Mobilité des salariés et des marchandises : quelles solutions ?

écrit par
Pierre Monsegur
2017-03-17

Le 15 mars, la dixième édition du Salon Produrable à Paris consacrait deux tables rondes à la mobilité des salariés et des marchandises en milieu urbain. L’occasion de faire un point sur l’évolution de ces pratiques.

Inconfort des automobilistes, effet des microparticules sur la santé, et des émissions de CO2 sur le changement climatique, baisse de l’efficacité économique due au ralentissent de la production de valeur… On n’en finit plus d’énumérer les problèmes liés à la congestion routière en ville. A l’échelle individuelle, le temps perdu dans les embouteillages augmente chaque année : il représente 15 à 41 minutes par jour alors que l’offre de mobilité n’a jamais été aussi importante (auto-partage, transports en communs, plateforme de co-voiturage, flotte partagée…). Pour ce qui est de la mobilité des personnes dans leur trajet pendulaire domicile-travail, force est de constater que la voiture est toujours privilégiée avec une tendance forte à l’autosolisme. Alors que le co-voiturage grand public connaît un fort développement, le co-voiturage domicile-entreprise ne décolle pas, et plafonne à une moyenne de 1.07 personnes par voiture.

Mobilité des salariés : une myriade de solutions

En matière de mobilité dans le cadre professionnel, les solutions sont pourtant nombreuses. Parmi les intervenants aux tables rondes du Salon Produrable, Info Trafic propose depuis 17 ans aux entreprises des affichages dynamiques qui permettent aux salariés de faire des arbitrages de multi-modalités pour réduire leur temps de transport. Weepil a créé une application qui organise des groupes de co-voiturage réguliers durables. Celle-ci crée automatiquement les plannings de tours de rôles tenant compte des contraintes des uns des autres (loisirs, temps partiel…) avec une actualisation permanente en fonction des impondérables de dernière minute, qui sont souvent cités comme l’un des freins les plus forts. Enfin Bemobi, filiale de La Poste (l’un des premiers employeurs de France avec 250 000 collaborateurs), accompagne la mise en place de Plans de Déplacement en Entreprise. Ces PDE devraient se multiplier : l’article 51 de la Loi sur la Transition Energétique pour la Croissance Verte dispose que, dans le périmètre d’un Plan de Déplacements Urbains, toutes les entreprises regroupant plus de 100 salariés sur un même site doivent élaborer un plan de mobilité d’ici le 1er janvier 2018 pour améliorer la mobilité de leur personnel et encourager l’utilisation des transports en commun et le recours au covoiturage. La dirigeante de Bemobi  insiste sur l’importance de l’accompagnement humain dans la mise en œuvre des PDE : il faut expliquer pourquoi on demande aux salariés ce changement de comportement, dédramatiser, faire tester des moyens de transport alternatifs et animer au long cours le programme.Le cas du vélo est intéressant. Alors que des millions de salariés français habitent à moins de 7 kms de leur entreprise, seuls 2% y vont à vélo. A titre de comparaison, ils sont 10 % en Allemagne et 50 % aux Pays-Bas. En France ST Microelectronics à Grenoble montre que c’est possible avec 400 vélos garés dans son garage !La bonne réponse tient donc dans la multi-modalité et l’inter-modalité, l’utilisation de technologies ad hoc, la mise en place de l’accompagnement. Et pourquoi pas l’échange des lieux de travail entre employés qui occupent le même poste : c’est ce que propose JobiLX.

