
Le média qui analyse et présages des mutations de la fabrique de la ville.
Un centre des congrès de la banlieue toulousaine. Une quarantaine des jeunes et de moins jeunes sont assis en cercle avec autant d'ordinateurs portables posés sur des tables. On entend scander des phrases : « ça y est j ai mis les logos ! », « ajoute les liens entre Facebook et Twitter ! »… Sur les murs, des post-it de toutes les couleurs et des inscriptions en pagaille... Ces 24 et 25 juin 2015, la Mêlée, hub de l’économie numérique régionale organisait son salon au sein duquel se tenait un hackathon, « Hack The City-Permis de déconstruire la ville ».
Pour cette édition, six équipes étaient présentes dont une majorité de développeurs devant relever plusieurs défis, tels que « comment faciliter l'accès à un service complet et intelligent de déplacement urbain » » ou « comment accéder à la connaissance dans l'espace public ». « Moi, ce que j'aime c'est coder, explique Laurent, étudiant en informatique. Mais finalement ce qui ressort c’est davantage une expérience humaine, on est parti de rien et on arrive avec une idée, une maquette dynamique et un projet doté d'un business plan. »
Pour Long, 32 ans, marketeur et porteur de projet, « c'est l'occasion de pouvoir s'inspirer des méthodes mises en place, de voir les interactions entre les groupes ». Résultat de ces 36 heures de marathon numérique : des lauréats qui bénéficieront d'un accompagnement pour se constituer en start-up, des contacts avec des partenaires et une visibilité bienvenue pour se lancer, offerte par le réseau de la Mêlée. Les gagnants, Well'home, ont développé une application pour optimiser les démarches administratives lors d'un déménagement. Le second prix a été remis à Happy parking qui permet de trouver des places de parkings en fonction de sa destination et le 3ème prix a été attribué à Voiceup, un projet de démocratie participative au niveau des quartiers.
A la faveur du développement de plus en plus rapide du numérique, d'Internet et des applications, les initiatives semblables à « Hack the city » se multiplient. Parmi les démarches intéressantes, direction l'Est de la France où l'association Grand Est numérique compte à son actif plusieurs hackathons. Le dernier en date s’est tenu en mars 2015. Il ambitionnait de proposer des solutions pour les commerçants du centre-ville de Metz, en partie déserté par les consommateurs. « Nos principaux partenaires sur cette opération ont été la municipalité et la fédération des commerçants, explique Frédéric Schnur, président de l'association. Ils n'ont pas été difficiles à convaincre car il s'agit d'une préoccupation forte pour la ville, qui a notamment animé les débats lors des dernières élections municipales… On a été les premiers surpris du fort engouement lors de notre premier hackathon. » En plus des prix remis, les lauréats ont été invités à présenter leur projet devant la fédération des commerçants de Metz. Pour les collectivités locales, c'est aussi le moyen de mettre en lumière l'attractivité de leurs territoires et des talents qui les peuplent.
"La force des hackathons est de réunir des entrepreneurs, des leaders d'opinion, des financeurs et des gens très motivés libérés d'un certain nombre de contraintes, tout en ayant une forte visibilité et un retour direct sur leurs propositions". Frédéric Schnur, président de l'association des commerçants de la ville de Metz
A l’issue de l’événement, la mairie de Metz a indiqué vouloir s’intéresser à chacun des projets pour évaluer la possibilité de les intégrer dans sa réflexion et son action pour dynamiser le commerce de centre ville par le numérique. « Ces marathons du développement sont des compétitions bon enfant où des passionnés se retrouvent face à une problématique, ajoute Fréderic Schnur. On leur donne les moyens de s'en saisir ; la force des hackathons est de réunir des entrepreneurs, des leaders d'opinion, des financeurs et des gens très motivés libérés d'un certain nombre de contraintes, tout en ayant une forte visibilité et un retour direct sur leurs propositions. Il n'y a pas de nécessité d'ouvrir une boite derrière... »
Aux manettes de « Hack The city », Carole Maurage, directrice du Laboratoire des Usages de Toulouse, distille ses méthodes de travail pour stimuler l'intelligence collective. « La force de cette démarche très bottum-up, explique-t-elle, est de rendre le pouvoir d'agir aux gens ; c'est l'innovation qui vient d'en bas ! On regroupe des représentants de l'écosystème humain (citoyens, acteurs public, entreprises, étudiants, experts) et on réfléchit ensemble à la ville de demain en se posant la question « quelle ville voulons-nous dans l'avenir ? De cette façon, les solutions proposées répondent aux besoins des habitants ! »
« La force de cette démarche très bottum-up, explique-t-elle, est de rendre le pouvoir d'agir aux gens ; c'est l'innovation qui vient d'en bas ! On regroupe des représentants de l'écosystème humain (citoyens, acteurs public, entreprises, étudiants, experts) et on réfléchit ensemble à la ville de demain en se posant la question « quelle ville voulons-nous dans l'avenir ?" Carole Maurage, directrice du Laboratoire des usages de Toulouse
Aujourd'hui, le Laboratoire des Usages est un outil opérationnel pour la Smart City que développe actuellement Toulouse Métropole.Pour La fabrique de la Cité, un Think Thank crée par le groupe Vinci dont la vocation est d’alimenter les réflexions sur l’innovation urbaine, ces événements sont des leviers de co-construction, des lieux qui permettent de casser toutes les barrières. « Ce qui est nouveau c’est que des jeunes, étudiants ou designers peuvent s’exprimer et proposer de nouveaux services urbains », estime Nathalie Martin-Sorvillo, directrice de La Fabrique de la Cité.
