Aux Archives nationales, l'exposition Mobile/Immobile sonde les mobilités contemporaines

écrit par
midionze
2019-01-19

Aux Archives nationales, l’exposition Mobile/immobile explore sous toutes leurs coutures les mobilités contemporaines, en croisant les regards d’artistes et de chercheurs. Visite guidée.

Dans les sociétés contemporaines, la mobilité est une valeur, sinon un idéal. Se déplacer, bouger, voyager (si possible loin), est vu comme un gage d’ouverture au monde, de réussite sociale et de liberté. C’est même un droit fondamental inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ici et là pourtant, ce mythe né au XIXe siècle se fissure. Il y a bien sûr la crise écologique : les transports pèsent lourd (de l’ordre de 30% en France) dans les émissions de gaz à effets de serre, et l’organisation spatiale née de la massification automobile obère toute possibilité de transition à court et même à moyen terme. Il y a aussi la différentiation sociale et spatiale qu’opère la possibilité ou non d’aller et venir librement – la crise des migrants et celle des gilets jaunes l’illustrent chacune à leur manière. Au point que le géographe Tim Creswell écrivait en 2016 dans Ne pas dépasser la ligne ! : « La mobilité des uns dépend de l’immobilité des autres. »L’exposition Mobile/Immobile aux Archives nationales n’est pas de nature à réhabiliter ce « fait social total » qu’est la mobilité, ni à plaider pour un modèle (et un mode de vie) fondé à plus de 90% sur l’extraction pétrolière. Organisée par le Forum Vies Mobiles, elle synthétise les collaborations d’artistes et de chercheurs en sciences sociales suscitées par ce think tank depuis 2011, pour mieux plaider – dans la dernière partie surtout – la nécessité d’une décélération. L’ambivalence des mobilités contemporaines s’esquisse en effet dès le seuil de l’exposition, avant même qu’on n’en parcoure les quatre sections.A droite des escaliers, une série de planches de bandes dessinées conçues par Jean Leveugle à partir de textes d’Emmanuel Ravalt, Stéphanie Vincent-Geslin et Vincent Kaufmann (par ailleurs commissaire scientifique de Mobile/Immobile) décrit quatre « tranches de vie mobile », dont celles de Gaby, infirmière et mère célibataire contrainte à d’interminables trajets quotidiens par des contrats précaires, et de Jean, commercial ravi de voler de gare en aéroport. Si leurs regards se croisent furtivement dans le RER, toute autre forme de rencontre serait entre eux impossible : leur expérience de la mobilité – l’une contrainte, l’autre choisie – et la condition qui en découle les éloigne radicalement. De l’autre côté de l’escalier qui mène aux salles d’exposition, la même dialectique se fait jour dans les photographies de Vincent Jarousseau : initiateur pendant la dernière campagne présidentielle d’une série à Denain, dans le Nord, il défait l’idée qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot, et montre au contraire l’harassant quotidien de livreurs et de chauffeurs routiers, dont l’un apparaît d’ailleurs, sur les derniers clichés, vêtu d’un gilet jaune.

Quand la mobilité modèle l'espace et trie les hommes

Après cette entrée en matière, la première section de l’exposition retrace la genèse d’un modèle économique et social dont la mobilité est la valeur cardinale. Pour ce faire, elle réunit d’abord une collecte photographique de 82 clichés amateurs pris en Chine entre 1960 et aujourd’hui. Le pays a effet vécu en accéléré les bouleversements qui ont conduit l’Occident, dès le 19e siècle, à valoriser la vitesse – au point d’accorder le design d’objets ménagers (dont le fameux presse agrume de Starck) aux formes nées de l’aérodynamisme ferroviaire et aérien. Elle montre surtout comment l’automobile remodèle l’espace dès l’entre-deux-guerres via la mise en œuvre du « zonage » prôné par le fonctionnalisme. A cet effet, l’accrochage confronte le Plan Voisin conçu par le Corbusier en 1925 à la représentation rétrofuturiste qu’en propose Alain Bublex. Des grands ensembles à l’étalement urbain, c’est tout l’aménagement urbain qui se plie désormais aux déplacements motorisés – au risque de l’uniformisation, comme le montre la série photographique « Espace-Construction » conçue entre 2002 et 2005 par Claire Chevrier.Mais la massification de l’automobile à l’échelle planétaire n’équivaut pas mobilité généralisée, bien au contraire. La deuxième section de Mobile/Immobile montre au contraire comment s’organisent des formes différentiées de mobilités, selon qu’on est homme d’affaire ou migrant, riche ou pauvre, Blanc ou Noir. Née d’une collaboration avec Tim Creswell, la série photographique « Ne pas dépasser la ligne ! » de Géraldine Lay révèle le tri qui s’opère à l’aéroport de Schipol (Amsterdam) et dans la gare du Nord entre les différentes catégories de voyageurs. Si Laura Henno reconstitue avec les migrants de Calais les étapes de leur périple dans une veine quasi épique, Ai Weiwei dévoile dans Réfugiés connectés (2017) le rôle crucial que les migrants assignent aux téléphones mobiles. Du reste, un aperçu des listes et des fiches conservées dans les Archives souligne que ce traitement différencié n’est pas un fait nouveau : mis en œuvre dès le Moyen-âge, le contrôle des populations mobiles (soldats, vagabonds, esclaves, etc.) se rationalise et se complexifie au 19e siècle, jusqu’à la généralisation du passeport et de la carte d’identité pendant la Première guerre mondiale.

