
Le média qui analyse et présages des mutations de la fabrique de la ville.
L’ouvrage n’était plus disponible, il annonce et complète, Désastres urbains. Les villes meurent aussi, publié en 2015 et tombe à pic avec Habitat III en octobre à Quito et avec « Mutations urbaines » à la Cité des Sciences, dont je suis le conseiller. Cette urbanisation liée au productivisme débute avec la « révolution industrielle » et se déploie entièrement avec la globalisation. Deux phénomènes s’imposent à la fin du XXe siècle, la préoccupation environnementale et le numérique.
Le pire que je redoutais, malheureusement advient. Il s’agit de la transformation volontaire des individus en dividus, pour reprendre la formulation de Günther Anders dans L’Obsolescence de l’homme (1956, traduction française en 2002).
Il n’existe pas d’idéal de ville, il y a diverses modalités d’urbanisation, dont ce que j’appelle « ville », caractérisée par l’entremêlement de ces trois qualités. L’urbanisation à l’œuvre s’effectue sans ville et contre les villes, comme les gated communities.
Avec les mégalopoles, l’esprit de la ville ne peut se maintenir, se renouveler et s’enrichir, il est chahuté par une concentration trop importante d’habitants (des millions !) qui entrave tout processus participatif et délibératif propre à une certaine démocratie. Des enclaves résidentielles privées sont gérées par un staff et non pas administrées par un conseil élu pour un mandat.
La métropolisation est bien ancienne, on ressort le mot pour la communication, il ne s’agit pas de cela, mais du contrôle des territoires par l’économie. C’est cette dépossession du politique que je dénonce et c’est pour le conforter que je suggère de nouvelles territorialités mieux adaptées aux modes de vie, comme la possibilité d’élire le maire de sa commune de résidence, celui de là où vous travaillez, celui du village où vous passez vos vacances… Il convient de favoriser le débat partout et d’associer en permanence les habitants à toutes les décisions qui les concernent.
Ces agencements son variés, aussi n’y a-t-il en commun que le regroupement des populations pour des motifs souvent différents. Le tourisme massifié exige des équipements qui sont semblables ici ou là. De même les campus, les centres commerciaux, les lotissements pavillonnaires, etc. se ressemblent de plus en plus, ils sont dessinés et construits par une poignée de groupes transnationaux et on y vit de la même manière. En ce sens, il y a un « modèle »… que je trouve effrayant et qu’il faut combattre !
J’étudie « l’urbanisation des mœurs » dans Homo urbanus (1990) et veux montrer par cette formulation que l’urbanisation ne se résume pas à un pourcentage de répartition de la population selon qu’elle réside en ville ou à la campagne. Pour moi, l’urbanisation est un processus de changements culturels qui vise à homogénéiser les pratiques alimentaires, vestimentaires, sexuelles, affectives, éducationnelles, etc., selon les standards urbains. Elle participe grandement aussi à un imaginaire commun, comme en témoignent les séries télévisées.
L’exode urbain appartient à la phase actuelle de l’urbanisation et ne produit pas une « ruralisation des mœurs ». Nous sommes tous des urbains, sans pour autant être obligatoirement des citadins, c’est-à-dire des individus agissant politiquement sur leur cadre de vie. Ce qui peut advenir serait plutôt une écologisation de nos modes de vie, mais je crois au Père Noël…
Les TIC, plus si nouvelles que cela, changent principalement notre compréhension de l’espace et du temps, notre façon de les vivre et de les représenter. C’est une modification anthropologique dont on mesure mal la portée : nouvelle hiérarchisation des sens, seconde oralité, approches inédites de la distance et de la proximité, valorisation de no man’s time (l’attente, l’ennui, la sieste…), etc. C’est tout une autre univers mental qui s’ouvre à nous.
La question environnementale est fondamentale, elle nous oblige à envisager autrement nos relations avec le monde vivant et entre humains, aussi faut-il développer une écologie temporelle (qui prenne en compte la chronobiologie de chacun et les harmonisations des temps sociaux et personnels), une écologie des langues (nous habitons avant tout notre langue), une écologie des territoires (l’être humain se révèle topophile), etc. Cet ensemble, je le désigne par « écologie existentielle », afin de souligner son importance philosophique et pas seulement sa dimension « défense et protection de la nature »…
L’urbanisme est le moment occident de l’urbanisation productiviste, il se révèle agressif, imposé, dominateur et parfois anxiogène. Il ne peut aucunement devenir « décent » comme je l’espérais, il repose sur la spéculation foncière et la rationalisation territoriales des fonctions, il faut rompre avec lui et expérimenter de nouvelles manières de fabriquer la demeure des humains plus soucieuses de ménager (c’est-à-dire « prendre soin ») des gens, des lieux et des choses.
