objets connectés pour joindre des lieux distants sans perte de temps) reconfigurent nos relations aux territoires. Intitulée « des vies mobiles entre ville et campagne », cette troisième section explore d’abord l’espace périurbain européen et américain à travers les photographies de Marion Poussier, Patricia Di Fiore, Olivier Culmann et Jürgen Nefzger. Elle montre aussi la série « Suivre la piste du rail indien » d’Ishan Tankha, qui montre les voyageurs reliant Mumbai, mégalopole surpeuplée, aux régions côtières du Konkan, pour mieux nuancer l’idée d’un exode rural irréversible. Au gré de l’accrochage, cette continuité entre ville et campagne cède peu à peu la place à un monde entièrement urbanisé : les photographies de Tim Franco et l’installation de Wang Gongxin illustrent chacune à leur façon l’accélération des modes de vie en Chine, tandis que Sylvie Bonnot confronte le lent trajet du transsibérien aux déplacements pressés de la foule tokyoite.La solitude et l’anomie qui se dégagent de ces œuvres dispose naturellement le spectateur à aborder la dernière section de Mobile/Immobile. Résolument prospective, celle-ci ouvre sur cette question cruciale : Et demain ? Accélérer ou ralentir ? Une question que ne justifie pas seulement la lutte contre le changement climatique, mais plus largement les aspirations de nombre d’entre nous : selon une étude conduite en 2015 par le Forum Vies mobiles dans 6 pays, 8 personnes sur 10 souhaiteraient ralentir. A cet effet, Caroline Delmotte et Gildas Etevenard donnent à voir ce que pourrait devenir la région parisienne si elle devenait en 2050 une « bio-région ». Soit une série d’espaces verdoyants et productifs, qui contrastent singulièrement avec une version dystopique des mêmes lieux en cas de poursuite des modes de vie actuels. Marie Velardi propose quant à elle une « salle de décélération » accordée au rythme lunaire. Et pour clore l’exposition, Elinor Whidden nous invite à renouer avec la marche des Amérindiens sur les pistes, et à bricoler d’autres moyens de transport, dont la lenteur s’abouche avec la poésie. Tout un programme…INFOS PRATIQUES :Mobile/Immobile : artistes et chercheurs explorent nos modes de vie, du 16 janvier au 29 avril 2019Une exposition du Forum Vies mobiles aux Archives nationales - 60 rue des Francs-bourgeois 75003 Paris

Du lundi au dimanche (fermé le mardi)En semaine: 10h00-17h30 /Samedi et dimanche : 14h00-17h30Plein tarif : 8 €, tarif réduit : 5 €Métro : Ligne 1 et 11 Arrêt Hôtel de ville / Ligne 11 Arrêt Rambuteau

2019-01-19
Ecologie
Immobilier
Pablo Servigne : "Dans la nature, l'entraide est partout"

La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure ? Pas si sûr : dans L’entraide - l’autre loi de la jungle, qui paraît ces jours-ci aux éditions LLL, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle rappellent que les relations entre espèces et entre membres d’une même espèce ne sont pas réductibles, loin s’en faut, à la prédation et la compétition. Compilant l’état des recherches actuelles en (socio)biologie, en neurosciences, en anthropologie, en économie comportementale, en psychologie, les deux chercheurs in(Terre)dépendants montrent que l’entraide, la coopération, la symbiose sont aussi des principes du vivant, et jouent même un rôle clé dans l’évolution des espèces. De quoi contrebalancer le mythe d’une humanité plongée jusqu’au cou dans les eaux froides du calcul égoïste, comme nous l’explique Pablo Servigne au cours d’un (long) entretien.

Votre précédent ouvrage, Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), présentait la forte probabilité de l’effondrement, à court terme, de la civilisation thermo-industrielle. Vous y abordiez déjà, mais superficiellement, la question des relations sociales en cas d’effondrement. Vous écriviez notamment que « se préparer à une catastrophe signifie d’abord tisser du lien autour de soi. » Votre nouvel ouvrage ouvre-t-il un nouveau champ de recherche, encore embryonnaire, de la collapsologie ? Comment s’inscrit-il dans la continuité du livre précédent ?J’ai commencé ce livre sur l’entraide avant celui sur la collapsologie : ça fait douze ans que j’y travaille. Entre temps, nous avons écrit en trois mois Comment tout peut s’effondrer après avoir constaté que ce que je croyais être un acquis pour tout le monde ne l’était pas. Et la question de l’effondrement faisait finalement écho à mes travaux sur l’entraide. Ce champ de recherche, qui est loin d’être embryonnaire, mais au contraire gigantesque, répond à l’une des questions absolument fondamentales de la collapsologie : est-ce qu’on va tous s’entretuer ? Nous y répondons de manière nuancée et ouvrons des perspectives intéressantes au niveau politique et organisationnel, afin de préparer la suite.Notre imaginaire est dominé par une vision de l’effondrement conduisant à un scénario à la Mad Max, et plus loin, par une vision des relations inter et intra-espèces héritée d’une certaine interprétation de Darwin. Pourquoi est-il nécessaire selon vous de contrebalancer cet imaginaire, et de le faire en s’appuyant sur l’avancée des recherches scientifiques, notamment en sociobiologie ?Ma formation scientifique de biologiste et d’écologue, mais aussi mon côté naturaliste m’ont toujours montré que la nature n’était pas uniquement régie par la compétition, l’agression et l'égoïsme. J’ai donc voulu faire le bilan de ce que la science avait accumulé comme découvertes et comme connaissances depuis Darwin (qui avait d’ailleurs déjà mis en évidence la coopération), et mettre tout cela au jour pour rééquilibrer la balance entre coopération et compétition, un peu comme si on retrouvait l’équilibre entre le yin et le yang. Une société fondée uniquement sur la compétition devient toxique : la compétition est fatigante pour les individus, elle crée des inégalités, de la défiance, de la violence, et détruit les autres êtres vivants. L’agriculture en est un exemple. Elle se fonde sur la compétition : si des insectes arrivent dans un champ de blé et le ravagent, ils entrent en compétition avec nous pour le blé. On va donc les détruire – et d’ailleurs beaucoup de produits « phytosanitaires » sont des produits en -cide, faits pour tuer. Une autre posture, celle d’une agriculture de coopération, serait d’apprendre à retrouver de la diversité et les cycles du vivant pour pouvoir accueillir d’autres insectes susceptibles de réguler les ravageurs. Cette recherche d’un équilibre est ce que fait naturellement le vivant !Peut-on aussi imputer ce décalage au fait que les études auxquelles vous faites référence sont relativement récentes, ou s’agit-il d’un décalage plus fondamental, lié à une vision du monde ?Les deux. Il existe beaucoup de découvertes récentes dont personne n’a entendu parler, et dont les scientifiques n’ont même pas fait la synthèse. Comme j’ai été chercheur, j’ai la chance de pouvoir lire, analyser et synthétiser ce qui se publie dans les journaux scientifiques spécialisés. Je tiens une veille depuis 15 ans, et je peux vous dire que les travaux sur le sujet sont exponentiels, il en existe des milliers ! Dans le même temps, notre monde s’est noyé dans une vision du monde néo-libérale, une caricature du libéralisme originel d’Adam Smith. Cette idéologie exagérément compétitive déforme notre imaginaire et nous empêche de voir tout ce que l’on sait sur l’entraide et les mutualismes depuis Darwin. Il s’agissait donc de remettre les pendules à l’heure.Votreouvrage est double. Il se présente comme un ouvrage scientifique faisant état des recherches sur l’entraide, et dans le même temps, il insiste sur la nécessité de transformer les imaginaires. Comment articulez-vous ces deux visées : scientifique et idéologique ?J’assume complètement ce caractère idéologique. Ce n’est pas un gros mot. La science est toujours en partie un produit de l’idéologie de son époque, et inversement, les idéologies sont influencées par les découvertes scientifiques. Notre livre est aussi le produit d’une époque : il ne serait pas nécessaire si on ne vivait pas dans ce bain ultra-compétitif ! Je raconte ce que la science a découvert pour pouvoir créer de nouveaux récits, provoquer des « déclics » et changer les imaginaires. Je le fais car je suis scientifique et que c’est mon langage, ma manière de voir et de comprendre le monde, et ma chance est que la société croit beaucoup en la science. Charles Darwin, Pierre Kropotkine, Edward O. Wilson, Steven Jay Gould, ou même Albert Einstein, sont pour moi de grands scientifiques car ils n’ont jamais séparé science et société. Ils ont été conscients de leur époque. Cela ne déforce pas du tout leurs travaux, au contraire, cela les rend plus crédibles et plus puissants. Penser la science détachée d’une époque, de ses idéologies et de ses mythologies, est pour moi très dangereux.