Et demain, accélérer ou ralentir ?

Après un « sas » de transition dédié à la série « Néonomades » de Ferjeux Van Der Stigghel, Mobile/Immobile plonge ensuite dans les modes de vie contemporains, et s’intéresse tout particulièrement à la façon dont les mobilités dites réversibles (celles qui utilisent la vitesse et les objets connectés pour joindre des lieux distants sans perte de temps) reconfigurent nos relations aux territoires. Intitulée « des vies mobiles entre ville et campagne », cette troisième section explore d’abord l’espace périurbain européen et américain à travers les photographies de Marion Poussier, Patricia Di Fiore, Olivier Culmann et Jürgen Nefzger. Elle montre aussi la série « Suivre la piste du rail indien » d’Ishan Tankha, qui montre les voyageurs reliant Mumbai, mégalopole surpeuplée, aux régions côtières du Konkan, pour mieux nuancer l’idée d’un exode rural irréversible. Au gré de l’accrochage, cette continuité entre ville et campagne cède peu à peu la place à un monde entièrement urbanisé : les photographies de Tim Franco et l’installation de Wang Gongxin illustrent chacune à leur façon l’accélération des modes de vie en Chine, tandis que Sylvie Bonnot confronte le lent trajet du transsibérien aux déplacements pressés de la foule tokyoite.La solitude et l’anomie qui se dégagent de ces œuvres dispose naturellement le spectateur à aborder la dernière section de Mobile/Immobile. Résolument prospective, celle-ci ouvre sur cette question cruciale : Et demain ? Accélérer ou ralentir ? Une question que ne justifie pas seulement la lutte contre le changement climatique, mais plus largement les aspirations de nombre d’entre nous : selon une étude conduite en 2015 par le Forum Vies mobiles dans 6 pays, 8 personnes sur 10 souhaiteraient ralentir. A cet effet, Caroline Delmotte et Gildas Etevenard donnent à voir ce que pourrait devenir la région parisienne si elle devenait en 2050 une « bio-région ». Soit une série d’espaces verdoyants et productifs, qui contrastent singulièrement avec une version dystopique des mêmes lieux en cas de poursuite des modes de vie actuels. Marie Velardi propose quant à elle une « salle de décélération » accordée au rythme lunaire. Et pour clore l’exposition, Elinor Whidden nous invite à renouer avec la marche des Amérindiens sur les pistes, et à bricoler d’autres moyens de transport, dont la lenteur s’abouche avec la poésie. Tout un programme…

Infos pratiques :

Mobile/Immobile : artistes et chercheurs explorent nos modes de vie, du 16 janvier au 29 avril 2019

Une exposition du Forum Vies mobiles aux Archives nationales - 60 rue des Francs-bourgeois 75003 Paris

Du lundi au dimanche (fermé le mardi)En semaine: 10h00-17h30 /Samedi et dimanche : 14h00-17h30Plein tarif : 8 €, tarif réduit : 5 €

Métro : Ligne 1 et 11 Arrêt Hôtel de ville / Ligne 11 Arrêt Rambuteau

midionze

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Ceci est un super article de test, pour nous permettre de juger du design

La grève des éboueurs alerte sur l’augmentation du volume des déchets. Il y a urgence non seulement à adopter la stratégie zéro déchets mais aussi à appliquer le principe du pollueur payeur. Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci.