Il y a des « villes » qui ont trop duré, comme Dubai ! Je plaisante, mais cette notion de « ville durable » n’a aucun sens, du moins, je ne la comprends pas. La smart city appartient à la mode, d’ici peu on aura oublié cette formule remplacée par une autre comme data city ou écopolis, qui disparaitront également…
Pour en savoir plus :
Thierry Paquot, Terre urbaine, cinq défis pour le devenir urbain de la planète, éditions La découverte, 228 pages, 21 €
Île résidentielle, lieu de villégiatures et de loisirs, site d'activités agricoles ou industrielles, île inhabitable, abandonnée, disparue ou parfois privée, une grande mixité d'usages caractérise les quelques 117 îles de la Seine, de Conflans-sur-Seine à Rouen. A travers des plans, affiches et photos d'époque, l'exposition donne à voir la singularité des quelques trente-deux îles mises en avant. Les machines de l'île Marly, le parc de l’île du Moulin-Joly, l'île Saint-Louis et son ancien port d'amarrage, l'île des Impressionnistes et ses guinguettes ou encore l’île Seguin, reconnaissable entre toutes, façonnée pendant des siècles par la présence de l'usine Renault et qui, demain, sera transformée en Cité Musicale par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines. Pour chacune de ses îles, un morceau d'histoires, un récit anecdotique ou non, plonge le visiteur dans le passé de ces espaces insulaires et le fait voyager dans le mythe de ces lieux particuliers.Cette exposition se déroule dans le contexte d'une récente revalorisation des axes fluviaux et de la Seine à l'échelle de la métropole. Comme l'écrit Milena Charbit, architecte et commissaire scientifique invitée : « Alors que la Seine est au centre d’importantes stratégies urbaines contemporaines, telles que la consultation du Grand Paris avec Seine Métropole d’Antoine Grumbach, le prolongement de la ligne Eole (RER E) le long du fleuve d’ici 2022, ou encore l’appel à projets « Réinventer la Seine » (Paris – Rouen– Le Havre) lancé en mars 2016, cet ouvrage entend contribuer à la découverte de ce territoire en archipel, lieux de lenteur, amas d’alluvions arrachés aux nombreux méandres du fleuve. »
Iles de la Seine, Exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal, du 4 juin au 2 octobre 2016
Pavillon de l’Arsenal - Centre d’urbanisme et d’architecture de Paris et de la métropole parisienne
21, boulevard Morland 75004
Entrée libredu mardi au samedi de 10h30 à 18h30, le dimanche de 11h à 19h
Sans doute l’époque incline-t-elle à la redécouverte de Yona Friedman : à l’heure où l’on parle crise des migrants et architecture d’urgence, écologie, empowerment et économie du partage, où de jeunes collectifs pluridisciplinaires revendiquent son héritage et plaident pour une ville faite avec, sinon par ses usagers, l’architecte d’origine hongroise passe pour un visionnaire ayant su annoncer dès les années 1960 les mutations spatiales, sociales, culturelles et technologiques qui travaillent le monde contemporain. Optant pour un cheminement chronologique, l’exposition que lui consacre la Cité de l’architecture et du patrimoine sous la houlette de Caroline Cros bat en brèche son image d’architecte de papier et d’utopiste, pour souligner au contraire ce qu’il y a de vivant et de résolument actuel dans les notions d’ « architecture mobile », de « ville spatiale » et de « ville relationnelle ». L’exposition insiste particulièrement sur l’approche holistique mise en œuvre par Yona Friedman, sur sa propension à puiser dans les mathématiques et les sciences humaines pour mieux susciter l’improvisation et l’appropriation du projet architectural par les habitants (« L’architecte perd de son importance (ou il doit en perdre) pour laisser plus d’initiative aux habitants », écrit-il dans les années 1960). On découvre notamment comment il travailla en 1979-80 à la réalisation du Lycée Bergson à Angers, mais aussi sa manière de se saisir de la bande dessinée ou du numérique pour mieux communiquer ses idées. Parmi les « outils » ainsi conçus par Friedman, l’exposition propose au visiteur un « programme d’architecture », initiation en images à l’autoplanification.