Des expériences économiques incroyables montrent que plus on demande à des sujets de réfléchir, plus ils font des choix égoïstes. Et plus on leur demande de répondre spontanément, plus ils sont coopératifs. Etonnant, non ?

Vous vous inscrivez contre l’idée d’un Homo oeconomicus rationnel et égoïste, et montrez la part d’irrationalité de l’individu et du groupe. Le prix Nobel d’économie vient d’être attribué à Richard Thaler, dont les travaux sur les nudges développent la même idée. Est-ce que cet événement laisse à penser que votre livre participe d’un mouvement de mise en question profonde de cette idée d’un être humain plongé dans la compétition ?Gauthier Chapelle et moi nous inscrivons dans une filiation intellectuelle qui n’est pas nouvelle du tout – je pense notamment au prix Nobel d’économie Daniel Kahneman qui a bien montré que les comportements économiques sont très irrationnels. L’Homo oeconomicus était un modèle mathématique, un peu théorique, qui a servi à quelques découvertes, mais aurait dû rester dans les laboratoires car il n’est pas du tout représentatif de la complexité humaine. Le problème, c’est que certains en ont fait une idéologie qui s’est répandue d’autant mieux qu’elle arrange les puissants. Dans ce livre, nous avons synthétisé ce qui se sait sur l’altruisme et la coopération dans le monde vivant, mais aussi chez l’être humain. Par exemple des expériences économiques incroyables montrent que plus on demande à des sujets de réfléchir, plus ils font des choix égoïstes. Et plus on leur demande de répondre spontanément, plus ils sont coopératifs. Etonnant, non ? L’originalité de notre travail est de mettre en lien tous ces travaux économiques avec des travaux en biologie, en psychologie, en anthropologie, en neurosciences, pour pouvoir apercevoir un tableau général. On a essayé de faire émerger l’architecture — très solide d’ailleurs ! — de ce principe du vivant qu’est l’entraide.Quelles sont les principales découvertes qui ressortent de cette synthèse ?Ce qui nous a d’abord intéressés, dans la lignée des travaux du Plaidoyer pour l’altruisme de Matthieu Ricard (Nil, 2013), et La Bonté humaine de Jacques Lecomte (Odile Jacob, 2012), a été d’aller dans le monde des « autres qu’humains », et de voir que l’entraide était partout, tout le temps, et prenait des formes très diverses. Ensuite, ce qui nous a surpris, c’est l’entraide spontanée, et le fait par exemple qu’en situation de catastrophe, après une attaque terroriste, un tremblement de terre ou une inondation, il n’y a jamais de panique et peu de comportements égoïstes, mais au contraire des comportements spontanés d’entraide, de calme et d’auto-organisation. Les travaux en sociologie des catastrophes sont à cet égard massifs et convaincants. Cela va à l’encontre de notre imaginaire, de cette mythologie qui veut qu’en temps de catastrophe, tout le monde s’entretue dans une panique générale. Un mythe hollywoodien… Mais le fait que certaines personnes aient un élan prosocial ne suffit pas à faire société. Ce qu’on a découvert dans cette architecture de l’entraide est que son pilier est la réciprocité entre personnes : donner génère une irrépressible envie de rendre. C’est ce que le célèbre anthropologue Marcel Mauss appelait le « contre-don ». Pourtant une réciprocité simple entre deux personnes ne suffit toujours pas à faire société. On observe aussi que depuis des milliers d’années, la réciprocité s’étend au sein d’un groupe via des mécanismes de renforcement tels que la réputation, la punition des tricheurs, la récompense des altruistes, bref l’ensemble des normes morales que les groupes et même les institutions mettent en place pour généraliser les comportements prosociaux, l’entraide. Ces mécanismes s’observent dans tous types de groupes, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un pays, d’un club, d’une réunion de copropriétaires, etc.Pour autant, vous distinguez différentes échelles de groupes, qui appellent des niveaux de complexité croissants… Entre deux personnes, la réciprocité est très chaleureuse. Mais plus on agrandit le groupe, plus cette réciprocité s’étiole, se dilue, se refroidit, et donc nécessite de mettre en place des systèmes de renforcement. Dans les très grands groupes de millions de personnes, les systèmes coopératifs, institutionnels et froids tels que la sécurité sociale ou l’Education nationale sont devenus invisibles en tant que tels, alors qu’ils sont de puissants instruments d’entraide. Cette dilution des liens d’entraide pose la question de la taille limite du groupe. Au final, l’être humain est la seule espèce qui pratique l’entraide de manière si puissante, entre des millions d’individus non apparentés génétiquement, et souvent entre inconnus ! Nous sommes une espèce ultra-sociale. Ce sont les normes sociales, la culture et les institutions qui rendent ce phénomène possible.Par ailleurs, cette question de la taille du groupe permet aussi de mettre en relief certains mécanismes de l’évolution. Les évolutionnistes ont découvert ces dernières années un principe du vivant qui veut que lorsqu’un groupe se forme, ce soient les égoïstes qui « gagnent », notamment parce que, dans le cas des animaux, ils se reproduisent plus vite. Mais, ce faisant, ils désagrègent le groupe. Simultanément, une autre force évolutive agit à un niveau supérieur et sélectionne les groupes les plus coopératifs… Autrement dit, deux forces opposées, paradoxales, s’équilibrent en fonction de l’environnement et créent cette diversité de comportements, ce yin et ce yang entre égoïsme et altruisme. Il faut voir l’évolution comme un processus dynamique, un équilibre entre ces forces. Tout l’objet du livre était de mettre en lumière l’une de ces forces, l’entraide, pour ne pas rester dans une vision hémiplégique du monde.Vous soulignez dans l’ouvrage l’importance décisive du milieu sur ces équilibres, en convoquant la figure du prince anarchiste russe Pierre Kropotkine. Vous expliquez que ses découvertes sur l’entraide se fondent sur l’analyse d’un milieu de rareté et de pénurie, très différent du milieu d’abondance dans lequel Darwin a fait ses observations. Que nous apprennent ces travaux sur le contexte actuel, justement caractérisé par une raréfaction des ressources ? Kropotkine est un personnage fascinant. Ce grand géographe était passionné par Darwin, et pourtant il n’avait pas du tout une vision compétitive du monde vivant. Après avoir lu les écrits de Darwin, il est parti à la recherche d’observations de sélection naturelle. Il s’est rendu en Sibérie – un endroit froid et hostile —, et il y a vu surtout de l’entraide entre les individus, et que c’était précisément ce qui permettait aux espèces de survivre. Il en a tiré ce grand principe : l’entraide est un facteur d’évolution. Darwin ne le niait pas non plus, même s’il a mis davantage l’accent sur la compétition parce qu’il a mené ses observations dans les milieux tropicaux, qui sont des milieux d’abondance, où la compétition territoriale a plus de chances d’émerger. Cette anecdote historique montre d’abord qu’on peut faire dire beaucoup à une découverte, en termes idéologiques : l’Angleterre victorienne des débuts du capitalisme s’est tout de suite emparée de la théorie darwinienne pour justifier ses fondements éthiques — la compétition —, alors que l’anarchisme s’est emparé des travaux de Kropotkine pour justifier l’entraide et la solidarité.Ce principe général nous a frappés : dans le monde vivant, plus le milieu est hostile, pauvre ou difficile, plus l’entraide apparaît. Au contraire, plus le milieu est abondant, plus la compétition domine. Cette découverte va à l’encontre de notre mythologie libérale. On a plutôt tendance à croire que si des catastrophes adviennent, on va tous s’entretuer pour la dernière goutte de pétrole, pour le dernier sac de sucre dans les magasins. On est convaincu que lorsque que la pénurie arrive apparait une compétition généralisée, la loi du plus fort. Le monde vivant démontre le contraire. C’est un paradoxe qu’on a pu dénouer dans l’épilogue. En fait, ce n’est pas un paradoxe, les deux observations sont réelles, mais elles n’ont pas la même temporalité. A court terme, on peut effectivement se préparer aux catastrophes dans la peur, le repli et l’attente de la violence présumée. C’est ce qui caractérise le mouvement survivaliste, et c’est compréhensible. Mais à long terme, ce sont les groupes les plus coopératifs qui survivront aux catastrophes… C’est ce que nous apprend le vivant.