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Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité. Ceci peut être en gras. Leur but peut inclure le développement de cultures biorégionales contemporaines capables de célébrer la continuité de la vie où ils vivent, et de nouvelles formes de participations inter-régionales avec d’autres cultures basées sur notre apparte­nance mutuelle, en tant qu’espèce, à la biosphère.

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Transiter vers une société réhabitante, toutefois, requiert des change­ments fondamentaux dans la direction prise par les actuels systèmes économiques, politiques et sociaux.

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Les réhabitants sont aussi différents des envahisseurs que ceux-ci ne l’étaient des habitants originels. Ils veulent se fondre dans le lieu, ce qui requiert une préservation de celui-ci. Leurs objectifs les plus fondamentaux sont de res­taurer et de conserver les bassins-versants, la couche arable de la terre et les espèces locales : des éléments absolument nécessaires à une existence in situ parce qu’ils déterminent les conditions essentielles en matière d’eau, de nourri­ture et de stabilité de la biodiversité.

09/01/2025
Vivre et travailler partout : portrait du nomade digital

Un ordinateur portable, une connexion Internet, un téléphone : c’est à peu près de quoi se compose le bureau du nomade numérique. Et pour cause : celui-ci peut travailler à peu près partout…

Contacté par mail depuis un coin de campagne situé à quelques heures de Paris, Fabrice Dubesset répond quasi instantanément à nos sollicitations : il est disponible pour un entretien téléphonique par Whatsapp (l’application mobile permet de passer gratuitement des appels longue distance), et propose une fin d’après-midi pour accorder nos agendas au décalage horaire entre la France et la Colombie. Ce free lance vit en effet à Bogota, où il anime le blog “Instant voyageur”, qu’il a créé en 2011 après une morne carrière de documentaliste à Paris. Mine de conseils pratiques à l’attention des globe trotters, ce média numérique très visité s’est assorti au fil du temps de l’organisation d’un événement annuel, le Digital Nomad Starter, et d’une offre de coaching. En 2020, Fabrice Dubesset a aussi publié un guide pratique aux éditions Diateino : Libre d’être digital nomad. Justement, notre entretien téléphonique a pour objet de mieux cerner les nomades digitaux, dont le nombre irait croissant depuis quelques années, et pourrait croître encore à la faveur de l’épidémie de Covid-19. Les conditions de réalisation de l’interview fournissent à cela un excellent préambule : elle aura nécessité en tout et pour tout une connexion internet et une application de messagerie. Pour le reste, nous aurions pu être tout aussi bien à Calcutta, Vierzon ou New York, sans que notre localisation ne change rien aux conditions de notre échange ni à sa qualité.

Le nomadisme digital : un mode de vie

Cette capacité à travailler n’importe où et cette indépendance à l’égard des lieux de décision et de production caractérisent le nomade digital. “Il a le choix de voyager et de vivre où il veut grâce à Internet, explique Fabrice Dubesset. Souvent, les gens ont cinq semaines de vacances et sont limités dans leurs déplacements par le temps ou par l’argent. Le Digital nomad ignore ces deux limites : il a le choix de vivre et de travailler n’importe où.” Maxime Brousse, journaliste et auteur de Les Nouveaux nomades aux éditions Arkhé (2020), en propose une définition très proche de celle de Fabrice Dubesset, tout en la précisant : « Les digital nomads sont des personnes dont la localisation n’a pas d’impact sur le travail. Ici, il s’agira plus spécifiquement d’Occidentaux qui ont décidé de quitter leur pays d’origine, généralement pour des pays d’Asie du Sud-Est ou d’Amérique latine. Ils voyagent essentiellement en avion et travaillent dans le numérique. » A cet égard, le digital nomad réfère souvent à un profil type : celui du free lance sans enfants désireux de s’accomplir dans une activité intellectuelle valorisante, liée à l’économie du savoir et de l’information. “Généralement, cela implique des métiers créatifs, et des statuts ou des revenus précaires : graphistes, rédacteurs Web, codeurs, traducteurs... », écrit Maxime Brousse. On peut aussi y ajouter certains entrepreneurs du clic agrégeant autour d’eux une équipe tout aussi nomade. Bref, tous les travailleurs dont les outils de travail sont délocalisables, et qui peuvent ainsi assurer une continuité d’activité quel que soit leur lieu de résidence.