Le transport de marchandises, enjeu de poids

Le flux de marchandises dans la ville génère lui aussi des embouteillages et représente de 25 à 50 % des polluants urbains dans un contexte où aucune autorité ne régule ces flux. Dopée par le développement rapide de l’e-commerce  (+ 20% par an en France), la livraison des colis explose : on en livre aujourd’hui 500 millions par an en France et  1 million par semaine à Paris ! Le client veut en outre être livré de plus en plus vite (la livraison dans les deux heures n’est plus une utopie). Comportement schizophrénique car il redevient vite le citoyen qui ne supporte pas bruit, pollution et embouteillages de ces transports associés.La Poste, qui intervenait également sur ce thème, réfléchit à différentes solutions : rapprocher ses dépôts du centre alors que le coût du foncier les en a éloignés, créer des HLU (Hôtels Logistiques Urbains) qui mutualisent colis et livraisons de différents acteurs, choisir des propulsions plus propres pour ses véhicules (électrique, GNV, norme euro 6, agrocarburants et carburants de synthèse, moteurs hybrides…). Et pour le fameux « dernier kilomètre » la réponse peut être multiple : le client vient retirer lui-même son colis dans un réseau de point relais ou il lui est livré par un coursier à vélo (la Poste vient de racheter Stuart). Enfin, La Fabrique de la Cité, un think tank créé à l’initiative de Vinci, a présenté « feeding and fueling the city » trois scénarios prospectifs élaborés en 2016 pour repenser la logistique urbaine. Le premier, « la ville plateforme », répond à une vision régulée. Les collectivités reprennent en mains la construction d’une stratégie logistique territoriale en s’appuyant sur des centres de consolidation à la périphérie, des concessions logistiques de service public dans les arrondissements et un encadrement des livraisons et des utilisations de la voirie.Dans le deuxième, « la ville service », les collectivités laissent les acteurs économiques s’organiser dans un scénario « business as usual ». Faisant de plus en plus appel à la technologie, ce dernier propose une logistique mutualisée et optimisée en temps réel en s’appuyant sur l’ensemble des moyens logistiques disponibles. Quant au dernier scénario, « la ville territoire », il postule une rupture qui s’appuie sur une exploitation du potentiel productif (agricole comme industriel) du territoire sans prétendre à l’auto-suffisance et le développement de l’économie circulaire avec des citadins acteurs de cette évolution. Mais même si de nombreuses idées, solutions et expériences ont été évoquées lors du salon Produrable, il ne sera pas facile de sortir de l'addiction aux véhicules qui ont formaté nos villes et nos vies.

Pierre Monsegur

Sur le même thème

Ceci est un super article de test, pour nous permettre de juger du design

La grève des éboueurs alerte sur l’augmentation du volume des déchets. Il y a urgence non seulement à adopter la stratégie zéro déchets mais aussi à appliquer le principe du pollueur payeur. Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci.

Ceci est mon premier h1 pour voir comment il rend

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité. Ceci peut être en gras. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre apparte­nance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère.

Ici ce sera un titre 2 pour structurer notre texte

Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des change­ments fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

« Les réhabitants veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité.

Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des change­ments fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

Ici un titre 3  pour embelir fortement notre texte

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales.

Voilà une image sympa

Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des change­ments fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

Ici un titre 4  pour structurer notre texte

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci.

« Les réhabitants veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales »

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ :

  1. Un premier point
  2. Un deuxieme
  3. Un troisieme
    1. Salut voila un exemple
    2. Ici aussi
    3. Helllo
  4. Voilà encore

Ceci est mon deuxième h1 pour voir comment il rend

Ici ce sera deuxième h2 pour structurer notre texte

Ici une partie du texte en gras.

Des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre apparte­nance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère.

Ici un troisième h2 pour structurer notre texte

  • Une premier point
    • Ici
    • Et là
    • Pour voir
  • Un autre
    • Pour voir
    • Encore
  • Enfin voila

Ceci est mon troisième h1 pour voir comment il rend

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité.

Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité.