Dans le monde vivant, plus le milieu est hostile, pauvre ou difficile, plus l’entraide apparaît. Au contraire, plus le milieu est abondant, plus la compétition domine. Cette découverte va à l’encontre de notre mythologie libérale.

Votre livre est-il aussi une manière de prendre parti contre l’idéologie survivaliste, et en faveur d’une approche de type « transition », à la Rob Hopkins ?Ce n’est pas si tranché. Mon souci est de révéler tout l’éventail des postures. En fait, nous avons tous une part de survivaliste et de transitionneur en nous. Tout est question de curseur à la fois individuel et social. Si l’on met trop le curseur vers la compétition, la peur, la violence, on crée une société violente par prophétie autoréalisatrice, par anticipation. Notre vision du monde fabrique le monde qui vient. Le livre tente de décomplexer les personnes qui souhaitent se créer des récits plus coopératifs, altruistes, afin de rendre l’avenir moins violent. Mais c’est un pari ! Sur cette question, le point important à saisir est que nous vivons dans une société d’abondance grâce essentiellement aux énergies fossiles. Nous avons chacun l’équivalent de 400 esclaves énergétiques qui travaillent pour nous tous les jours pour nous nourrir, nous chauffer, nous transporter, etc. Le fait qu’on soit tous très riches énergétiquement nous donne la possibilité de dire à notre voisin : « Je n’ai pas besoin de toi, je t’emmerde ». Mais c’est un luxe de pouvoir dire ça ! L’abondance crée une culture de l’individualisme, de l’indépendance, alors que la pénurie crée une culture de la coopération et de l’interdépendance.Pourtant, l’abolition de l’esclavage suit de peu la Révolution industrielle, et l’on ne peut s’empêcher de voir une corrélation entre progrès techniques et une certaine horizontalisation des rapports sociaux…La conquête humaniste de l’abolition de l’esclavage a été rendue possible parce qu’on a découvert d’autres sources d’énergie comme le charbon. C’est un phénomène qui a été bien montré par des historiens des sciences comme Christophe Bonneuil ou Jean-Baptiste Fressoz. Mais il ne faut jamais oublier que pour maintenir une croissance, on a besoin d’énergie de manière exponentielle. On a donc eu besoin du pétrole, en plus du charbon, etc. Pour moi, cela ne conduit pas à une horizontalisation des rapports sociaux, mais au contraire à extension des inégalités, à des classes sociales de plus en plus stratifiées entre des ultra-riches et des pauvres de plus en plus nombreux. Certes, les rapports démocratiques se sont accrus, mais il faut se rendre compte que plus les sociétés sont riches énergétiquement, plus elles sont inégalitaires.Or vous montrez dans votre ouvrage que inégalités sont des freins à l’entraide… En effet, le sentiment d’inégalité et d’injustice est absolument toxique pour les relations d’entraide et la bonne santé d’un groupe. Par ailleurs, dans un précédent livre Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), nous montrions que les inégalités économiques et sociales avaient toujours été de grands facteurs d’effondrement des civilisations. Nous prenons aujourd’hui une trajectoire qui va dans ce sens, les inégalités sont revenues au niveau de la crise de 1929. On est au bord d’une cassure. Dit autrement, si l’on veut développer l’entraide de manière plus facile, fluide et spontanée, il faut absolument réduire les niveaux d’inégalité. C’est une condition indispensable.

Avec la diminution de l’approvisionnement en énergies fossiles, nous allons retrouver des sociétés plus petites où l’entraide sera plus facilement accessible, où les institutions auront moins de chances de généraliser la compétition au profit des puissants.

Comment faire pour réduire les inégalités ?Pas facile ! Dans Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2014), Thomas Piketty remarquait que les sociétés s’étaient mises à réduire les inégalités et à redistribuer pour le bien commun lors de grandes catastrophes comme la crise de 1929 ou les guerres mondiales. Ce n’est pas un plaidoyer pour la guerre, mais une constatation : plus on ira vers les catastrophes, plus à mon avis on refera naître des mécanismes d’entraide et de coopération. Je pense aussi qu’un enchainement de catastrophes mènera à une simplification des macro-structures d’organisation comme l’Europe ou l’Etat nation. Avec la diminution de l’approvisionnement en énergies fossiles, la taille de nos sociétés va se réduire et que nous allons retrouver des sociétés plus petites, où l’entraide sera plus facilement accessible, ou plus précisément, où les institutions auront moins de chances de généraliser la compétition au profit des puissants. Encore une fois, comme ça a été le cas depuis des millions d’années, les groupes les plus coopératifs survivront le mieux et les individualistes mourront les premiers.Peut-on voir dans la crise catalane un signe de cet effritement des macro-structures ? J’aimerais vous dire que oui, mais je n’en suis pas sûr, car en Catalogne, la poussée indépendantiste est ancienne. D’une manière générale, je suis favorable à une diminution des niveaux d’échelle et de la taille des organisations, ce qui nous conduirait, par exemple à une Europe des régions et un fédéralisme régional. La taille de l’Etat me paraît disproportionnée, inhumaine pour gérer des groupes humains. Ce fédéralisme devrait évidemment s’accompagner de mécanismes de redistribution et d’entraide entre régions. L’un des problèmes de la Catalogne, c’est qu’elle semble se détacher parce qu’elle est très riche et qu’une frange de ses habitants ne veut plus participer à la redistribution avec les régions les plus pauvres d’Espagne. Ce qui est intéressant aussi dans cette émergence des régionalismes et des nationalismes, c’est le sentiment identitaire qu’elle peut révéler. Pour prendre le cas de l’Europe, sa construction s’est faite à l’envers, en retirant les frontières sans bâtir d’Europe politique. Ainsi, on a miné le sentiment de sécurité des Européens, ce qu’on a appelé la « membrane de sécurité » du groupe. Depuis quarante ans, en Europe, le choix a été de mettre tout le monde en compétition, ce qui a créé un sentiment d’insécurité, extrêmement néfaste pour l’apparition de comportements de solidarité et d’entraide. Pire : par un retour de bâton, les gens se tournent vers le nationalisme parce c’est le moyen le plus facile et le plus connu de se sentir en sécurité, dans une sorte de membrane de protection. Les poussées identitaires sont selon moi une conséquence de la libéralisation et de la mise en compétition de chacun contre tous. Pour palier cette dérive, l’une des pistes serait par exemple de remettre des frontières. Mais de belles frontières ! En décidant ensemble ce qu’on laisse passer et ce qu’on ne laisse pas passer. Plutôt que de laisser passer les marchandises et de stopper les humains, faisons par exemple le contraire. Mais je suis conscient que cette idée va à contre-courant de l’idéologie actuelle qui fait de l’idée de frontière ou de protectionnisme des gros mots. Pourtant, ce n’est que lorsqu’on se sent en sécurité qu’on peut aller vers l’autre et tisser des liens d’interdépendance…Dans votre livre justement, vous faites état de recherches qui montrent les effets positifs sur l’entraide de la norme sociale, de la punition, de la sécurité. Ces résultats vont à l’encontre d’une certaine doxa, à gauche notamment, qui tient ces notions pour suspectes. Vos découvertes vous ont-elles amené à négocier avec certains de vos principes « moraux » ?Je pourrais répondre de manière oblique grâce à l’exemple de Kropotkine, qui, au début du 20e siècle, s’est mis toute la droite à dos parce qu’il s’opposait à un imaginaire de compétition généralisée, mais qui s’est aussi mis à dos toute la gauche marxiste qui pensait qu’il fallait se séparer de la nature pour pouvoir « faire table rase » et mettre en œuvre des sociétés coopératives…Dans le livre, en effet, nous parlons aisément de mécanismes de punition, de réputation (l’importance des ragots dans l’apparition de l’entraide), mais aussi de sécurité, de frontières, de norme sociale. Ce sont des mots qui ont une connotation négative à la fois pour l’individu libéral (qui déteste être contraint), mais aussi pour la gauche, qui s’est par exemple dessaisie de la question de la sécurité, pourtant fondamentale. C’est l’un des besoins les plus élémentaires de l’être humain ! Prenez simplement le besoin de « sécurité sociale », par exemple. Je pense au contraire que ce sont des mécanismes qui, s’ils sont maîtrisés, justes, et à la bonne échelle, sont absolument essentiels à toute société. Notre proposition est d’arriver à le constater, à l’accepter et à maîtriser tous ces mécanismes pour devenir des experts en coopération, et pas seulement en compétition.Vous évoquez la désignation d’un bouc émissaire, d’un ennemi commun comme un moyen de renforcer la cohésion des groupes, et notamment des groupes de grande taille. Mais vous expliquez qu’il existe d’autres manières de fédérer des groupes. Lesquels ?Lorsqu’on veut souder les membres d’un groupe, l’un des mécanismes les plus courants consiste à créer un épouvantail extérieur, un grand méchant loup. Le groupe devient alors un super-organisme où les relations se fluidifient, et les individus s’entraident pour aller détruire l’ennemi. L’effort de guerre par exemple soude de manière très forte les habitants d’un pays. Mais on a découvert qu’on n’était pas obligé de créer un grand méchant loup : le fait de subir des catastrophes, des aléas climatiques permet aussi de souder les groupes, et plus généralement, sous certaines conditions, le fait d’avoir un objectif commun le permet aussi. Plusieurs ingrédients, plusieurs mécanismes possibles, permettent donc de renforcer l’entraide au sein des groupes.

