Vers une ville sans voitures ?

Écrit par
Pierre Monségur
2014-06-10

Entre le bruit et les pics de pollution, la voiture en ville est passée du rang de libératrice à celui de nuisance. Faut-il pour autant la bannir totalement de l'espace urbain ? Midi:onze fait le point.

En 1973, André Gorz publie dans Le Sauvage un texte à charge contre ce qu’il nomme « l’idéologie sociale de la bagnole ». Il y décrit notamment la façon dont ce fétiche des sociétés contemporaines a profondément altéré l’espace urbain : « la bagnole, y explique-t-il, a rendu la grande ville inhabitable. Elle l’a rendu puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée au point que les gens n’ont plus envie de sortir le soir. Alors, puisque les bagnoles ont tué la ville, il faut davantage de bagnoles encore plus rapides pour fuir sur des autoroutes vers des banlieues encore plus lointaines. Impeccable circularité : donnez-nous plus de bagnoles pour fuir les ravages que causent les bagnoles. »

"La bagnole a rendu la grande ville inhabitable. Elle l’a rendu puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée au point que les gens n’ont plus envie de sortir le soir. Alors, puisque les bagnoles ont tué la ville, il faut davantage de bagnoles encore plus rapides pour fuir sur des autoroutes vers des banlieues encore plus lointaines. Impeccable circularité : donnez-nous plus de bagnoles pour fuir les ravages que causent les bagnoles." André Gorz, "l'idéologie sociale de la bagnole", 1973

Puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée… La liste des nuisances générées par la voiture n’a guère évolué depuis 40 ans. Le pic de pollution de mars 2014 en témoigne : la circulation motorisée, en France particulièrement où le diesel est roi, génère de sérieux problèmes de santé publique. Du reste, les particules fines ont tendance à masquer bien d’autres incommodités liées à l’hégémonie de la bagnole, et feraient presque oublier le danger qu’elle représente pour les autres usagers de la voirie (en milieu urbain, en 2012, la circulation a coûté la vie à 334 piétons et 58 cyclistes ), la place démesurée qu’elle occupe, son inefficacité relative (en milieu dense, sa vitesse dépasse rarement les 15 kilomètres/h, soit la vitesse d’un… vélo), ou encore son effet délétère sur la vie de la rue (à partir de 50km/h, elle avait tendance à désertifier et stériliser l’espace public). Sans parler de l’étalement urbain qu’elle entraine, avec ce qu’il suppose d’éloignement des aménités, et donc de dépendance… à la bagnole. Bref, malgré l’attachement viscéral des automobilistes à leur voiture, nul ne doute plus que celle-ci soit un fléau en ville. D’où l’utopie tentante d’une ville enfin débarrassée de ce moyen de transport encombrant, polluant et globalement nuisible. Reste à déterminer si la chose est possible. Et surtout est-elle souhaitable ?

Naissance d’une utopie

L’idée d’une ville sans voiture n’est pas neuve. Elle naît au moment où la circulation motorisée cesse d’être le privilège d’une élite pour devenir un phénomène de masse : dans les années 1960. Une ville comme Amsterdam voit alors lever dans les rangs des Provos, ces pseudo-situationnistes potaches, une fronde contre le « terrorisme de la majorité motorisée » : pour contrer l’asphyxie et la congestion, le mouvement écolo-anarchiste organise des manifestations à mi-chemin de l’art et de l’activisme et oppose les vertus du vélo (pour l’occasion badigeonné de blanc) au vice des véhicules à moteur. La part du vélo dans la métropole néerlandaise (environ 22% des déplacements ) montre qu’il en est resté quelque chose. A la même époque, des opérations analogues sont fomentées en France dans un contexte où urbanistes et architectes adaptent la ville entière à la circulation motorisée. L’An 01, ce catalogue filmique des utopies de l’époque, montre ainsi une manifestation sur les Champs Elysées dont le mot d’ordre est : « pas d’autos, des vélos ». Si les années 1970 et 1980 ont raison d’un tel pensum, l’émergence dans les pays industrialisés d’une « conscience climatique » au tournant du millénaire voit renaître le projet d’une ville sans voitures. Celui-ci déborde alors largement la sphère militante et infuse l’aménagement du territoire. « Que ce soit pour des questions d’espace, de pollution ou des sécurité, on est en train de se rendre compte qu’il faut sortir du tout voiture, note Olivier Razemon, journaliste et auteur du Pouvoir de la pédale aux éditions Rue de l’échiquier. Aujourd’hui, l’argument qui prévaut chez les décideurs français est celui du CO2. Ce n’est peut-être pas le plus efficace, mais c’est facile à mesurer. » Exit le zonage et l’étalement urbain : les urbanistes redécouvrent les vertus de la ville dense, où l’on circule à pied ou à vélo. La décennie 2000-2010 sera ainsi celle des pistes cyclables, du tramway, de la piétonisation des centres-villes. Le phénomène est si massif que quand Olivier Gacquerre, maire de Béthune, annonce en avril 2014 la création d’un parking sur la grand-place car « il faut vivre avec son temps », on croit tomber de l’armoire tant le projet semble anachronique.