09/01/2025
Vivre et travailler partout : portrait du nomade digital

Un ordinateur portable, une connexion Internet, un téléphone : c’est à peu près de quoi se compose le bureau du nomade numérique. Et pour cause : celui-ci peut travailler à peu près partout…

Contacté par mail depuis un coin de campagne situé à quelques heures de Paris, Fabrice Dubesset répond quasi instantanément à nos sollicitations : il est disponible pour un entretien téléphonique par Whatsapp (l’application mobile permet de passer gratuitement des appels longue distance), et propose une fin d’après-midi pour accorder nos agendas au décalage horaire entre la France et la Colombie. Ce free lance vit en effet à Bogota, où il anime le blog “Instant voyageur”, qu’il a créé en 2011 après une morne carrière de documentaliste à Paris. Mine de conseils pratiques à l’attention des globe trotters, ce média numérique très visité s’est assorti au fil du temps de l’organisation d’un événement annuel, le Digital Nomad Starter, et d’une offre de coaching. En 2020, Fabrice Dubesset a aussi publié un guide pratique aux éditions Diateino : Libre d’être digital nomad. Justement, notre entretien téléphonique a pour objet de mieux cerner les nomades digitaux, dont le nombre irait croissant depuis quelques années, et pourrait croître encore à la faveur de l’épidémie de Covid-19. Les conditions de réalisation de l’interview fournissent à cela un excellent préambule : elle aura nécessité en tout et pour tout une connexion internet et une application de messagerie. Pour le reste, nous aurions pu être tout aussi bien à Calcutta, Vierzon ou New York, sans que notre localisation ne change rien aux conditions de notre échange ni à sa qualité.

Le nomadisme digital : un mode de vie

Cette capacité à travailler n’importe où et cette indépendance à l’égard des lieux de décision et de production caractérisent le nomade digital. “Il a le choix de voyager et de vivre où il veut grâce à Internet, explique Fabrice Dubesset. Souvent, les gens ont cinq semaines de vacances et sont limités dans leurs déplacements par le temps ou par l’argent. Le Digital nomad ignore ces deux limites : il a le choix de vivre et de travailler n’importe où.” Maxime Brousse, journaliste et auteur de Les Nouveaux nomades aux éditions Arkhé (2020), en propose une définition très proche de celle de Fabrice Dubesset, tout en la précisant : « Les digital nomads sont des personnes dont la localisation n’a pas d’impact sur le travail. Ici, il s’agira plus spécifiquement d’Occidentaux qui ont décidé de quitter leur pays d’origine, généralement pour des pays d’Asie du Sud-Est ou d’Amérique latine. Ils voyagent essentiellement en avion et travaillent dans le numérique. » A cet égard, le digital nomad réfère souvent à un profil type : celui du free lance sans enfants désireux de s’accomplir dans une activité intellectuelle valorisante, liée à l’économie du savoir et de l’information. “Généralement, cela implique des métiers créatifs, et des statuts ou des revenus précaires : graphistes, rédacteurs Web, codeurs, traducteurs... », écrit Maxime Brousse. On peut aussi y ajouter certains entrepreneurs du clic agrégeant autour d’eux une équipe tout aussi nomade. Bref, tous les travailleurs dont les outils de travail sont délocalisables, et qui peuvent ainsi assurer une continuité d’activité quel que soit leur lieu de résidence.

"Souvent, les gens ont cinq semaines de vacances et sont limités dans leurs déplacements par le temps ou par l’argent. Le Digital nomad ignore ces deux limites : il a le choix de vivre et de travailler n’importe où.” Fabrice Dubesset