Ce qui m’a toujours gêné dans la notion d’humanité, est qu’elle exclut les « autres qu’humains » et crée une société « hors-sol »

Dans votre ouvrage, vous n’évoquez pas ce modèle capitaliste et technologique d’entraide, qu’est l’économie collaborative, porté notamment par Jeremy Rifkin. Des plateformes comme Airbnb ou Blablacar usent peu ou prou des mêmes mécanismes de renforcement de l’entraide que ceux que vous décrivez – la réputation et la punition des comportements antisociaux notamment. Quel regard portez-vous sur ce modèle ? J’y vois deux niveaux de lecture. D’abord, comme Rifkin, je constate l’émergence d’une société fondée sur des modes d’organisation plus horizontaux, latéralisés, et sur des structures en réseau. C’est un fait, et ce mode d’organisation est très puissant car il s’inspire des processus vivants. Dans la nature, les structures hiérarchiques pyramidales n’existent pas car elles sont très mauvaises pour s’adapter à un environnement changeant. Mais ensuite, il y a le problème que ces nouvelles organisations ne sont pas forcément reliées à une éthique ni à une raison d’être qui favorise le bien commun. On peut avoir des groupes très collaboratifs qui ont une raison d’être délétère pour la société. Si le but d’une telle horizontalité est d’enrichir des actionnaires, de générer toujours plus d’argent et d’inégalités, je n’y vois pas d’intérêt. Au contraire, c’est même plutôt dangereux.Dans votre ouvrage, affleure aussi cette question abondamment discutée dans l’espace intellectuel et médiatique, de la nécessité d’étendre la notion d’entraide au-delà de l’espèce, à l’ensemble du vivant… Oui, c’est la question très contemporaine du spécisme, du véganisme, que je trouve passionnante. J’aime beaucoup cette tendance actuelle à décloisonner l’humanité. Ce qui m’a toujours gêné dans la notion d’humanité, est qu’elle exclut les « autres qu’humains » et crée une société « hors-sol », qui permet de plus facilement tuer ou exploiter ce qui n’est pas humain. Elargir la frontière du groupe aux êtres vivants permet de retrouver une fraternité avec les autres qu’humains et donc des relations d’interdépendance beaucoup plus fortes. Elargir la frontière ne veut pas dire renoncer à nos membranes, ça n’enlève rien à nos identités, cela les enrichit. Je ressens une certaine fraternité avec l’ensemble des humains, mais je peux aussi ressentir une certaine fraternité avec un brin d’herbe, un goéland, une bactérie ou un scarabée. On se rapproche alors de sensations proches des extases mystiques, et de ce que Freud appelait le « sentiment océanique ». Cette sensation d’interdépendance radicale avec un grand tout (avec un truc qui nous dépasse) n’est pas seulement agréable, elle est aussi puissante et plutôt bienvenue à notre époque. Cela fait du bien à nos relations avec le reste du monde. J’ai pourtant une culture scientifique, rationaliste, et je suis toujours aussi fâché avec les religions, mais par ce chemin de l’interdépendance, je redécouvre le sens du sacré… C’est très étrange, et fascinant.Crédit photo : Jérôme PanconiA lire pour en savoir plus :L'entraide : l'autre loi de la jungle, de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, éditions Les Liens qui Libèrent, octobre 2017, 22 euros.L'entraide : un facteur de l'évolution, de Pierre Kropotkine, Les éditions Invisibles (d'après l'édition Alfred Costes), 1906, à lire ici en format pdf .

2017-10-13
Ecologie
Scott D. Sampson : "Nous ne résoudrons pas la crise écologique si nous ne réduisons pas l’écart entre les enfants et la nature"

Son dada à lui, ce sont les dinosaures. Paléontologue chevronné et vulgarisateur scientifique hors pair, le canadien Scott D. Sampson est aussi un fervent défenseur de la nature. Dans Comment élever un enfant sauvage en ville (éditions les Arènes, 2016), il souligne la nécessité d’engager les plus jeunes à renouer avec un milieu naturel que l’urbanisation, le règne des écrans et l’obsession sécuritaire rendent de plus en plus lointain et abstrait. Il a expliqué à midi :onze comment faire.

Vous êtes un biologiste un paléontologue de renom. Pourquoi avez-vous choisi d’écrire Comment élever un enfant sauvage en ville ?

Ma mère et mon père avaient en commun leur amour de la nature, et ils s’adonnaient à cette passion en allant fréquemment camper ou lors d’excursions dans des espaces naturels. Evidemment, dans les années 1960 et 1970, la plupart des enfants avaient la liberté de vagabonder. Pour moi, cela équivalait à explorer la forêt située à quelques blocs de ma maison dans les quartiers ouest de Vancouver, en Colombie Britannique. Ma mère en particulier était un merveilleux mentor, même si je doute qu’elle se définissait de cette manière. Elle alimentait en permanence ma curiosité pour tout ce qui avait trait aux sciences naturelles. L’un de mes sujets de prédilection était les dinosaures. Alors que tous les enfants ont leur phase dinosaure, je n’en suis jamais sorti ! Certains aiment à dire que je ne suis jamais vraiment devenu adulte !En tant que père d’une adolescente, j’ai eu très envie d’élever une enfant sauvage. Quand j’ai découvert qu’il n’y avait pas de livres grand public offrant aux parents, aux enseignants et autres éducateurs les outils et stratégies dont ils avaient besoin pour connecter les enfants avec la nature,  j’ai décidé d’écrire Comment élever un enfant sauvage en ville.

Dans ce livre, vous décrivez une enfance contemporaine confinée entre les quatre murs du logement ou de l’école, alors que votre propre enfance était une succession d’explorations de votre environnement. Quand s’est opéré ce basculement, et quelles en sont les causes ?

La « migration vers l’intérieur » de l’enfance s’est opérée seulement à la dernière génération. Les technologies numériques en sont les principales responsables : une fois passé tant de temps devant des écrans, il en reste bien peu pour les aventures en plein air. Vient ensuite la peur du risque, et l’idée que les enfants vont devoir affronter la menace d’inconnus si on les laisse sans surveillance. Alors que les taux d’enlèvements et d’abus d’enfants par des étrangers ne sont pas plus élevés aujourd’hui qu’en 1950 ou 1960, les peurs parentales en ce domaine sont bien réelles et ne peuvent être dissipées. Autre problème : l’emploi du temps surchargé des enfants. Pour leur offrir les meilleures chances de réussite et d’épanouissement, on leur donne beaucoup plus de devoirs que la génération précédente. Et c’est désormais la norme de les inscrire au sport, à un cours de musique, et autres activités extra-scolaires. Il ne s’agit pas de rendre les parents et éducateurs fautifs de cette migration vers l’intérieur : chacun veut le meilleur pour ses enfants. Mais il est temps de faire une pause et d’admettre que nos efforts en ce sens ne sont peut-être pas ce qu’il y a de mieux pour la santé et le bonheur de nos enfants, ni pour développer leur potentiel. La nature n’est pas une panacée, mais elle peut être une étape décisive vers une enfance plus saine et épanouissante.