La voiture, indispensable moyen de transport pour une majorité de citadins

Et pourtant. Les mesures adoptées massivement n’ont jusqu’alors pas suffi à entamer le règne de la voiture, qui demeure le moyen de transport privilégié des Français, et notamment pour les trajets domicile-travail. Faut-il en conclure qu’une ville sans voiture (ou disons, avec un peu moins de voitures) est un inaccessible horizon ?C’est précisément ce que Marie-Hélène Massot a cherché à interroger en 2005 avec Jimmy Armoogum, Patrick Bonnel, et David Caubel dans Une ville sans voiture : utopie ? Pour la chercheuse es mobilités, l’enjeu est alors de définir dans quelles proportions l’automobile peut se reporter vers d’autres modes de transport (on appelle ça le report modal). « A l’époque, explique-t-elle, on entendait dire partout que les conducteurs sont irrationnels et prennent surtout leur voiture pour de petits déplacements. On a voulu savoir quelles pouvaient être les alternatives, notamment en matière de report modal. » Dans l’étude qu’elle mène conjointement à Paris et à Lyon, l’équipe de recherche cherche alors à savoir quelles sont les raisons pour lesquelles on choisit la voiture, et s’il est possible de faire autrement. A rebours des discours fustigeant l’égoïsme des automobilistes et leur attachement à un confort préjudiciable à tous, les résultats sont sans appel : l’immense majorité d’entre eux (plus de 90%) sont contraints, et leur temps de transport doublerait sinon plus, s’ils devaient choisir un autre moyen de transport – transports en commun notamment. Les raisons d’une telle dépendance ne tiennent pas seulement aux choix résidentiels des populations étudiées et à leurs conséquences sur les distances domicile-travail. Pour Marie-Hélène Masson, ils sont aussi liés à la diversité des activités induites par le moyen de déplacement. « Quand on construit le programme de sa journée, rappelle-t-elle, on le fait en fonction du mode de transport. Autrement dit, si l’on va au travail en voiture, on en profite aussi pour faire des courses, aller chercher les enfants, etc. » Dans ces conditions, les transports en commun sont difficilement substituables à la bagnole, à moins de doubler son temps de transport.

Dissuader les automobilistes ?