Un ordinateur, une connexion internet et un espace de coworking

Contrairement à d’autres nomades contemporains (migrants, travailleurs saisonniers et même grands navetteurs...) et à distance du nomadisme dans son acception la plus classique, le nomade digital se caractérise ainsi par son appareillage technologique : il est indissociable de l’ordinateur portable et du smartphone qu’il trimballe avec lui, et de la connexion internet qui le relie à ses activités quotidiennes. Ce qui ne l’empêche pas de se « plugger » sur divers lieux spécialement conçus à son attention, à commencer par les espaces de coworking. Outre qu’ils lui fournissent un indispensable accès à Internet, ces derniers lui permettent d’entrer en contact avec une communauté de semblables avec qui partager bons plans, conseils et activités. “C’est toujours important de rencontrer d'autres personnes qui ont fait les mêmes choix que vous”, explique Fabrice Dubesset. Bien qu’ils puissent théoriquement travailler partout, les nomad digitaux ont donc leurs “spots”, où ils restent plus ou moins longtemps, selon qu’ils sont fast ou slow. Le plus couru d’entre eux est situé à Chiang Maï en Thaïlande, où se tiennent même formations, séminaires et conférences sur le sujet. Les nomades digitaux sont aussi nombreux à Bali et Lisbonne. Ils y trouvent tout ce qui leur faut pour s’épanouir, de la vie bon marché aux réseaux professionnels et d’entraide, en passant par le climat, la beauté du site et une offre culturelle et culinaire de qualité. « Les nomades digitaux tiennent le milieu entre le touriste et l’expatrié, décrit Fabrice Dubesset. Dans leur mode de vie, ils sont de passage. D’ailleurs, ils se retrouvent souvent dans les mêmes quartiers que les touristes, même s’ils prennent un Airbnb plutôt qu’un hôtel. » Ce qui fait dire au blogger que “le nomadisme digital n’est pas un métier, mais un mode de vie.” Ce mode de vie se décline aussi en France, et tout particulièrement dans le Perche, où Mutinerie, l’un des premiers coworking spaces parisiens, a ouvert un lieu, Mutinerie Village, pour accueillir les nomades digitaux en quête de vie au vert. “Un bon spot pour digital nomad, résume Maxime Brousse, c’est partout où vous captez Internet assez convenablement pour convaincre vos clients que vous êtes en mesure de travailler.”

“Un bon spot pour digital nomad, résume Maxime Brousse, c’est partout où vous captez Internet assez convenablement pour convaincre vos clients que vous êtes en mesure de travailler.” Maxime Brousse

Un travailleur agile, mais précaire…

L’essor récent des travailleurs nomades doit à la convergence de divers phénomènes, dont le plus décisif est la révolution numérique. Ainsi, la première occurrence de l’expression « digital nomad » date de 1997, et naît sous la plume de Tsugio Makimoto et David Manners. Dans un livre éponyme, les deux auteurs expliquent que les technologies de l’information, alors en pleine émergence, permettront à terme aux travailleurs de s’affranchir du bureau, pour travailler n’importe où. Près de vingt-cinq ans plus tard, leurs prédictions ne se vérifient qu’en partie : si le nombre de nomades digitaux a bel et bien bondi, le salariat reste majoritairement attaché à la vie de bureau, pour des raisons de management : “même si l’épidémie de Covid-19 fait évoluer les mentalités, les patrons et les manageurs sont encore réticents au télétravail, souligne Fabrice Dubesset. Ils veulent pouvoir contrôler leurs salariés et craignent que la distance n’entraîne une chute de la productivité.” Sans parler des activités forcément “présentielles” : agriculture, activités industrielles, services à la personne, artisanat... A cet égard, l’essor des nomades digitaux est indissociable des mutations récentes du monde du travail, et particulièrement de l’érosion du salariat. Maxime Brousse note d’ailleurs que leur nombre et leur visibilité médiatique s’accroissent sensiblement après la crise de 2008. « De plus en plus de personnes se sont faites à l’idée que leur vie professionnelle, qu’elles le souhaitent ou non, serait constituée d’une succession d’emplois dans différentes entreprises, dans différents secteurs, sous différents statuts, écrit-il. Le nombre de CDD augmente peu, mais ceux-ci durent de moins en moins longtemps. Parallèlement, le nombre de travailleurs indépendants a, lui, augmenté de 120 % en dix ans : en 2017, plus de 10 % des actifs étaient freelance ».