Quels sont les effets d’une éducation passée à l’intérieur (sur la santé, mais aussi sur le changement climatique, la biodiversité, etc.) ?

L’idée d’écrire Comment élever un enfant sauvage en ville est née d’un double constat. Le premier tient à la déconnexion contemporaine des enfants et de la nature, et de ses effets sur leur santé. L’enfant nord-américain moyen passe entre sept et dix heures par jour devant un écran, et quelques minutes à jouer librement dehors – ce qui constitue un changement dramatique par rapport à la génération précédente. Sans surprise, les taux d’obésité, de TDAH (trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité), de maladies cardiaques et de dépression infantiles ont monté en flèche. De nombreuses études démontrent à présent l’importance cruciale du jeu libre pour le développement physique et cérébral. D’autres études tout aussi nombreuses soulignent le pouvoir de l’apprentissage pratique et en contexte dans des espaces naturels. Pour le dire simplement, les enfants ont besoin de nature, et ce besoin n’est pas satisfait.

"L’enfant nord-américain moyen passe entre sept et dix heures par jour devant un écran, et quelques minutes à jouer librement dehors – ce qui constitue un changement dramatique par rapport à la génération précédente. Sans surprise, les taux d’obésité, de TDAH (trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité), de maladies cardiaques et de dépression infantiles ont monté en flèche." Scott D. Sampson

Le second constat tient à la santé des espaces où nous vivons. Demandez à un groupe de scientifiques de nommer les principaux défis de notre temps : il y a fort à parier qu’ils vous citent le changement climatique, l’extinction des espèces et la destruction de leur habitat. A cette liste, nous devons ajouter une autre crise très largement commentée : la déconnexion homme/nature. Or, comment créer des sociétés écologiques et durables si nous ne nous soucions pas des lieux où nous vivons ? Et comment s’en soucier si nous ne passons pas du temps en plein air, et n’établissons aucune connexion intellectuelle et émotionnelle avec ces espaces ? Aider les enfants à tomber amoureux de la nature mérite d’être une priorité nationale (et internationale), au même titre que la réduction des émissions de GES et la préservation des espèces et espaces naturels. En effet, on peut démontrer qu’il sera impossible de résoudre la crise écologique si nous ne réduisons pas l’écart entre les enfants et la nature.

A l’inverse, quels sont les bénéfices d’un contact régulier avec la nature ?

Des recherches récentes indiquent que les expériences menées dans la nature sont essentielles à une croissance saine. Une exposition régulière  la nature peut atténuer le stress, la dépression et les troubles déficitaires de l’attention. Elle réduit également l’agressivité, combat l’obésité et dope les résultats scolaires. Plus significativement encore, passer du temps dans des espaces naturels semble bénéfique au développement cognitif, social et émotionnel des enfants.

Dans nos sociétés urbaines, les enfants connaissent principalement la nature à travers des écrans et des images. Les livres pour enfants, notamment, sont pleins de vaches, de moutons et de loups. Dans votre livre, vous explique qu’une telle approche ne remplace pas le contact direct avec la nature. Pourquoi ?

Les technologies et les images de la nature peuvent être les adjuvants d’une connexion avec la nature. Mais la vraie connexion s’enracine dans  l’expérience directe, fréquente, multisensorielle dans des espaces extérieurs sauvages et semi-sauvages. Heureusement, on peut trouver ce genre d’espaces y compris dans les villes.

Comment les adultes peuvent-ils aider les enfants à se connecter avec la nature ?

Le processus de connexion avec la nature résulte de trois facteurs, applicables à tout âge, et contenus dans l’acronyme EMC.  E désigne l'expérience, entendue comme une série de contacts directs qui engagent tous les sens. La nature doit être appréhendée par les yeux, les oreilles, l’odorat et les pores de la peau tout autant que par le cerveau. Une minorité d’entre nous ont besoin d’être convaincus qu’il existe une légenre différence entre tenir une limace ou contempler un ciel étoilé par une chaude nuit d’été et leurs versions virtuelles. Seule cette expérience directe a le pouvoir de nourrir des connexions émotionnelles.

"La nature doit être appréhendée par les yeux, les oreilles, l’odorat et les pores de la peau tout autant que par le cerveau." Scott D. Sampson

Le M de EMC est le mentorat. Etre un mentor de la nature ne revient pas à apprendre aux enfants à survivre dans un milieu sauvage. Cela ne nécessite pas d’être un expert de la nature (même si certains mentors le sont), ou de guider chaque activité d’un enfant au grand air. Un mentor pose beaucoup de questions et offre peu de réponses. Il est un complice, un compagnon d’explorations, un chasseur d’indices, qui dirige de derrière plutôt que de devant. Le mentor accorde lui-même de la valeur à la nature, et transmet cette valeur aux enfants. Plus important, il s’assure que les enfants disposent d’un temps suffisant et libre dans les espaces naturels.Le dernier point de EMC est comprendre. L’accent ici n’est pas mis sur l’accumulation d’informations sur la nature, telles que le nom des plantes et des animeaux (même si cela arrive). Bien plus important est de donner au enfants un sens du grandiose de l'environnement, et de les aider à percevoir les connexions profondes qui les lie au monde naturel. De quelle manière l’énergie et la matière irriguent votre écosystème ? Quelle est l’histoire de votre environnement – celui qui englobe la Terre, la vie et les humains ? Une fois que ce savoir de base est instillé, même de façon générale, les enfants gagnent durablement en perspicacité. Et pour que la connexion avec la nature puisse réellement se faire, la connaissance doit être incarnée et être de nature à influer aussi bien sur l’esprit que sur les émotions. Si les adultes s’assurent que les enfants reçoivent ces trois ingrédients, ceux-ci vont naturellement entrer en contact avec la nature.

Dans votre livre, vous décrivez l’adulte comme un mentor et l’invitez à se comporter comme un coyote. Pouvez-vous développer cette idée ?

Les coyotes sont malins. Tout comme les mentors. Ils inspirent non pas en rapportant des faits, mais en posant des questions provocantes. Ils guident les enfants en conspirant avec eux. Ils créent des occasions de surprise et d’émerveillement. Et ils permettent aux enfants d’avoir autant de liberté que ne l’autorise leur sécurité. Dès le milieu de l’enfance (et parfois plus tôt), les enfants ont besoin de se séparer des adultes et d’en être indépendants. L’un des plus grands défis des mentors de nature est de satisfaire ce besoin, et de combattre la tentation d’être toujours présent. Au lieu d’être des parents « hélicoptères », il faut se faire colibri – ce qui consiste à donner aux enfants de l’espace et de l’autonomie pour prendre des risques, en sirotant du nectar à distance et à s’approcher seulement si c’est nécessaire. Si l’idée de rester en arrière vous rend nerveux, éloignez vous progressivement et voyez comment vous réagissez. Surveillez aussi la façon dont les enfants ressentent votre éloignement. A mesure qu’ils grandissent, il devient de plus important d’acter cette séparation pour laisser aux enfants la liberté de prendre des risques, de faire des erreurs et d’en assumer les conséquences. Le but ne devrait pas être d’éliminer le risque ; mais plutôt d’apprendre aux enfants à appréhender le risque, faute de quoi ils devront en subir des conséquences bien plus grandes une fois adolescents ou adultes. En suivant cette voie vers une liberté de plus en plus grande, vous verrez vos enfants gagner en capacité et en confiance en eux.

"Des interactions fréquentes avec le monde naturel à proximité de chez soi sont les plus à même d’influencer nos émotions et de favoriser une connexion profonde." Scott D. Sampson

La traduction française de votre livre est « Comment élever un enfant sauvage en ville. » Dans votre ouvrage au contraire, vous décrivez des expériences menées dans un contexte naturel. Est-il possible d’élever un enfant sauvage en ville, où la nature sauvage est absente ? Si oui, à quelles conditions ?