Les politiques des villes en matière de transport se fondent pourtant très largement sur le report modal. Depuis le tournant du millénaire, on a d’abord vu la quasi totalité des métropoles (et même certaines villes moyennes) se doter d’une ou plusieurs lignes de tramway, au risque de les voir engorgées sitôt construites. « Ce n’est pas un tramway qui va révolutionner les choses, note Marie-Hélène Massot. L’offre de transport public ne résout rien. » Dans un contexte où les transports en commun sont déjà saturés, on comprend mieux pourquoi leur gratuité en cas de pic de pollution est une mesure aussi coûteuse qu’inefficace…L’aménagement d’infrastructures (pistes cyclables, voies piétonnes…) ou de dispositifs signalétiques encourageant les modes dits « actifs » (marche, vélo…) figure aussi parmi les mesures préférées des élus. Avec des résultats mitigés : à Paris, la part des cyclistes plafonne à 3% malgré le succès du Velib. Surtout, après des décennies de tout-voiture, les politiques publiques s’attachent désormais à en décourager l’usage. Les leviers sont d’abord d’ordre financier. Une crise économique comme celle que nous vivons ou un renchérissement du prix du carburant contribuent – directement ou indirectement – à réduire la mobilité des ménages. « Quand il y a un problème de coût, explique Marie-Hélène Massot, on commence par réduire les activités qui coûtent cher, et donc les déplacements qui vont avec. » Dans ces conditions, diminuer drastiquement la part de la voiture en ville suppose d’aller bien au-delà du seul domaine des transports et de transformer modes de vie. Un tel objectif implique de revoir notre relation au travail, nos choix résidentiels (encore faut-il que ce soit possible dans un contexte de flambée du foncier), nos loisirs, etc. « L’enjeu est de mieux organiser l’espace pour que ceux qui n’en ont pas les moyens puissent accéder à des logements dans des zones moins excentrées où ils aient la possibilité de vivre mieux », plaide Marie-Hélène Massot.

"L’enjeu est de mieux organiser l’espace pour que ceux qui n’en ont pas les moyens puissent accéder à des logements dans des zones moins excentrées où ils aient la possibilité de vivre mieux." Marie-Hélène Massot, chercheuse

Parmi les mesures les plus efficaces, on pointe aussi la raréfaction des places de stationnement et l’aménagement de zones « pacifiées » où les voitures sont sommées de réduire leur vitesse. Au report modal, s’ajoute la volonté de favoriser le partage modal : « Il faut que la voiture soit bienvenue en ville, mais qu’elle n’y soit plus la seule légitime, insiste Olivier Razemon. Il s’agit de construire une société où elle cohabite avec d’autres modes de transport. » A Paris, la généralisation discrète du code de la rue va dans ce sens. Des zones 30 (où la vitesse est limitée à 30km/h) au double sens cyclable, elle prend le contrepied des décennies passées, et cherche à adapter la voiture à la ville plutôt que l’inverse. La bagnole cesse alors d’être une nuisance et contribue même à la vie de la rue. « La voiture est un objet merveilleux, conclut Olivier Razemon. Il faut juste l’utiliser différemment. »

A lire sur le sujet :

Olivier Razemon, Le Pouvoir de la pédale : comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, coll. "Les petits ruisseaux", éditions Rue de l'échiquier, 192 p., 15 euros

Pierre Monségur

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Ludovic Bu : "Le “tout-voiture” est un modèle à bout de souffle économiquement, écologiquement, et socialement parlant"

“On arrête tout et on réfléchit” : reprenant le mot d’ordre du film L’an 01, Tout voiture, le dernier ouvrage de Ludovic Bu aux éditions Rue de l’échiquier, nous invite à lever le pied pour considérer nos usages et imaginaires de la bagnole. Dans un entretien avec midi:onze, ce spécialiste des mobilités durables et inclusives dresse le bilan à charge de nos vies (auto-)mobiles et envisage des alternatives à l’injonction mobilitaire…

Nous nous étions rencontrés en 2010 à l’occasion de la sortie de votre premier livre : Les transports, la planète et le citoyen, co-écrit avec Olivier Razemon et Marc Fontanès. Pour quelles raisons consacrer un nouvel ouvrage à la mobilité ? Comment la situation a-t-elle évolué depuis 15 ans ? 

Trois raisons majeures expliquent ce nouveau livre. Tout d’abord le recul : en 15 ans, diverses expérimentations et études ont été menées sur certaines des solutions que nous préconisions dans Les transports, la planète et le citoyen. Depuis, on a constaté par exemple que le développement des transports en commun n’avait pas du tout diminué la place de la voiture. 