Yona Friedman, « Architecture mobile = architecture vivante »
Exposition du 11 mai au 7 novembre 2016
Cité de l’architecture et du patrimoine
Palais de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris 16
Métro : Trocadéro ou Iena
Citedechaillot.fr #Yona Friedman
L'occupation d'espaces, et tout particulièrement de places publiques, constitue l'un des points communs aux mouvements civiques récents, des Indignés aux printemps arabes. Après la Plaza del Sol en Espagne, la Place Tahrir au Caire ou la place Taksim à Istanbul, la Place de la République à Paris s'affiche depuis le 31 mars 2016 comme le lieu d'un nouveau mouvement, Nuit Debout, qui dépasse aujourd'hui l'opposition initiale à la loi travail El Khomri. « Le 31 mars 2016, après la manifestation, on ne rentre pas chez nous, on occupe une place ! » annonce Nuit Debout dans son communiqué de presse. Depuis, le mouvement se poursuit. Une quarantaine de « commissions » (logement, économie, Grève générale, Université populaire, Féministe, Anti-spécistes, Santé, ect.) se tiennent sur la Place de la République. Depuis le 6 avril, la Commission Climat Écologie est organisée chaque jour, de 16 à 18 heures. Banderoles, affiches, Manifeste imprimé sur des feuilles A4 et collé sur un mur, table bricolée pour faire office de bureau d'accueil sont là pour marquer l'occupation des lieux.« Occuper la place permet d'exprimer notre mécontentement, de dire au système en place que maintenant il y a en ras-le-bol. Pour nous, c'est très important de conserver notre emplacement », explique David, un jeune trentenaire au chômage qui s'est engagé pour utiliser son temps efficacement. « Chaque jour, près de 30 à 40 personnes se retrouvent pour débattre autour des thèmes de l'écologie. On essaye d'organiser des actions le week-end comme des ateliers de récupération, une grainothèque, du jardinage. Le but : sensibiliser le plus grand nombre mais surtout faire converger les luttes. C’est cela la plus-value de Nuit Debout ».
« Chaque jour, près de 30 à 40 personnes se retrouvent pour débattre autour des thèmes de l'écologie. On essaye d'organiser des actions le week-end comme des ateliers de récupération, une grainothèque, du jardinage. Le but : sensibiliser le plus grand nombre mais surtout faire converger les luttes. C’est cela la plus-value de Nuit Debout ». David, participant aux mobilisations de Nuit debout
Sur le Manifeste, les revendications vont en faveur de la sortie du nucléaire et de la transition énergétique, du développement d'une agriculture paysanne, de la lutte contre l'obsolescence programmée, de la « reconversion des énergies inutiles et polluantes ». Aujourd'hui, les solutions proposées restent à l'état de débat, de parole libre, car l'objectif n'est pas de solliciter les pouvoirs publics. « La question politique n’est pas abordée et le mouvement entend rester citoyen », rappelle David.
Pour les acteurs de Nuit Debout, "Répu" se conçoit d'abord comme un lieu d'expérimentation politique et comme une agora. Depuis sa métamorphose en 2013, ce point de rassemblement historique des manifestations parisiennes est devenu un espace public d'autant plus vivant, d'autant plus ouvert à une grande diversité d’usages, que la place de la voiture y a été singulièrement réduite. En mars dernier, une série de tables-rondes intitulée « EN PLACES ! Exploration sensible de la place publique » était organisée sur cette même place par les étudiant(e)s du Master Projets culturels dans l'espace public (Paris 1) sous la houlette de Pascal Le Brun-Cordier, directeur de projets culturels et responsable de la formation. Pour ce spécialiste de l'art dans l'espace public, « la place est par excellence l’espace public de la rencontre, du rassemblement, du commun, à l’exception cela dit de la place-carrefour conçue pour la circulation automobile. Parfois, la place se transforme en lieu du possible, ouvert à l’événement, au sens philosophique de « ce qui advient ». C’est ce qui se produit en ce printemps 2016 place de la République avec la Nuit Debout. Sans doute l’aménagement de la place peut-il le faciliter : c’est un vaste plateau ouvert, non saturé, dégagé, avec de larges perspectives. Un espace public facilement appropriable, disponible pour de multiples usages ».