“Même si l’épidémie de Covid-19 fait évoluer les mentalités, les patrons et les manageurs sont encore réticents au télétravail. Ils veulent pouvoir contrôler leurs salariés et craignent que la distance n’entraîne une chute de la productivité.” Fabrice Dubesset

Maître mot : s’épanouir

A cette précarisation (choisie ou subie) des travailleurs, s’ajoute l’aspiration croissante à une activité qui ait un sens, loin des “bullshit jobs” décrits par David Graeber avec l’écho médiatique que l’on sait. « Pouvoir travailler où l’on veut, ne pas avoir de comptes à rendre à un patron, ne pas être coincé dans un bureau, passer d’un emploi à l’autre... Le travail doit être moins contraignant, décrit Maxime Brousse. Il doit être vécu comme un épanouissement personnel. Il doit être porteur de sens.”

« Pouvoir travailler où l’on veut, ne pas avoir de comptes à rendre à un patron, ne pas être coincé dans un bureau, passer d’un emploi à l’autre... Le travail doit être moins contraignant. Il doit être vécu comme un épanouissement personnel. Il doit être porteur de sens.” Maxime Brousse

Fabrice Dubesset va dans le même sens :  “Le digital nomad n’a pas forcément envie de gagner beaucoup d’argent, et le plaisir dans le travail passe avant sa rétribution, note-t-il. Il est prêt à travailler moins et à gagner moins.” Ainsi, le nomade digital fait primer la liberté sur la sécurité matérielle. Sa mobilité est le signe le plus évident et le plus manifeste d’un tel choix. Valorisée socialement, celle-ci est en effet synonyme de réussite et d’épanouissement, mais dévaluée quand elle s’assimile au tourisme de masse. A ce dernier, le nomade digital oppose un art du voyage qui est aussi un art de vivre, et ressemble furieusement à une stratégie de distinction.

Les nomades digitaux : des “anywhere”

De fait, le nomade 2.0 n’a plus grand chose à voir avec le nomade tel qu’on le campe généralement : quand le Rom ou le punk à chiens, version contemporaine du vagabond, suscitent surtout défiance et rejet, le nomade numérique est loué pour son courage, envié pour sa liberté : “Même quand on les critique, c’est avec une pointe de jalousie, explique Maxime Brousse, sur le site des éditions Arkhe. Pour moi, ces voyageurs-là sont bien vus, tout simplement parce qu’ils ressemblent énormément aux sédentaires et à la culture dominante, dont ils sont souvent issus : ils ont fait des études d’architecture ou de marketing, maitrisent les codes des réseaux sociaux et de la communication et ne portent pas de discours critique sur la société.”Loin des marges, le digital nomad appartient plutôt à la classe des “anywhere”, telle que la définit David Goodhart dans Les Deux clans. La nouvelle fracture mondiale (éditions Les Arènes). Selon le journaliste anglais, la population dans les pays dits avancés se diviserait en deux catégories : les “somewhere”, “les gens de quelque part”, et les “everywhere”, ceux de “partout”. Les partout représenteraient 25% de la population. Ils sont éduqués, mobiles, et bénéficient de la mondialisation. Les “quelque part” seraient quant à eux majoritaires sur le plan démographique (50% de la population), mais minoritaires sur le plan politique. Si les “anywhere” ne sont pas tous des nomades numériques, ces derniers sont sans exception des “anywhere”. Ils sont appelés à se déplacer dans le monde entier, avec leurs connaissances, leurs réseaux et leurs capacités cognitives pour bagages. Il leur faut simplement savoir gérer un emploi du temps, et aussi une certaine solitude. Ce clivage social entre “somewhere” et “everywhere” explique que les nomades digitaux n’aient pas toujours bonne presse. Campés en profiteurs de la misère du monde et en gentrifieurs au bilan carbone désastreux, ils sont pourtant la tête de pont d’une évolution générale, que l’épidémie de Covid-19 pourrait amplifier. Quitte à compliquer un peu plus l’équation politique entre “ceux de partout” et “ceux de quelque part”.