Deuxième raison : l’envie de faire un bilan personnel.  Depuis la publication de mon premier livre, j’ai eu d’autres activités. J’ai notamment participé au développement de Citizencar, je suis devenu consultant et j’ai lancé le Laboratoire des proximités, dont l’objet est de plaider pour la proximité et une réduction des distances. Mais j'ai dû abandonner, pour cause de déménagement. Et j'avais envie de tourner la page en proposant un bilan de 25 ans d'activités autour des mobilités. Tout-voiture se voulait donc un genre de testament, sauf qu’en l’écrivant j’ai plutôt remis une pièce dans la machine (rires)

"Le confinement a été pour beaucoup un choc. D’un côté, on voyait les animaux revenir en ville à la faveur du calme, de l’autre, on constatait que le rayon d’1km autorisé pour nos déplacements ne permettait pas de trouver grand chose autour de soi, car tout s’était éloigné en périphérie."

Enfin, la conjoncture me paraissait propice à l’écriture de ce livre. Il y a d’abord eu le mouvement des gilets jaunes, qui pouvait se lire comme une réaction à l’isolement social et à l’ultramobilité qui épuise. Ensuite, le confinement a été pour beaucoup un choc. D’un côté, on voyait les animaux revenir en ville à la faveur du calme, de l’autre, on constatait que le rayon d’1km autorisé pour nos déplacements ne permettait pas de trouver grand chose autour de soi, car tout s’était éloigné en périphérie. Pour toutes ces raisons, je me suis dit qu’il fallait écrire un nouveau livre. Sa rédaction m’a pris du temps, puisque j'ai commencé à y travailler en 2019, mais l’ouvrage a fini par paraître en juin 2024.  

Revenons d’abord sur les constats énoncés dans la première partie de l’ouvrage, et notamment sur le “tout-voiture” évoqué dans le titre. En quoi la voiture, et plus largement la mobilité, ont-elles transformé nos sociétés ? 

La question qui sous-tend l’ouvrage est la suivante : pourquoi se déplace-t-on ? Pour répondre à des besoins fondamentaux et annexes. Ces besoins n’ont pas beaucoup varié au cours des siècles : ils tiennent à la nécessité de se nourrir, de se soigner, de se vêtir, d’aller au travail, de rencontrer des gens, d’avoir des loisirs… Il y a 150 ans, pour répondre à ces besoins, on se déplaçait essentiellement à pied, donc on parcourait en moyenne 4km par jour. Le développement du train a permis d'aller plus loin, mais rarement. Ainsi, les écrivains du 19e siècle décrivent comme une véritable expédition les premiers trajets en train des bourgeois pour aller à ce qui est aujourd'hui la banlieue ! A l'époque, c'était vécu comme une expédition, un dépaysement.

Les voitures permettent d’aller encore plus loin. Leur démultiplication et la favorisation des déplacements rapides a transformé l’urbanisme. Le cercle des 4km s’est élargi à 40km en moyenne. Si bien qu’on a créé un monde où l’on a besoin d’un mode de déplacement motorisé pour répondre à ses besoins essentiels. 

"Plus on s’éloigne des centres métropolitains, plus la voiture est désirable et nécessaire."

Plus on s’éloigne des centres métropolitains, plus la voiture est désirable et nécessaire. Quand on habite un désert médical, avoir accès à la santé consiste à se déplacer en voiture, et les transports pris en charge par la Sécurité sociale pour répondre à l’éloignement des centres de santé représentent plusieurs milliards d’euros de dépenses par an. Je questionne ces usages et la société qui en découle : une société où il n’y a plus d’enfants qui circulent dans les rues ni de personnes âgées, où il n’y a pas de bancs, où les trottoirs ne sont pas très larges, où les centres-villes sont désertifiés parce que les commerces sont éloignés en périphérie. La question que nous devons désormais nous poser est donc : comment recréer des proximités ? Comment revenir à un rayon de 10km maximum à parcourir pour satisfaire ses besoins essentiels ?

Vous décrivez le « tout voiture » comme un modèle à bout de souffle. En quoi l’est-il ? 

Le “tout-voiture” est un modèle à bout de souffle économiquement, écologiquement, et socialement parlant. Sur le plan économique, le nombre de voitures continue à grandir avec le développement de nouveaux marchés, mais la filière ne vit que de subventions depuis 30 ans. Depuis 1993, tous les 2 ou 3 ans, un système d’aide à l’achat est lancé pour favoriser le renouvellement du parc automobile. Par ailleurs, des milliards d’euros d’argent public ont été injectés pour soutenir ce secteur en crise. 