De nouveaux usages demain ?Appropriables, les places publiques contemporaines le seraient-elles à condition que ce soit pour des usages sportifs, culturels ou festifs ? La défiance à l'égard d'usages trop explicitement politiques expliquerait la remarque d'Anne Hidalgo à propos du mouvement Nuit debout, accusé de "privatiser l'espace public" alors que ses tenants s'efforcent au contraire d'y construire du commun.
« La place est par excellence l’espace public de la rencontre, du rassemblement, du commun, à l’exception cela dit de la place-carrefour conçue pour la circulation automobile. Parfois, la place se transforme en lieu du possible, ouvert à l’événement, au sens philosophique de « ce qui advient ». Pascal Lebrun-Cordier
Ainsi, le programme “Réinventons nos places” lancé en juin 2015 par la maire de Paris vise surtout à amorcer la transition vers une ville durable et (ré)créative. Après la récente rénovation de la Place de la République, cet appel à projets vise à rénover sept nouvelles places. Bastille, Fêtes, Gambetta, Madeleine, Italie, Nation, Panthéon seront ainsi réaménagées à l'issue des travaux prévus sur la période 2017-2019. Les objectifs affichés par la Mairie de Paris : apaiser l’espace public, rééquilibrer les usages au profit des piétons et des circulations douces, valoriser les espaces naturels, imaginer de nouveaux usages tels que les activités sportives et culturelles temporaires, proposer du mobilier urbain « recyclé, fixe et mobile »… Les places parisiennes rénovées de demain s'attacheront à maîtriser les impacts générés par l'espace public (énergie, déchet, eau, mobilier en réemploi) et proposer des espaces plantés appropriables (espaces de jeux, repos, jardinage).
Ce programme, réalisé en concertation avec les usagers, habitants et collectifs n'en ouvre pas moins vers des espaces de vie véritablement publics, disponibles et appropriables. « L’espace public n’est pas uniquement produit par l’architecture et par l’urbanisme, estime Pascal Le Brun-Cordier. C’est aussi une situation que la création artistique a la capacité d’activer. En « greffant » l’art dans la ville, on peut ainsi en proposer d’autres aménagements physiques ou symboliques, poétiques ou politiques, d’autres manières de la voir et de la vivre. Ces nouveaux "partages du sensible », même s’ils sont temporaires, ont des effets d’oxygénation politique. »Une gageure en situation d’État d'urgence, alors même que l’État vient d'annoncer son intention de le prolonger jusqu'à la fin de l'Euro 2016.
Pouvez-vous nous présenter le PEROU ?
Le point de départ a été pour moi les troubles nés de l'action avec l'association les Enfants de Don Quichotte et le constat d'une inculture crasse des acteurs du champ social à l'endroit de la ville et de l'architecture et d'une pratique nulle des architectes et urbanistes sur les modules de sans-abri qui ne sont que des spéculations formelles. Le PEROU est un laboratoire né de cette articulation forte entre une dimension de recherche sur la question urbaine et architecturale et entre des actions politico-militantes. Nous travaillons sur ce qui est porteur d'avenir à l'interface entre la ville et le bidonville, sur des constructions matérielles mais aussi sur des situations d’expérimentations pour raconter que d'autres choses sont possibles.
La création du PEROU préexiste à la jungle de Calais. En quoi le Pérou y a-t-il trouvé là matière à réflexion ? Et à action ?
Il y a 3 ans, alors que les jungles étaient diffuses dans la ville, on a commencé à travailler avec des chercheurs en graphisme sur un projet de journal co-construit avec des migrants et diffusé dans la ville. Ce fut une manière pour moi de prendre le pouls de cette situation, de mieux saisir l’épaisseur des récits, des hommes et des langues. L'été dernier, j'ai écrit une intention « New jungle Délire », un projet de recherche qui rassemble 8 groupes de recherche (architectes, anthropologues, géographes, paysagistes, ect.) augmenté d'un projet photographique. Ce projet fait référence à Rem Koolhaas dans l’introduction de New-York Delire, ouvrage publié en 1978 qui est un manifeste rétroactif pour Manhattan, l'envisageant comme une émergence urbaine du XXe. L'hypothèse pour la New Jungle est de se demander si elle n'est pas une forme urbaine du XXIe siècle qui n'aurait pas encore son manifeste, qui n' aurait pas encore sa condition d'urbanité et de travailler à la documenter et la cartographier.