"Souvent, les gens ont cinq semaines de vacances et sont limités dans leurs déplacements par le temps ou par l’argent. Le Digital nomad ignore ces deux limites : il a le choix de vivre et de travailler n’importe où.” Fabrice Dubesset

Un ordinateur, une connexion internet et un espace de coworking

Contrairement à d’autres nomades contemporains (migrants, travailleurs saisonniers et même grands navetteurs...) et à distance du nomadisme dans son acception la plus classique, le nomade digital se caractérise ainsi par son appareillage technologique : il est indissociable de l’ordinateur portable et du smartphone qu’il trimballe avec lui, et de la connexion internet qui le relie à ses activités quotidiennes. Ce qui ne l’empêche pas de se « plugger » sur divers lieux spécialement conçus à son attention, à commencer par les espaces de coworking. Outre qu’ils lui fournissent un indispensable accès à Internet, ces derniers lui permettent d’entrer en contact avec une communauté de semblables avec qui partager bons plans, conseils et activités. “C’est toujours important de rencontrer d'autres personnes qui ont fait les mêmes choix que vous”, explique Fabrice Dubesset. Bien qu’ils puissent théoriquement travailler partout, les nomad digitaux ont donc leurs “spots”, où ils restent plus ou moins longtemps, selon qu’ils sont fast ou slow. Le plus couru d’entre eux est situé à Chiang Maï en Thaïlande, où se tiennent même formations, séminaires et conférences sur le sujet. Les nomades digitaux sont aussi nombreux à Bali et Lisbonne. Ils y trouvent tout ce qui leur faut pour s’épanouir, de la vie bon marché aux réseaux professionnels et d’entraide, en passant par le climat, la beauté du site et une offre culturelle et culinaire de qualité. « Les nomades digitaux tiennent le milieu entre le touriste et l’expatrié, décrit Fabrice Dubesset. Dans leur mode de vie, ils sont de passage. D’ailleurs, ils se retrouvent souvent dans les mêmes quartiers que les touristes, même s’ils prennent un Airbnb plutôt qu’un hôtel. » Ce qui fait dire au blogger que “le nomadisme digital n’est pas un métier, mais un mode de vie.” Ce mode de vie se décline aussi en France, et tout particulièrement dans le Perche, où Mutinerie, l’un des premiers coworking spaces parisiens, a ouvert un lieu, Mutinerie Village, pour accueillir les nomades digitaux en quête de vie au vert. “Un bon spot pour digital nomad, résume Maxime Brousse, c’est partout où vous captez Internet assez convenablement pour convaincre vos clients que vous êtes en mesure de travailler.”

“Un bon spot pour digital nomad, résume Maxime Brousse, c’est partout où vous captez Internet assez convenablement pour convaincre vos clients que vous êtes en mesure de travailler.” Maxime Brousse

Un travailleur agile, mais précaire…

L’essor récent des travailleurs nomades doit à la convergence de divers phénomènes, dont le plus décisif est la révolution numérique. Ainsi, la première occurrence de l’expression « digital nomad » date de 1997, et naît sous la plume de Tsugio Makimoto et David Manners. Dans un livre éponyme, les deux auteurs expliquent que les technologies de l’information, alors en pleine émergence, permettront à terme aux travailleurs de s’affranchir du bureau, pour travailler n’importe où. Près de vingt-cinq ans plus tard, leurs prédictions ne se vérifient qu’en partie : si le nombre de nomades digitaux a bel et bien bondi, le salariat reste majoritairement attaché à la vie de bureau, pour des raisons de management : “même si l’épidémie de Covid-19 fait évoluer les mentalités, les patrons et les manageurs sont encore réticents au télétravail, souligne Fabrice Dubesset. Ils veulent pouvoir contrôler leurs salariés et craignent que la distance n’entraîne une chute de la productivité.” Sans parler des activités forcément “présentielles” : agriculture, activités industrielles, services à la personne, artisanat... A cet égard, l’essor des nomades digitaux est indissociable des mutations récentes du monde du travail, et particulièrement de l’érosion du salariat. Maxime Brousse note d’ailleurs que leur nombre et leur visibilité médiatique s’accroissent sensiblement après la crise de 2008. « De plus en plus de personnes se sont faites à l’idée que leur vie professionnelle, qu’elles le souhaitent ou non, serait constituée d’une succession d’emplois dans différentes entreprises, dans différents secteurs, sous différents statuts, écrit-il. Le nombre de CDD augmente peu, mais ceux-ci durent de moins en moins longtemps. Parallèlement, le nombre de travailleurs indépendants a, lui, augmenté de 120 % en dix ans : en 2017, plus de 10 % des actifs étaient freelance ».