"La question que nous devons désormais nous poser est : comment recréer des proximités ? Comment revenir à un rayon de 10km maximum à parcourir pour satisfaire ses besoins essentiels ?"

Sur le plan sanitaire, le “tout voiture” est un système qui coupe littéralement le souffle des humains. D’abord, il favorise l’obésité. Notamment à défaut de marcher suffisamment, 30% de la population française est en surpoids et ce chiffre progresse, notamment chez les enfants qui ne jouent plus dehors. Sans parler des maladies respiratoires causées par la pollution atmosphérique. Non contente d’être un problème de santé publique, la voiture est un danger pour les Humains et les animaux. 

En 30 ans, le poids des véhicules a augmenté de 30%, et le nouveau design des SUV rend les collisions encore plus dangereuses. Or, les incivilités et délits routiers restent sous-évalués : beaucoup de citoyens et de policiers considèrent à tort qu’ils sont trop sévèrement punis. En somme, le “tout-voiture” ne persiste que parce qu’il est associé, à grands renforts de publicités, à un désir de liberté. Toute la question est de savoir si cette soi-disant liberté vaut les désagréments que je viens d’évoquer… 

En plus, une voiture coûte cher, de l’ordre de 5000 euros par an…

Ce chiffre est trompeur, car c’est une moyenne. Les gens qui ont peu de moyens ont une voiture qui leur coûte plutôt autour de 1000 euros par an. Non seulement beaucoup dépensent moins pour leurs trajets, mais ils évaluent mal le coût réel d’usage : ils ne comptent pas la dépréciation du véhicule, l’assurance, les réparations, le stationnement, etc. Si on leur demande d’analyser leurs relevés de comptes en banque et de surligner toutes les dépenses liées à la voiture, les gens tombent des nues sur le coût réel de leur voiture !

On entend souvent dire que les politiques visant à rompre avec le tout-voiture, comme les péages urbains ou les taxes carbone, pénalisent les plus pauvres. Qu’en est-il ?

L’argument selon lequel les mesures contre le “tout-voiture” pénalisent les plus pauvres permet surtout aux populations aisées et aux classes moyennes de maintenir le statu quo. Les pauvres habitent autant les villes que les riches, mais ils subissent davantage la pollution et le bruit car ils habitent plutôt près des grandes infrastructures de transport, périphériques ou échangeurs. Et ils ont beaucoup moins de voitures. Et, c'est montré statistiquement, ceux qui se déplacent en voiture dans les zones denses sont les classes les plus aisées et les classes moyennes. En France, les 10% les plus pauvres roulent deux fois moins que les 10% plus riches, et peu dans les zones denses. Ils sont donc très marginalement affectés par les Zones à faibles émissions (ZFE).

"L’argument selon lequel les mesures contre le “tout-voiture” pénalisent les plus pauvres permet surtout aux populations aisées et aux classes moyennes de maintenir le statu quo."

Sans compter qu'on peut faire autrement que d'entrer en voiture dans les ZFE : en région parisienne par exemple, il y a plus de 300 parkings relais, mais les gens n’ont pas envie de sortir de leur voiture pour prendre le train. Or, quand 15 ou 20% des enfants ont des maladies respiratoires, il faut faire quelque chose ! Et c'est l'objet des ZFE. C’est une simple mesure de respect vis à vis des personnes les plus vulnérables. 

La deuxième partie de l’ouvrage donne des pistes pour réduire notre dépendance à la voiture. Quelles sont les principales d’entre elles ? 

Comme je l’ai dit, le premier levier consiste à recréer des proximités pour pouvoir répondre à certains besoins en y accédant à pied ou à vélo. Pour cela, il est indispensable de rendre marchables le plus possible les espaces habités, villes comme villages. Or, beaucoup d’élus locaux ne sont pas prêts, car ces mesures sont impopulaires dans un premier temps, avant d’être généralement plébiscitées. Ils peuvent donc commencer par piétonniser ou gérer les stationnements de manière temporaire, avant d’étendre ces mesures à toute l’année. À Stockholm, la création d’un péage urbain a donné lieu à un double référendum, avant et après une période de test. Avant sa mise en œuvre, 70% de la population était contre. Après six mois de mise en œuvre, le résultat s'est inversé : 70% étaient pour le péage urbain. Je crois beaucoup à ce genre de mesures. Il faut annoncer, accompagner, aider ceux qui ont du mal, puis à un moment donné, il faut changer. 