"Nous travaillons sur ce qui est porteur d'avenir à l'interface entre la ville et le bidonville, sur des constructions matérielles mais aussi sur des situations d’expérimentations pour raconter que d'autres choses sont possibles." Sébastien Thiéry, fondateur du PEROU
On ne va rien construire sur Calais car il se construit déjà tellement de choses ! Il s'agit d'un véritable défi de rendre compte de ce qui s'invente dans la Jungle. Alors que la destruction commence à se mettre en œuvre, notre propos est une fiction dans laquelle les acteurs politiques lancent un appel à idées pour faire un Réinventer Calais. Le postulat est de se dire qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire à Calais. Samedi 9 avril, nous avons distribué un journal « L’Autre journal d’informations de la ville de Calais », dans les rues de Calais. On y retrouve La lettre que la maire de Calais n’a pas adressée aux Calaisiennes et Calaisiens qui devient l'édito et un entretien où les acteurs publics expliquent qu'ils font volte-face sur cette question. Calais devient alors la capitale européenne de l'hospitalité. C'est un vrai appel à idées avec 9 grands projets qui sont des spéculations à partir de l'existant et des projets pour le bidonville et la ville. L’idée est d'accompagner une cité éphémère du XXIe siècle sur 5 ans, travailler sur des formes d'urbanité éphémères comme s'il s'agissait d'un village olympique à l'occasion des Jeux avec l’accueil de 5000 personnes venus du monde entier entraînant le développement d'infrastructures et d' équipements publics et de montrer comment cela génère de l'économie et de la ville. L'enjeu est de recueillir un certain nombre de réponses d'étudiants et professionnels de la fabrique de la ville, et les déposer à l'automne prochain sur le bureau des acteurs publics et sur celui des candidats à l’élection présidentielle.
On n'est jamais arrivé à raconter sur ce qui se passe réellement à Calais. Il y a une telle croûte médiatique sur ce sujet qui fait que rien ne perce. C'est stupéfiant. La moitié a été rasée mais la Jungle, ce sont des shelters [des habitats préfabriqués en bois construits par les associations Help Refugees et l’Auberge des migrants], 48 restaurants, une trentaine d'épiceries, 3 écoles, 2 théâtres, une Église, une boite de nuits, une « Wharehouse » [une sorte de recyclerie qui organise les dons dans un entrepôt de 1700 mètres carrés].Les migrants (ils étaient environ 5000 début mars 2016) sont des bâtisseurs de « lieux de vie » comme l'a relevé, dans son ordonnance du 25 février 2016, le Tribunal administratif de Lille. C'est monstrueux ce qui a été construit par des migrants, avec l'appui de bénévoles venus du monde entier. C’est une folie et une beauté incroyable, à mille lieux du désastre et de la xénophobie que l'on décrit systématiquement. Mais les acteurs publics et du monde social ne peuvent entendre ce discours.
Quand la jungle devient impasse, évidement les passeurs arrivent mais il y deux manières de défaire ce marché : ouvrir les frontières et construire l'hospitalité ici-même, travailler sur les procédures d'asile. Mener une politique accueillante et ambitieuse casserait ce marché. Il est impossible politiquement de dire que l'on va accueillir….
"La Jungle de Calais, ce sont des shelters, 48 restaurants, une trentaine d'épiceries, 3 écoles, 2 théâtres, une Église, une boite de nuits, une « Wharehouse »." Sébastien Thiéry
La violence, elle est générée par ce qui se détruit. C’est la conséquence directe de l'incurie des politiques publiques. La Jungle est une chance pour Calais. Il y a un manque de vision.
On ne défend pas le bidonville. La question c'est comment on se positionne face à cette situation, comment en l'accompagnant on le transforme. Ce qui fait que le bidonville demeure bidonville, c'est justement les politiques publiques qui ne cessent de pérenniser le bidonville dans sa forme invivable. Une ville est à 90 % des cas est un bidonville qui a réussi. C’est un processus simplement de développement si on prend soin de ce qui s'invente. En une demi journée, la boue on l’éradique...Si on fait un peu d'histoire, les formes urbaines sont par définition le résultat d'un processus de transformations, d'installations. Il faut transformer l'existant pour lui donner des formes plus désirables.