Dans la mesure où le contact avec la nature doit s’appuyer sur une vaste somme d’expériences en plein air, l’enjeu est moins de faire des excursions ponctuelles dans des espaces vraiment sauvages tels que les parcs nationaux, que de passer davantage de temps dans une nature proche. Des interactions fréquentes avec le monde naturel à proximité de chez soi sont les plus à même d’influencer nos émotions et de favoriser une connexion profonde. C’est pourquoi la nature proche qui s’épanouit dans les arrière-cours, les jardins, les cours d’école et les parcs sont des terrains plus propices à une connexion avec la nature que des paysages sauvages plus éloignés. La clé est de commencer à remarquer la nature environnante, à s’engager avec elle directement, et à promouvoir cette capacité à l’émerveillement qui vient naturellement aux enfants.

Quel rôle l’école peut-elle jouer dans cette découverte de la nature ?

Les écoles peuvent jouer un rôle immense dans la connexion avec la nature. En effet, l’éducation à la nature se diffuse partout dans le monde. Les cours d’écoles peuvent devenir des salles de classe, tout particulièrement si elles sont agrémentées de jardins et de plantes vernaculaires susceptibles d’attirer les insectes et les animaux. Une simple requête Google sur les « cours d’écoles vertes » vous révélera pléthore d’idées incroyables !Quels sont les obstacles à une telle « école de la nature » ?Le plus grand obstacle aux « écoles de la nature » est le manque d’expérience des enseignants en matière d’enseignement en plein air et de capacité à mobiliser les élèves sur n’importe quel sujet en utilisant la nature environnante. Heureusement, il existe aujourd’hui de nombreuses ressources en ligne et formations pour les enseignants…

Pour en savoir plus :

Scott D. Sampson, Comment élever un enfant sauvage en ville, éditions les Arènes, 2016, 396 pages, 21,90€

2017-02-16
Ecologie
"Partir" au Château de Blois : l'architecture mobile entre hédonisme et catastrophe

Au Château royal de Blois, le FRAC Centre-Val de Loire examine dans l’exposition « Partir – Architectures et mobilités » un corpus d’œuvres d’art et de projets architecturaux qui interrogent depuis les années 1950 le devenir nomade de l’homme du 20e et 21 siècle…En Occident, la mobilité est un art de vivre, une valeur, et sans doute une vertu. A son évocation, se dressent les images, également séduisantes, de l’individu métropolitain hyperconnecté et du voyageur (touriste ou traveller) en quête d’hédonisme et d’ailleurs. L’individu mobile se donne pour curieux, émancipé et ouvert sur le monde, à l’exact inverse de la posture du « repli ». A cette mobilité choisie sinon revendiquée, le réfugié vient pourtant superposer une toute autre image : celle d’un mode d’existence et d’habitat précaires et contraints par la nécessité de fuir la catastrophe – climatique, économique, politique.Soucieux d’interroger les formes artistiques et architecturales auxquelles donne naissance le nomadisme du 20e et 21e siècle, le FRAC Centre - Val de Loire oscille naturellement entre ces deux figures. En lien avec le thème « Partir » des rendez-vous de l’Histoire 2016, l’institution puise dans ses collections et déroule au Château de Blois une histoire de l’architecture mobile qui en explore tout à la fois la part d'utopie et la vocation critique.Ce tour d’horizon présente d’abord quelques projets conçus dans les années 1950, à l’heure où l’avènement de la société des loisirs et le développement des systèmes de communication et de transport font de la mobilité une question sociétale de premier ordre : de la Maison tout en plastiques (1956) de Ionel Schein au projet de « Ville spatiale » (1959), entièrement modulable, extensible et démontable de Yona Friedman, les imaginaires se portent alors vers un mode de vie libre et presque sans attaches. Dans la décennie suivante, l’invention de la Cité aérienne (1964-65) de Pierre Székely qui évolue à plus de mille mètres d’altitude, la maison de vacances volante (1963-64) de Guy Rottier ou Instant City d’Archigram, poussent un degré plus loin ce fantasme d’un homme hors-sol, que la conquête spatiale contribue à éloigner de son ancrage terrestre. Dès l’époque, pourtant, l'image idéalisée du traveller hédoniste commence à se craqueler : dans My Wings (1970), Mario Terzic rejoue le mythe d’Icare pour mieux évoquer la guerre du Vietnam et l’enracinement, tandis que les architectes italien du groupe Cavart ou Ettore Sottsass font de l’architecture éphémère et du « bricolage » une charge contre la culture industrielle. Au fil des décennies, la figure dystopique du campeur post-apocalyptique héritée de la Guerre froide, bientôt relayée par celle du réfugié contemporain, prend ainsi le pas sur celle du voyageur émancipé, et annonce l'avènement d’une nouvelle mobilité planétaire largement contrainte par l'état du monde. Significativement, l’exposition se clôt ainsi par une carte blanche au PEROU, pôle d’exploration de ressources urbaines ayant notamment arpenté la jungle de Calais (voir notre interview de Sébastien Thiéry ici) et qui entend expérimenter de nouvelles tactiques urbaines pour « fabriquer de l’hospitalité tout contre la ville hostile ».Infos pratiques :"Partir - Architectures et mobilités" - Du 6 octobre au 12 décembre 2016Château de Blois, 6 place du Château - 41000 Blois.Tous les jours de 9h à 18h - Tarif plein : 10 euroshttp://www.frac-centre.fr

2016-10-19
Ecologie
Terre vivante : un éditeur durable

Créée en 1979 par une poignée de militants, Terre vivante s'est peu à peu taillé la part du lion dans le domaine de l'édition écologique. Avec un magazine bimestriel, une douzaine de publications annuelles et un centre écologique ouvert au public, cette structure atypique a su évoluer pour mieux répondre aux attentes d'un lectorat en pleine expansion.

Sur son site Internet, Terre vivante annonce « 30 ans au service de l'écologie ». Un âge respectable, quand on sait combien récent est l'engouement des professionnels du livre pour le développement durable. Du reste, la maison d'édition n'est pas seulement un acteur « historique » de l'édition verte : organisée en SCOP depuis 2005, cette structure d'une trentaine de personnes est aussi un modèle d'organisation, et prouve si besoin était que l'écologie n'est pas incompatible avec le monde de l'entreprise.

Tout commence en 1979. Cette année-là, sept amoureux de la nature créent une association destinée à promouvoir les techniques et modes de vie respectueux de l'environnement et de la santé. Leur démarche est emblématique du basculement qui s'opère à la fin des années 1970 : loin des grandes « causes » de la décennie écoulée, ces militants plus gandhiens que soixante-huitards se veulent pragmatiques. Le magazine des 4 saisons, qui commence à paraître dès 1980, en est une bonne illustration : que ce soit en matière de jardinage, d'habitat, d'alimentation ou de santé, il offre à ses lecteurs un bouquet de solutions concrètes à mettre en oeuvre dans le cadre de la vie quotidienne. Et ça marche. Non seulement le nombre d'abonnements croît rapidement, mais une communauté se fédère autour du magazine : on appelle ça « l'esprit 4 saisons ».

Face à ce succès, les membres de Terre vivante décident dès 1982 d'offrir à leurs lecteurs un complément d'information en se lançant dans l'édition de livres. Comme le magazine, les titres publiés s'adressent essentiellement au particulier avide de solutions concrètes. Tout au plus la maison d'éditions concède-t-elle de temps à autre un ouvrage dédié aux grands enjeux écologiques. Mais le contexte économique actuel pourrait bien amener Terre vivante à diversifier ses publications.

Comme le confesse Claude Fournier, directrice générale de la maison depuis 1986, les deux dernières années ont marqué l'émergence d'un phénomène auquel ces éditeurs « historiques » étaient peu habitués : la concurrence. « Depuis le Grenelle de l'environnement, la niche explose, le marché émerge, explique Claude Fournier. Il est même probable qu'en ce moment, il précède la demande. » Aussi Terre vivante est-il particulièrement vigilant : « nous sommes plus que jamais attentifs à éditer des livres qui durent, qui soient bien documentés et bien illustrés, nous explique Claude Fournier. Surtout, nous nous sommes fixé un nouvel objectif : produire environ 20 livres par an à partir de 2010. Il s'agit de répondre aussi bien au débutant motivé qu'à l'amateur confirmé ».