De la même manière, les élus doivent sortir des clichés selon lesquels il suffit d’augmenter le nombre de bus pour limiter la place des voitures. Il s’agit plutôt de créer des imaginaires désirables, en aménageant par exemple des rues de jeu ou des places végétalisées pour montrer qu’une ville sans voitures est agréable. 

"Pour rompre avec le tout-voiture, il faut travailler sur l’imaginaire collectif qui valorise la mobilité et sortir d’une doxa selon laquelle on n’est rien si on ne possède pas d’automobile."

Plutôt que de contraindre les gens à se déplacer, on peut aussi amener les services à eux. Les bus de santé mis en œuvre dans certains départements en sont un exemple : ils ont été aménagés pour permettre aux patients de réaliser des examens de base. De fait, on estime que 80% des examens pourraient se faire hors de l'hôpital. Idem pour les services publics : quand on ne sait pas faire des démarches administratives en ligne, rien n’empêche qu’un bus vienne à vous pour vous assister. Cette offre peut même s’étendre aux loisirs. Il existe par exemple un cinéma itinérant logé dans un container, qui se déplace dans les villages. Même si les spectateurs viennent des villages alentours en voiture, ils parcourront 3 km au lieu d’en faire 30.

Enfin, pour rompre avec le tout-voiture, il faut travailler sur l’imaginaire collectif qui valorise la mobilité et sortir d’une doxa selon laquelle on n’est rien si on ne possède pas d’automobile. Par exemple, nombre d’offres d’emploi exigent le permis B, même lorsqu’il n’est pas indispensable à la réalisation des tâches demandées. On pourrait amener les recruteurs à se questionner sur la mention “permis B obligatoire”.

Pour autant, l’arrêt des mobilités motorisées est-il souhaitable ? Le confinement nous en a offert un exemple et montré que l’immobilité n’était pas forcément un horizon désirable…

L’imaginaire de la mobilité a d’abord été une lubie de riches avant de s’imposer à tous, via la publicité notamment. Les réseaux sociaux, et tout particulièrement Instagram où l’on poste ses photos de voyages, n’ont pas diminué la pression. Or, les études menées sur les mobilités, par le Forum Vies mobiles notamment, montrent que le désir de ralentir est très partagé. De fait, l’injonction à la mobilité est fatigante, y compris d’ailleurs dans le cadre des loisirs. Elle constitue un facteur de frustration pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer et d’épuisement pour ceux qui le peuvent. 

Quels sont les échelons territoriaux pertinents pour mener à bien des politiques rompant avec le tout-voiture ? 

Tous les échelons sont bons ! Au niveau des communes et des intercommunalités, les zones à trafic limité (ZTL), qui déterminent un certain nombre de trajets quotidiens à ne pas dépasser, peuvent être mises en place et s’avèrent bénéfiques aux commerces et au tourisme. Mais selon moi, c’est surtout l’Etat qui doit fixer les règles et les faire appliquer. Or, les mesures édictées en matière de mobilité, notamment par la loi d’orientation sur les mobilités (LOM, 2019) ne sont pas contraignantes, et reposent donc sur des démarches volontaires. Mais sans réelle contrainte, rien ne bouge.

"L’injonction à la mobilité est fatigante, y compris d’ailleurs dans le cadre des loisirs. Elle constitue un facteur de frustration pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer et d’épuisement pour ceux qui le peuvent."

On entend souvent dire que la lutte contre le tout-voiture n’est vraiment possible que dans les zones denses, où il existe des transports en commun. Qu’en est-il ? 