C’est un lieu unique au monde où règne une solidarité internationale extraordinaire et cela ça n'existe nulle part ailleurs. Je ne connais aucun autre bidonville qui a été co-construit dans une telle épopée ! Les matériaux viennent du monde entier, les habitants viennent du monde, c’est une forme très singulière et contemporaine du bidonville. C’est une ville-monde, une forme urbaine à venir. Une « Jungle », gardons ce terme puisque c’est comme cela que les migrants l'appellent. C'est quelque chose qui est méconnu, qui 'a pas d'existence repérable dans l'histoire.
Aujourd'hui, il est dessiné par les pelleteuses donc elle n'ira pas bien loin. Lesbos, Vintimille, Lampedusa, c'est cela l'avenir. Ce n'est pas un vœu juste un constat. D'après l'ONU, en 2030, 1/3 de la population vivra en bidonville. Est-ce qu'on veut que les gens y « croupissent » ou l'on invente d'autres manières de les accueillir. Calais est en cela une formidable vue sur l'avenir.
Il est cohérent avec le reste ! Qu'est qu'un parc d'attractions sinon une prise de congés du réel ? Un parc d'attractions, c’est détourner l'attention du réel. « Heroic land » ! Alors que tant de héros qui ont traversé les mers sont juste à côté. C’est un mépris du réel. On est en train de dépenser 275 millions d'euros pour distraire le peuple. On a chiffré l'appel à idées « Réinventer Calais », cela représente 28 % de Heroic land. Sauver Calais passe par l’arrêt rapide et urgent de ce programme.
La Jungle est pleine d'utopies mais elle n’est pas que de l'utopie. Elle est aussi de la boue et de la violence. Ce qui nous intéresse est ce qui fait promesse.
« Réinventer Calais » sera présenté à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine de Paris (lire notre article), à la Biennale d'Architecture de Venise le 28 mai, et à l'exposition « constellation.s » à Bordeaux le 3 juin.
C'est au quatrième étage d'un immeuble de la Cité Bisson dans le XXe arrondissement de Paris que le Sens de la Ville, un tout jeune collectif constitué il y a un peu plus d'an an, se réunit. Partageant une vision commune de la ville de demain, ces six acteurs de la ville, tous âgés d'une trentaine d'années décident de répondre à l'appel à projets innovants « Réinventer Paris » lancée par la Mairie de Paris en novembre 2014. « On se connaissait tous, différemment et autour de projets à géométrie variable, raconte Flore Trautmann, urbaniste et sociologue. Avec Gaétan Engasser (architecte-urbaniste/ Agence aEa) et Vincent Josso (urbaniste-architecte-ingénieur) on avait déjà travaillé il y a 7 ans sur un projet d'habitat participatif, puis Nicolas Bel (jardinier), Frédéric Madre (écologue) et Fanny Rahmouni (urbaniste) se sont greffés naturellement. La consultation de Paris a été le propulseur pour se structurer [en SCOP : société coopérative et participative], de se tester sur un projet ».
Tous ressentent à ce moment là l'envie de pouvoir « sortir la tête de l'eau » dans leurs pratiques professionnelles et d'échanger autour de leur vison commune de la ville. « Le Sens de la Ville nous permet de faire un pas de côté, explique Vincent Josso. Le collectif est né d'une envie de faire tomber les barrières parfois trop étanches que l'on rencontre dans l'exercice de notre profession, de décloisonner, de porter un regard collectif sur la ville, incarné dans des projets ». En somme un Think & Do Tank Urbain, comme ils se présentent eux-mêmes.
« Le Sens de la Ville nous permet de faire un pas de côté. Le collectif est né d'une envie de faire tomber les barrières parfois trop étanches que l'on rencontre dans l'exercice de notre profession, de décloisonner, de porter un regard collectif sur la ville, incarné dans des projets. » Vincent Josso, membre du collectif Le sens de la Ville
Véritable manifeste de leur approche, le projet « Réinventer Paris » sur le lot Ourcq-Jaurès rebaptisé « Echo-logis » est une proposition de lieu de tourisme alternatif au sein du Grand Paris. Articulé autour de l'alimentation durable en ville, il regroupe un hôtel, des logements, une école d'agro-écologie, un atelier et un restaurant de cuisine bio-végétarienne. Non retenu, le projet a été conservé pour être exploité sur un autre site, encore non déterminé.Leur méthode de travail repose sur une approche circulaire. Leur ambition est de mettre au cœur du projet et autour de la table dès l'origine, les utilisateurs finaux et ainsi faire dialoguer le programme, la forme et le bilan. Comme le précise Flore Trautmann : « On adaptera ce projet au territoire d'implantation, en fonction du diagnostic et des acteurs locaux avec lesquels on pourrait travailler. C'est le « cousu main » : échapper au standard et faire du sur-mesure ».