Pour faire face à ses concurrents, Terre vivante possède de solides atouts. Premier d'entre eux : sa légitimité. Les ouvrages publiés par la maison d'édition sont de qualité et largement diffusés. Surtout, ils sont conçus de la façon la plus écologique possible : « En tant qu'éditeurs durables, nous voulons faire des livres qui durent, explique Claude Fournier. Donc, plutôt que de rentrer dans la logique actuelle du livre jetable, on met à jour, on réédite, on essaie de faire vivre le fond. Idem pour la production : les livres sont imprimés à moins de 600 kms du siège social et nous apportons un soin particulier au choix du papier. Seul bémol : le transport. D'où notre intérêt croissant pour le livre électronique ».

Cette conformité de Terre vivante aux valeurs qui ont fait son succès excède du reste le strict champ de l'édition. En effet, depuis 1992, l'association a quitté Paris pour Mens, dans les environs du Vercors, où elle a aménagé un parc à thème écologique ouvert au public de mars à septembre. Soit 50 hectares où réserves naturelles, jardins et maisons bioclimatiques offrent au visiteur un concentré d'écologie pratique dans le droit-fil de la maison d'édition.

Pour en savoir plus

Le site Internet de Terre vivante http://www.terrevivante.org/

2009-09-09
Ecologie
Du tri au recyclage : vers l'objectif zéro déchet

Réduire, réutiliser et recycler : l'objectif zéro déchet est d'une simplicité désarmante. Voici comment faire.

Réduire, réutiliser et recycler : l'objectif zéro déchet est d'une simplicité désarmante. L'ordre de ces « trois R » est important. Il s'agit en effet de tendre en premier lieu à l'élimination des déchets à la source, de bannir ensuite le jetable au profit du durable, et enfin de valoriser au mieux les déchets subsistants.

Le fonctionnement se veut proche de celui des écosystèmes : une logique cyclique, plutôt que linéaire, dans laquelle les déchets des uns constituent une ressource pour les autres. L'objectif zéro déchet vise donc plus précisément à réduire au minimum possible les déchets résiduels qui subsistent à la fin de la chaîne de traitement.

En France, c'est 80 % des déchets ménagers qui étaient encore mis en décharge ou incinérés en 2004, contre 13% triés pour recyclage et 6% subissant un traitement biologique (compostage ou méthanisation).La mise en décharge est pourtant limitée depuis le 1er juillet 2002 aux seuls déchets ultimes, c'est-à-dire ceux dont on ne peut plus réduire le caractère polluant ou dangereux « dans les conditions techniques et économiques du moment ». Si ces limites techniques et économiques existent en effet, force est de constater que l'objectif zéro déchet n'est pas un simple leurre.

Et si nos ordures étaient la principale ressource de demain ?

La valorisation matière (recyclage, compost) ou énergétique (récupération de chaleur, production de biogaz) permet à nos déchets d'être à nouveau utilisés comme matière première.

Les politiques zéro déchets font intervenir une palette de techniques, qui, combinées, permettent de maximiser la valorisation. Parmi les initiatives les plus souvent retenues : mise en place du tri sélectif permettant un recyclage plus efficace, distribution de composteurs individuels et mise en place de plateformes de compostage collectif.

Mais la démarche ne se réduit pas au recyclage ou à la valorisation. Les politiques zéro déchet visent à encourager la production propre et l'éco-conception des produits, pour réduire à la source la quantité de déchets produite, et surtout limiter l'utilisation de matériaux polluants ou qui ne pourraient être traités.

Jusqu'à 80% de déchets valorisés en Nouvelle-Zélande

De nombreuses collectivités dans le monde ont d'ores et déjà mis en place leur plan zéro déchet.

La Nouvelle-Zélande est l'un des pays précurseurs, le gouvernement ayant dès 1997 créé une fondation vouée à la promotion de cette politique. La Zero Waste New Zealand Trust accompagne ainsi plus de la moitié des collectivités locales du pays. Dans certaines d'entre elles, jusqu'à 80% des déchets sont détournés de la mise en décharge.

Certaines communes françaises sont également engagées depuis plusieurs années dans une démarche de réduction active des déchets. Dans la Communauté de Communes de la Porte d'Alsace, où l'on a distribué des composteurs à partir de 1994 et mis en oeuvre la pesée-embarquée dès 2001, 70% des déchets collectés sont désormais destinés à la valorisation matière.

Chiffres : ADEME (France), Zero Waste NZ Trust, Communauté de Communes de la Porte d'Alsace.

2008-12-09
Ecologie
Les biocarburants : d'une génération à l'autre

Les biocarburants seraient une alternative crédible au carburant classique dérivé du pétrole ? Pas sûr,  leur concurrence directe avec la filière alimentaire semble désormais les condamner à une utilisation limitée. Place désormais au biocarburant de deuxième génération issu de ressources végétales, agricoles et forestières, jusqu'alors inexploitées.

Depuis le 1er janvier 2009, les grands groupes pétroliers ont dû avaler la (petite) pilule. Les biocarburants (éthanol, superéthanol, EMHV) font en effet l'objet d'une réduction progressive des avantages fiscaux dont ils bénéficiaient jusque-là. Pire, cette réduction de la TIPP (Taxe Intérieure de consommation sur les Produits Pétroliers) sera graduellement diminuée jusqu'en 2012. En réalité, les biocarburants sont simplement victimes de leurs succès. Si le gouvernement avait jusqu'à cette année encouragé les sociétés pétrolières à incorporer du biocarburant dans les essences classiques (via ces avantages fiscaux), la mesure avait si bien fonctionné qu'elle menaçait désormais de coûter trop cher à l'état. Or, en ces périodes de disette financière, toute dépense excessive (même bordée de bonne intention) n'est pas forcément la bienvenue. Mais pas de panique, les biocarburants devraient subir une augmentation de seulement 2 centimes du litre d'ici 2012. Mieux, le gouvernement va désormais encourager les particuliers à s'équiper de véhicules roulant au super éthanol E85, grâce à un abattement de 40 % sur les taux d'émissions de CO2. On vous conseillera pourtant avant tout achat précipité la consultation de la carte des stations E85 de France, car le seuil des 300 lieus de distribution en France n'a même pas encore été dépassé.  

Une première génération condamnée ?

Aujourd'hui, la plupart des biocarburants commercialisés sont dits de "première génération". On entend par là tout les carburants issus d'origine agricole (maïs, soja, céréales, tournesols...). Mais si cette première génération a permis de développer de nouveaux marchés agricoles (nombres de paysans brésiliens vivent aujourd'hui grâce à cette culture), elle a aussi atteint ses limites en concurrençant directement la filière alimentaire et en limitant ses surfaces exploitables. Autrement dit : en nourrissant les voitures au détriment des hommes. Une problématique pointée du doigt du dernier sommet de la FAO sur la sécurité alimentaire en 2008. L'exemple le plus flagrant provient forcément du bioéthanol. Présent Portes de Versailles sur le Salon de l'Agriculture (21 février au 1er mars), cette filière expose sur son "Village du Bioéthanol" (Hall 2.2) une Renault Clio Rip Curl qui roule à l'E85. Du champ au pot d'échappement, le bilan en gaz à effet de serre de carburant est plutôt bon. Selon l'ADEME, l'éthanol issu du blé émet 60% de CO2 en moins qu'un carburant de référence. Mais gros point noir, il utilise les ressources alimentaires de base (amidon, canne à sucre, céréales) pour sa production.

2009-03-10
Ecologie
Les biocarburants : d'une génération à l'autre (2e partie)

Les biocarburants seraient une alternative crédible au carburant classique dérivé du pétrole ? Pas sûr,  leur concurrence directe avec la filière alimentaire semble désormais les condamner à une utilisation limitée.

Adieu la graine, bonjour la tige

L'axe de recherche s'oriente donc désormais sur des carburants de deuxième génération, tirés de cultures non alimentaires ou "ligno-cellulosiques dédiées", c'est-à-dire valorisant la plante entière (par exemple, l'épi de maïs est utilisé comme denrée alimentaire et la tige de la plante, comme productrice de biocarburant). Plusieurs annonces récentes de pétroliers vont d'ailleurs dans ce sens. Le groupe britannique BP (numéro trois mondial) a racheté l'année dernière la société américaine Verneium, productrice d'éthanol cellulosique. Un carburant de seconde génération qui sera produit dans une usine de Floride à partir de 2012 avec 800 000 barils par an. De son côté, le groupe français Total a annoncé en septembre 2008 sa participation au projet Futurol sur les biocarburants de deuxième génération. Prévu sur huit ans, l'objectif de cette société française est de concevoir un combustible créé à partir de la fermentation de la biomasse (valorisation des déchets des forêts et de l'agriculture) grâce à l'apport d'une enzymes capables d'accélérer la décomposition du bois, des déchets urbains ou de la paille. Certains constructeurs eux-mêmes se sont lancés dans la production de ce type de carburant, à l'image de Toyota qui a annoncé une production industrielle pour 2015.