C’est faux ! J’en veux pour preuve le fait que les plus beaux villages de France sont tous piétons, et pour cause ! Aménager un parking à l’entrée d’un village ou d’un bourg et demander aux visiteurs de parcourir au maximum 300m à pied ne pénalise quasi personne. Pour peu qu’il y ait des bancs sur le parcours, tout le monde ou presque est en mesure de franchir une telle distance. Ce type de mesure est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre dans une ville comme Paris, où les distances à parcourir sont plus longues… 

La fiscalité peut-elle également être un levier pour limiter la part de la voiture dans nos déplacements ? 

Deux choses me viennent en tête. Le premier facteur est qu’en frais réels, on déduit la voiture de ses impôts, et il est facile de faire passer le perso en pro. Il y a aussi le fait que l’achat de véhicules d'entreprises est largement encouragé. Et puis, la comptabilité publique ne tient que très peu compte des externalités négatives, car elle aborde encore la question en silos. Une étude du Trésor public montre par exemple que la voiture est le mode de transport qui coûte le plus cher à la collectivité, toutes dépenses confondues. Mais comme ce ne sont pas toujours les mêmes entités qui payent selon qu’on parle d’aménagement viaire ou d'accidents de la route, on a du mal à évaluer son coût réel. Une autre étude menée à l’échelle européenne montre à l’inverse que les seuls modes de déplacement rentables pour la collectivité sont la marche et le vélo : ils n’ont pas d’externalités négatives telles que la perte de santé ou la pollution, et les infrastructures sont moins coûteuses à développer et à maintenir. C’est donc un gros travers des politiques publiques que de ne pas réfléchir globalement…

Enfin, vous parlez à la fin de l’ouvrage d’en venir à la contrainte. On touche ici à un épouvantail largement brandi, celui de l’écologie dite “punitive”, qui serait supposée vouloir tout interdire. Comment faire dans ce contexte ? 

On ne cesse d’entendre que les écologistes nous obligent à telle ou telle chose. Sauf qu’ils ne sont pas au pouvoir ! Ce qu’on constate généralement, c’est que les gens qui sont concernés par les mesures de restriction de la place de la voiture en ville les plébiscitent. Ils commencent par râler, puis réorganisent leurs habitudes en fonction des nouveaux aménagements.

"Ce qu’on constate généralement, c’est que les gens qui sont concernés par les mesures de restriction de la place de la voiture en ville les plébiscitent."

Prenons l’exemple de Rochefort-en-terre : le village est fermé à la circulation six mois par an, sauf pour les livraisons le matin. Au début, les habitants étaient contre, puis ils ont constaté que la mesure avait un effet positif sur la fréquentation touristique. Les ZFE et les péages urbains ont eu le même devenir : dans les 300 zones urbaines où ils ont été mis en place dans le monde, ils ont été plébiscités au bout de six mois !

Qui est Ludovic Bu ? 

Ludovic Bu est sociologue et diplômé de l’ESCP Business School. Il a contribué à lancer et développer trois sociétés de services de mobilités durables et inclusives, dont Wimoov et Citizencar. Il est également président de Moins Vite !, une association de sensibilisation aux enjeux de la vitesse. Il réside dans une sous-préfecture en Poitou, qui compte 30.000 habitants. Il ne possède pas de voiture, bien qu'ayant des enfants et des activités professionnelles.

Pour en savoir plus

Ludovic Bu, Tout-voiture : on arrête tout et on réfléchit, éditions rue de l’échiquier, 2024, 152 pages, 13,90 €

2025-02-04
Ceci est un super article de test, pour nous permettre de juger du design

La grève des éboueurs alerte sur l’augmentation du volume des déchets. Il y a urgence non seulement à adopter la stratégie zéro déchets mais aussi à appliquer le principe du pollueur payeur. Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci.

Ceci est mon premier h1 pour voir comment il rend

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité. Ceci peut être en gras. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre apparte­nance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère.

Ici ce sera un titre 2 pour structurer notre texte

Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des change­ments fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

« Les réhabitants veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité.

Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des change­ments fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

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Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci.

« Les réhabitants veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales »

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ :

  1. Un premier point
  2. Un deuxieme
  3. Un troisieme
    1. Salut voila un exemple
    2. Ici aussi
    3. Helllo
  4. Voilà encore

Ceci est mon deuxième h1 pour voir comment il rend

Ici ce sera deuxième h2 pour structurer notre texte

Ici une partie du texte en gras.