En savoir plus :

Maxime Brousse, Les Nouveaux nomades, éditions Arkhé, 2020, 19 euros. Description à lire ici

2021-01-20
En Escale de Bruce Bégout : ce que l'aéroport dit de l'hypermobilité

Dans En escale, chroniques aéroportuaires, paru le mois dernier aux éditions Philosophie magazine, le philosophe Bruce Bégout dissèque au gré de chroniques savoureuses ce lieu emblématique de l’âge contemporain qu’est l’aéroport.

Il y a quelque chose de provocateur à consacrer un ouvrage entier aux aéroports, comme le fait Bruce Bégout dans En escale, chroniques aéroportuaires. L’époque est au “planeshaming”, et invite au contraire à troquer autant que possible l’avion pour le train. Voire pour le voilier, comme l’a fait Greta Thunberg lors de son récent périple en Amérique. Or, non seulement le philosophe, auteur en 2013 du très stimulant Suburbia (éditions Inculte), entend à certains égards les réhabibiliter (à tout le moins les delester en partie de leur étiquette de “non-lieux”), mais il le fait au terme d’un protocologe étonnant, et sans doute éprouvant : pour mieux saisir ces lieux de transit, auxquels on prête d’autant moins d’attention qu’on est concentré sur sa destination, il a choisi d’en faire l’unique but de ses voyages à Bangkok, Istanbul, Amman ou Amsterdam, et de ne pas en franchir les portes une fois l’avion posé sur la piste. “J’ai tourné ma conscience, et chaque cellule de mon corps vers l’espace aéroportuaire lui-même, explique-t-il en introduction, le parcourant en tous sens, répondant sans rechigner à toutes ses offres, et m’interrogeant à chaque instant au sujet de ce qui le constituait en propre à l’âge de l’hypermobilité.”

“L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.” Bruce Bégout

Un bâtiment accordé à des besoins nouveaux

Ce “voyage paradoxal” donne lieu à une série de réflexions sur l’architecture des aéroports, les valises à roulettes que les voyageurs y trainent derrière eux, la musique qu’on y diffuse, les dispositifs de sécurité, les espaces duty free, les salons VIP, les hôtels tout proches destinés à accueillir les voyageurs en transit ou encore les accès de rage dont sont parfois pris certains. Ainsi, au fil de courts chapitres à l’écriture ciselée, En escale dessine un lieu spécifique, standardisé jusqu’à un certain point, mais qui n’exclut pas tout à fait la couleur locale. A rebours du topos selon lequel l’aéroport serait un lieu banalisé, Bruce Bégout le campe en espace parfaitement ajusté à la modernité, et à ce titre sans équivalent dans l’architecture contemporaine : “L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux, écrit notamment Bruce Bégout. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.”

L'isoloir à ciel ouvert dans lequel l'époque se confesse

Au-delà de ses caractéristiques architecturales et fonctionnelles, l’aéroport offre aussi un concentré des valeurs et habitus contemporains : il se donne pour “l’isoloir à ciel ouvert dans lequel l’époque se confesse.” Il inspire à ce titre à Bruce Bégout une série de descriptions piquantes ou poétiques, où sont décrits non sans dérision les comportements des voyageurs et les dispositifs où ils sont pris. Pour ce faire, Bruce Bégout sollicite au besoin une poignée de figures littéraires ou artistiques ayant partagé son intérêt pour les aéroports, parmi lesquelles Don De Lillo, Jacques Tati, James G. Ballard, Gwenola David et Stephane Degoutin ou Brian Eno… Ces références viennent nourrir ses propres observations et suggèrent à quel point l’aéroport fascine et façonne nos contemporains.

Pour en savoir plus :

Bruce Bégout, En escale, chroniques aéroportuaires, philosophie magazine éditeur, Paris, 2019, 14 euros

2019-10-09
// // //