Un baril à 65 dollars sinon rien

Toutes ces initiatives encouragées par les subventions publiques devraient permettre de poursuivre la dynamique engagée sur les biocarburants, tout en respectant la filière agricole classique. Un virage bienvenu d'autant que les biocarburants ne représentent aujourd'hui que 0,7% du marché mondial alors qu'on prévoit qu'ils atteignent 4 à 7% à l'horizon 2030. Mais de nombreux défis restent encore à relever pour permettre à cette nouvelle génération de carburant d'atteindre une telle production. Son coût de production à grande échelle devra être rentabilisé pour permettre aux grandes firmes pétrolières de se lancer concrètement sur le créneau. Le prix du baril de pétrole sera donc un indicateur essentiel à cet effet. Selon l'Institut français du pétrole, seul un gazole produit à partir d'un brut à 60-65 dollars le baril rendra compétitif le biodiesel. D'autre part, des infrastructures adaptées devront être élaborées (on pense notamment aux champs d'algues sur les océans). En 2008, même Georges Bush (pourtant peu réputé pour ses tendances environnementales) déclarait au Forum économique mondial de Davos son intention de réduire la consommation d'essence de 20% d'ici à 2017. Mais Georges n'est plus au pouvoir depuis bientôt deux mois. À charge à son successeur de mettre en pratique les bonnes intentions initiales.

2009-03-11
Ecologie
Tourisme : quelles conséquences sur l'environnement ?

Cette année encore, le nombre de touristes à travers le monde devrait battre des records. Mais si cette activité ouvre de nouveaux espaces de liberté et de rencontres et qu'elle contribue au développement de plusieurs pays, elle n’est pas sans risque pour la planète. À l'heure où les notions de tourisme écolo ou solidaire se développent, quel est l'impact réel du premier secteur économique mondial sur l'environnement ?

Un milliard de touristes

L'année prochaine, on aura passé le milliard ! Le milliard de touristes dans le monde sur un an, selon les prévisions de l'Organisation Mondial du Tourisme (OMT). En 2007, l'OMT avait déjà recensé 903 millions de touristes, soit une croissance de 6,2 % par rapport à l'année précédente. Avec 685 milliards de dollars par an, ce secteur représente 12 % du PIB mondial. Pourtant, il n'est responsable que de 5 % des émissions globales de gaz à effet de serre.

Loin donc des 27 % du transport ou des 25 % du secteur de la construction. Pourquoi dès lors s'intéresser à ce secteur ? Car l'on ne passe pas de 25 millions de touristes dans le monde en 1950 à un milliard 60 ans plus tard sans conséquence sur l'environnement. Et c'est justement cette augmentation constante du nombre de touristes depuis près de 60 ans qui apparaît préoccupante pour l'avenir. Chiffre symbolique, le tourisme représente 60 % du trafic aérien international. En matière de pollution, un trajet Paris / New York émet la même quantité de CO2 que celle produite par un habitant en six mois, soit 2436 kg de CO2. Or, on sait que pour stabiliser la concentration en CO2 dans l'atmosphère, chaque habitant devrait se limiter à 500 kg de CO2 émis par an.

On est donc loin du compte. Hormis les impacts environnementaux liés aux déplacements touristiques, le tourisme est aussi préoccupant quand à son impact lors du séjour. On pense notamment à l'utilisation d'équipements de tourisme et de loisir (ports de plaisance, remontées mécaniques) et à la construction d'hébergements touristiques (résidences secondaires, hôtels, campings). Enfin, la forte densité de population sur les lieux de vacances génère des pressions sur la ressource en eau et les milieux naturels.

Rando à vélo = tourisme écolo !

En 2004 l'IFEN (L'institut français de l'environnement) a publié une étude comparative des émissions de carbone émises par plusieurs types de vacances. Les données ont été obtenues en calculant les kilogrammes équivalant carbone d'une famille composée de quatre personnes sur une durée de quinze jours. Au rang des vacances les plus "écolos", la randonnée à vélo (qui comprend l'aller-retour en train pour se rendre sur le lieu de vacances) remporte la palme avec 46 kg de CO2 émis pour toute la famille.

Dans le même genre, le camping et le long séjour dans une maison ancienne ne sont pas loin avec respectivement 76 et 89 kg de CO2 émis sur les deux semaines. On passe la barre des 100 kg avec les vacances d'été en location (124) ou en caravane (126). Des chiffres qui restent plutôt raisonnables comparé aux vacances d'été en résidence secondaire (264) et aux quinze jours de sports d'hiver (320), pour lesquels le chauffage fait grimper le bilan. Et comme cité précédemment, on atteint les sommets pour tout déplacement en avion. Ils vous en "coûtera" ainsi pas moins de 1008 kg de CO2 pour quinze jours de vacances au Maroc.

Cette année, les professionnels du tourisme ont annoncé que la crise obligerait davantage les français à visiter la France. Un mal pour un bien en quelque sorte.

Pour en savoir plus

2009-06-23
Ecologie
Halte au gaspillage : comment économiser l'énergie chez soi ?

Souvent mal isolés (surtout s’ils ont été construits avant 1975, date de la 1ere réglementation thermique), nos logements sont de véritables « passoires » énergétiques. Pourtant, il est possible de faire fondre sa consommation d’électricité sans pour autant s’engager dans de faramineux travaux d’isolation. Pour cela, il suffit de suivre quelques conseils de bon sens…

Avoir chaud chez soi sans chauffer la planète

Le chauffage constitue le premier poste de consommation d’énergie domestique : en 2004, il représentait 72% de l’énergie consommée au sein du logement. Avant d’entreprendre les travaux d’isolation nécessaires à une meilleure efficacité du chauffage, quelques gestes devraient vous aider à baisser significativement votre facture énergétique : - Maintenez une température de 19°C dans les pièces communes et 16°C dans les chambres : 1 degré de moins, c’est 7% d’énergie économisée. - En hiver, fermez rideaux et volets pendant la nuit. Vous pourrez éviter jusqu’à 50% de pertes de chaleur. - Installez un thermostat d’ambiance : non seulement vous gagnerez en confort, mais vous économiserez 10% d’énergie en moyenne.

Une meilleur usage de l’eau chaude

Deuxième poste énergétique au sein du logement : l’eau chaude (11%). Là aussi, quelques gestes simples vous permettront de coupler économies d’énergie et meilleure gestion de l’eau. - Prendre une douche plutôt qu’un bain, c’est diviser par deux sa consommation d’énergie sur ce poste. - Abaissez la température du chauffe-eau plutôt que de la mitiger au robinet. Attention toutefois : en-deçà de 60°C, risquent de se développer des micro-organismes. - En une minute, un robinet peut laisser s’écouler 12 litres d’eau (chaude ou froide). Ne laissez pas couler l’eau inutilement !

Moins d’électricité dans l’air

Eclairage et appareils électroménagers représentent 11% de l’énergie consommée au sein du logement. Voici comment optimiser ces usages dits « captifs » de l’électricité :

  • Les appareils de production de froid étant de loin les plus énergétivores (32% de la consommation domestique), il importe de les choisir avec soin : entre un modèle A++ et un modèle ancien, la consommation peut être divisée par six ! De même, dégivrez régulièrement vos équipements et réglez la température aux alentours de 5°C.
  • Ne faites tourner votre lave-linge que lorsqu’il est plein, et choisissez un programme basse température (40°C, voire 30°C). Surtout, prohibez les sèche-linge, qui consomment deux fois plus qu’une machine à laver.
  • Choisissez des ampoules fluocompactes, qui consomment jusqu’à 5 fois moins qu’une ampoule à incandescence.
  • Débranchez vos appareils électroniques : la fonction « veille » des ordinateurs, téléviseurs, etc. dévore consciencieusement les kilowattheures, jusqu’à 900 par an !
  • Un ordinateur branché en permanence finit par consommer comme… 6 réfrigérateurs ! Pensez à l’éteindre entre deux usages, d’autant plus que les allumages successifs ne l’endommageront pas.
2009-05-04