“Même si l’épidémie de Covid-19 fait évoluer les mentalités, les patrons et les manageurs sont encore réticents au télétravail. Ils veulent pouvoir contrôler leurs salariés et craignent que la distance n’entraîne une chute de la productivité.” Fabrice Dubesset

Maître mot : s’épanouir

A cette précarisation (choisie ou subie) des travailleurs, s’ajoute l’aspiration croissante à une activité qui ait un sens, loin des “bullshit jobs” décrits par David Graeber avec l’écho médiatique que l’on sait. « Pouvoir travailler où l’on veut, ne pas avoir de comptes à rendre à un patron, ne pas être coincé dans un bureau, passer d’un emploi à l’autre... Le travail doit être moins contraignant, décrit Maxime Brousse. Il doit être vécu comme un épanouissement personnel. Il doit être porteur de sens.”

« Pouvoir travailler où l’on veut, ne pas avoir de comptes à rendre à un patron, ne pas être coincé dans un bureau, passer d’un emploi à l’autre... Le travail doit être moins contraignant. Il doit être vécu comme un épanouissement personnel. Il doit être porteur de sens.” Maxime Brousse

Fabrice Dubesset va dans le même sens :  “Le digital nomad n’a pas forcément envie de gagner beaucoup d’argent, et le plaisir dans le travail passe avant sa rétribution, note-t-il. Il est prêt à travailler moins et à gagner moins.” Ainsi, le nomade digital fait primer la liberté sur la sécurité matérielle. Sa mobilité est le signe le plus évident et le plus manifeste d’un tel choix. Valorisée socialement, celle-ci est en effet synonyme de réussite et d’épanouissement, mais dévaluée quand elle s’assimile au tourisme de masse. A ce dernier, le nomade digital oppose un art du voyage qui est aussi un art de vivre, et ressemble furieusement à une stratégie de distinction.

Les nomades digitaux : des “anywhere”

De fait, le nomade 2.0 n’a plus grand chose à voir avec le nomade tel qu’on le campe généralement : quand le Rom ou le punk à chiens, version contemporaine du vagabond, suscitent surtout défiance et rejet, le nomade numérique est loué pour son courage, envié pour sa liberté : “Même quand on les critique, c’est avec une pointe de jalousie, explique Maxime Brousse, sur le site des éditions Arkhe. Pour moi, ces voyageurs-là sont bien vus, tout simplement parce qu’ils ressemblent énormément aux sédentaires et à la culture dominante, dont ils sont souvent issus : ils ont fait des études d’architecture ou de marketing, maitrisent les codes des réseaux sociaux et de la communication et ne portent pas de discours critique sur la société.”Loin des marges, le digital nomad appartient plutôt à la classe des “anywhere”, telle que la définit David Goodhart dans Les Deux clans. La nouvelle fracture mondiale (éditions Les Arènes). Selon le journaliste anglais, la population dans les pays dits avancés se diviserait en deux catégories : les “somewhere”, “les gens de quelque part”, et les “everywhere”, ceux de “partout”. Les partout représenteraient 25% de la population. Ils sont éduqués, mobiles, et bénéficient de la mondialisation. Les “quelque part” seraient quant à eux majoritaires sur le plan démographique (50% de la population), mais minoritaires sur le plan politique. Si les “anywhere” ne sont pas tous des nomades numériques, ces derniers sont sans exception des “anywhere”. Ils sont appelés à se déplacer dans le monde entier, avec leurs connaissances, leurs réseaux et leurs capacités cognitives pour bagages. Il leur faut simplement savoir gérer un emploi du temps, et aussi une certaine solitude. Ce clivage social entre “somewhere” et “everywhere” explique que les nomades digitaux n’aient pas toujours bonne presse. Campés en profiteurs de la misère du monde et en gentrifieurs au bilan carbone désastreux, ils sont pourtant la tête de pont d’une évolution générale, que l’épidémie de Covid-19 pourrait amplifier. Quitte à compliquer un peu plus l’équation politique entre “ceux de partout” et “ceux de quelque part”.