Pour ces jeunes acteurs de la fabrique urbaine, cette approche permet de replacer l'occupant à l'origine de la commande et ainsi de sortir du produit immobilier standardisé grâce à un processus davantage fondé sur la coopération entre les différentes parties prenantes.Autre projet phare, laboratoire de cette méthode : L'Escalette à Mouvaux dans le Nord-pas de Calais. Un projet de transformation d'une cité-jardin en quartier autonome en énergie. Ce quartier dit « en Troisième Révolution Industrielle » est l’un des 20 projets régionaux retenus lors du World Forum de Lille 2013 dans le prolongement du master plan Troisième Révolution Industrielle pour la Région Nord-Pas-de-Calais, piloté par Jeremy Rifkin. « Dix associés sont regroupés dans cette équipe dont l'agence « aEa » et Le Sens de la Ville, précise Gaétan Engasser. C'est un peu une première en France. Ce projet est une réflexion sur comment on rend un quartier autonome en énergie, comment on valorise le patrimoine existant tout en répondant à la nécessité d'augmenter la densité, donc construire un certain nombre de logements ». Le projet très ambitieux pourrait sortir de terre d'ici 3 à 10 ans. De premières phases d’expérimentation vont être mises en place à l'échelle 1 et des premiers prototypes opérationnels verront prochainement le jour. « C'est un projet très excitant, ajoute Gaétan Engasser. Il est pluriel car il empile toutes les couches de complexité de la ville et permettant un travail sur les espaces urbains, les réseaux, avec une copropriété mixant logements sociaux et privés, de la concertation, des réflexions sur l' économie circulaire, sur l'usage. « On interroge les acteurs locaux, on recueille les marques d'intérêt, on intègre leurs demandes, les choses sont ainsi bousculées dans l'ordre de la commande », indique Flore.
"La ville doit être un écosystème urbain où les déchets organiques sont recyclés localement, évitant au maximum les flux et les nuisances. Une ville végétale favorise le bien être." Nicolas Bel, membre du collectif Le sens de la Ville
Ces projets sont autant d'occasions de tester leur approche et de l’expérimenter. Nicolas Bel et Frédéric Madre contribuent à semer l'idée d'une ville nutritive et riche en biodiversité. « Ma vision de la ville de demain repose sur une symbiose avec la nature qui passerait notamment par le retour des animaux sauvages en ville avec par exemple des corridors pour les renards ou des « immeubles-collines » qui offriraient une continuité entre le sol, les murs et les toits pour favoriser au maximum ces corridors. La ville doit être un écosystème urbain où les déchets organiques sont recyclés localement, évitant au maximum les flux et les nuisances. Une ville végétale favorise le bien être », estime Nicolas Bel. Le Sens de la Ville se veut un collectif militant. « Dans la règle du jeu urbaine, on reproduit souvent les mêmes projets, les mêmes programmes et souvent avec les mêmes personnes », considère pour sa part l'architecte Vincent Josso. Et en ce moment des choses bougent comme la démarche « Réinventer Paris ». Aujourd'hui, la ville n'est pas très joyeuse, pas très juste et c’est cela que l'on veut changer : dépasser ce jeu global de la fabrique urbaine qui nous dépasse et faire une ville plus inclusive car pensée de façon collective, plus durale, plus joyeuse».
L'équipe a par ailleurs lancé un questionnaire à destination de toutes les équipes candidates de « Réinventer Paris » pour partager leurs expériences sur cet appel à projets inédit. « Cette démarche a été une vraie « bombe » positive dans la fabrique urbaine. Il nous semblait intéressant de s’interroger ensemble sur les nouveaux modes de faire la ville notamment en vue des « prochaines saisons » de la série Réinventer… », ajoute Vincent Josso. Le 9 mars, une soirée à l’Hôtel de Ville de Paris est prévue où Le Sens de la Ville et Urbanova animeront un partage d’expériences. Un temps d'échanges indépendant de la Ville de Paris, suivie par une intervention de Jean-Louis Missika, Adjoint à la Maire de Paris, en charge de l'urbanisme.Une belle vitrine pour Le Sens de La Ville qui met en action ses convictions : jouer collectif pour dessiner les contours des méthodes de la fabrique urbaine de demain.