Des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre apparte­nance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère.

Ici un troisième h2 pour structurer notre texte

  • Une premier point
    • Ici
    • Et là
    • Pour voir
  • Un autre
    • Pour voir
    • Encore
  • Enfin voila

Ceci est mon troisième h1 pour voir comment il rend

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité.

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité.

2023-03-30
En Escale de Bruce Bégout : ce que l'aéroport dit de l'hypermobilité

Dans En escale, chroniques aéroportuaires, paru le mois dernier aux éditions Philosophie magazine, le philosophe Bruce Bégout dissèque au gré de chroniques savoureuses ce lieu emblématique de l’âge contemporain qu’est l’aéroport.

Il y a quelque chose de provocateur à consacrer un ouvrage entier aux aéroports, comme le fait Bruce Bégout dans En escale, chroniques aéroportuaires. L’époque est au “planeshaming”, et invite au contraire à troquer autant que possible l’avion pour le train. Voire pour le voilier, comme l’a fait Greta Thunberg lors de son récent périple en Amérique. Or, non seulement le philosophe, auteur en 2013 du très stimulant Suburbia (éditions Inculte), entend à certains égards les réhabibiliter (à tout le moins les delester en partie de leur étiquette de “non-lieux”), mais il le fait au terme d’un protocologe étonnant, et sans doute éprouvant : pour mieux saisir ces lieux de transit, auxquels on prête d’autant moins d’attention qu’on est concentré sur sa destination, il a choisi d’en faire l’unique but de ses voyages à Bangkok, Istanbul, Amman ou Amsterdam, et de ne pas en franchir les portes une fois l’avion posé sur la piste. “J’ai tourné ma conscience, et chaque cellule de mon corps vers l’espace aéroportuaire lui-même, explique-t-il en introduction, le parcourant en tous sens, répondant sans rechigner à toutes ses offres, et m’interrogeant à chaque instant au sujet de ce qui le constituait en propre à l’âge de l’hypermobilité.”

“L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.” Bruce Bégout

Un bâtiment accordé à des besoins nouveaux

Ce “voyage paradoxal” donne lieu à une série de réflexions sur l’architecture des aéroports, les valises à roulettes que les voyageurs y trainent derrière eux, la musique qu’on y diffuse, les dispositifs de sécurité, les espaces duty free, les salons VIP, les hôtels tout proches destinés à accueillir les voyageurs en transit ou encore les accès de rage dont sont parfois pris certains. Ainsi, au fil de courts chapitres à l’écriture ciselée, En escale dessine un lieu spécifique, standardisé jusqu’à un certain point, mais qui n’exclut pas tout à fait la couleur locale. A rebours du topos selon lequel l’aéroport serait un lieu banalisé, Bruce Bégout le campe en espace parfaitement ajusté à la modernité, et à ce titre sans équivalent dans l’architecture contemporaine : “L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux, écrit notamment Bruce Bégout. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.”

L'isoloir à ciel ouvert dans lequel l'époque se confesse

Au-delà de ses caractéristiques architecturales et fonctionnelles, l’aéroport offre aussi un concentré des valeurs et habitus contemporains : il se donne pour “l’isoloir à ciel ouvert dans lequel l’époque se confesse.” Il inspire à ce titre à Bruce Bégout une série de descriptions piquantes ou poétiques, où sont décrits non sans dérision les comportements des voyageurs et les dispositifs où ils sont pris. Pour ce faire, Bruce Bégout sollicite au besoin une poignée de figures littéraires ou artistiques ayant partagé son intérêt pour les aéroports, parmi lesquelles Don De Lillo, Jacques Tati, James G. Ballard, Gwenola David et Stephane Degoutin ou Brian Eno… Ces références viennent nourrir ses propres observations et suggèrent à quel point l’aéroport fascine et façonne nos contemporains.

Pour en savoir plus :

Bruce Bégout, En escale, chroniques aéroportuaires, philosophie magazine éditeur, Paris, 2019, 14 euros

2019-10-09
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