En savoir plus :

Maxime Brousse, Les Nouveaux nomades, éditions Arkhé, 2020, 19 euros. Description à lire ici

2021-01-20
En Escale de Bruce Bégout : ce que l'aéroport dit de l'hypermobilité

Dans En escale, chroniques aéroportuaires, paru le mois dernier aux éditions Philosophie magazine, le philosophe Bruce Bégout dissèque au gré de chroniques savoureuses ce lieu emblématique de l’âge contemporain qu’est l’aéroport.

Il y a quelque chose de provocateur à consacrer un ouvrage entier aux aéroports, comme le fait Bruce Bégout dans En escale, chroniques aéroportuaires. L’époque est au “planeshaming”, et invite au contraire à troquer autant que possible l’avion pour le train. Voire pour le voilier, comme l’a fait Greta Thunberg lors de son récent périple en Amérique. Or, non seulement le philosophe, auteur en 2013 du très stimulant Suburbia (éditions Inculte), entend à certains égards les réhabibiliter (à tout le moins les delester en partie de leur étiquette de “non-lieux”), mais il le fait au terme d’un protocologe étonnant, et sans doute éprouvant : pour mieux saisir ces lieux de transit, auxquels on prête d’autant moins d’attention qu’on est concentré sur sa destination, il a choisi d’en faire l’unique but de ses voyages à Bangkok, Istanbul, Amman ou Amsterdam, et de ne pas en franchir les portes une fois l’avion posé sur la piste. “J’ai tourné ma conscience, et chaque cellule de mon corps vers l’espace aéroportuaire lui-même, explique-t-il en introduction, le parcourant en tous sens, répondant sans rechigner à toutes ses offres, et m’interrogeant à chaque instant au sujet de ce qui le constituait en propre à l’âge de l’hypermobilité.”

“L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.” Bruce Bégout

Un bâtiment accordé à des besoins nouveaux

Ce “voyage paradoxal” donne lieu à une série de réflexions sur l’architecture des aéroports, les valises à roulettes que les voyageurs y trainent derrière eux, la musique qu’on y diffuse, les dispositifs de sécurité, les espaces duty free, les salons VIP, les hôtels tout proches destinés à accueillir les voyageurs en transit ou encore les accès de rage dont sont parfois pris certains. Ainsi, au fil de courts chapitres à l’écriture ciselée, En escale dessine un lieu spécifique, standardisé jusqu’à un certain point, mais qui n’exclut pas tout à fait la couleur locale. A rebours du topos selon lequel l’aéroport serait un lieu banalisé, Bruce Bégout le campe en espace parfaitement ajusté à la modernité, et à ce titre sans équivalent dans l’architecture contemporaine : “L’homme a eu le génie de créer un bâtiment qui satisfasse tous ses besoins nouveaux, écrit notamment Bruce Bégout. Il n’a pas raisonné selon les modèles anciens et les valeurs du passé, il a su, face aux demandes du transport aérien, créer un lieu inédit.”

L'isoloir à ciel ouvert dans lequel l'époque se confesse

Au-delà de ses caractéristiques architecturales et fonctionnelles, l’aéroport offre aussi un concentré des valeurs et habitus contemporains : il se donne pour “l’isoloir à ciel ouvert dans lequel l’époque se confesse.” Il inspire à ce titre à Bruce Bégout une série de descriptions piquantes ou poétiques, où sont décrits non sans dérision les comportements des voyageurs et les dispositifs où ils sont pris. Pour ce faire, Bruce Bégout sollicite au besoin une poignée de figures littéraires ou artistiques ayant partagé son intérêt pour les aéroports, parmi lesquelles Don De Lillo, Jacques Tati, James G. Ballard, Gwenola David et Stephane Degoutin ou Brian Eno… Ces références viennent nourrir ses propres observations et suggèrent à quel point l’aéroport fascine et façonne nos contemporains.

Pour en savoir plus :

Bruce Bégout, En escale, chroniques aéroportuaires, philosophie magazine éditeur, Paris, 2019, 14 euros

2019-10-09
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