Pour certains détracteurs, la question de la pérennité des projets met en lumière leur limite. On leur reproche de n’élaborer le plus souvent que des idées, pas forcement concrétisables… L'enjeu est donc de passer du stade POC « proof of concept » à un projet économique viable. Pour Nathalie Martin-Sorvillo, « il est évident que toutes les idées produites au bout de 48 heures ne restent pas ! Il faut un accompagnement et que les villes soutiennent ces innovations par des structures et des dispositifs ! Et elles le font de plus en plus car elles ont compris que cela permettait de développer des services qui testent en temps réel les besoins du moment ! Le hackathon est un catalyseur d’énergies. »
"Pour nous l'objectif est de suivre et identifier les projets innovants, détecter de nouveaux talents et de collaborer avec des start-ups pour se doter de nouveaux services." Simon Coutel, responsable de l'innovation et des services numériques chez Vinci Autoroutes
Les entreprises aussi ont compris l’intérêt de ces marathons à la sauce numérique. Vinci Autoroutes a organisé deux hacktahons, un en 2014 à Bordeaux, l'autre cette année à Nice. « Il y a une vrai accélération dans l'univers du digital. Il y a des changements de pratiques forts dans le domaine de la mobilité comme le covoiturage et l'auto-partage, souligne Simon Coutel, responsable de l'innovation et des services numériques. Pour nous l'objectif est de suivre et identifier les projets innovants, détecter de nouveaux talents et de collaborer avec des start-ups pour se doter de nouveaux services. » Côté résultats toutefois, le bilan est mitigé. La précédente édition bordelaise sur le thème de l'optimisation des déplacements a récompensé une équipe lauréate toujours en cours de création d'entreprise... « On désigne à l'issue de nos hackathons un parrain pour aider les équipes les plus avancées à développer le projet à travers des conseils marketing, juridiques, commerciaux ou de communication, ajoute Simon Coutel. Reste que ce sont aux équipes d’adopter une volonté entrepreneuriale forte. En 48 heures, on ne crée pas une entreprise, c’est un temps dédié à la créativité. »Véritables tremplins pour lancer et tester une idée ou un projet, pérenne ou non, les hackathons contribuent ainsi à une nouvelle façon plus participative de penser la ville et parfois, de la construire.
D’une façon générale, les gens se sont déconnectés progressivement des questions énergétiques : on appuie sur un interrupteur et on a de la lumière. Ils ont aussi le sentiment que l’énergie n’est pas une question collective, qu’elle relève d’un système très centralisé. C’est assez culturel et pour tout dire assez français : dans notre pays, on reporte beaucoup de choses sur le gouvernement alors que sur ces questions, il faudrait au contraire que les citoyens et les collectivités reprennent le pouvoir. L’indifférence que vous pointez tient peut-être aussi à l’organisation du débat, pour lequel une machine très lourde s’est mise en place. Enfin, les médias ne s’y sont pas du tout investis, et ce n’est pas faute de les avoir sollicités. Il faut dire que la transition énergétique est une question complexe, qui nécessite de réfléchir et de sortir d’une opposition binaire se résumant, en gros, à être pour ou contre le nucléaire. Il y a pourtant un réel intérêt du public pour ces questions : l’association Négawatt a organisé plus de 250 conférences et nous avons toujours fait salle comble !
Rien moins que la façon dont on va vivre demain ! Nous sommes comme dans une voiture lancée à 130 km/h face à un mur. Dans ces conditions, le débat ne résume pas à se déclarer pour ou contre le gaz de schiste et le nucléaire. Il s’agit de savoir si l’on peut diviser par 4 nos émissions de GES d’ici 2050, c’est-à-dire dans moins de deux générations. Un tel objectif a des conséquences dans tous les domaines. Il implique de repenser l’urbanisme, de restructurer un très grand nombre d’emplois (or le scénario Négawatt apporte des réponses à cette question), de revoir nos modes de déplacement et la façon dont on bâtit et l’on rénove nos bâtiments. Il appelle en somme une transformation radicale mais progressive de la société.
"Les hommes politiques n’ont pas compris que la transition était une formidable opportunité économique, et non une contrainte." Thierry Salomon, président de Negawatt
Si l’on ne s’y engage pas plus fortement, nous devrons faire face à une augmentation très forte de la précarité et de la dette. Il s’agit aussi de réduire notre dépendance énergétique : chaque année, nous donnons 61 milliards d’euros à la Russie et au Qatar ! Les hommes politiques n’ont pas compris que la transition était une formidable opportunité économique, et non une contrainte. Si le gouvernement ne s’y engage pas, il perdra une chance historique. L’Allemagne de son côté l’a bien compris et a annoncé sa sortie du nucléaire en 2023. Savez vous que dimanche dernier, 46% de l’énergie allemande a été produite grâce au photovoltaïque ?
Leur scénario est très simple. Il se résume à cette seule expression : Business as usual ! Même le retour à 50% de la part du nucléaire dans le mix énergétique est combattu. A la place, certains groupes prônent l’avènement des smart grids et des appareils dits « intelligents », qui sont de gros consommateurs d’énergie. Certains plaident aussi pour le gaz de schiste et citent l’exemple du « miracle » américain.
Contrairement à Jeremy Rifkin ou même à Armory Lovins (auteur de Réinventer le feu aux éditions rue de l’échiquier), le scénario négaWatt ne plaide pas seulement pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, mais aussi pour la sobriété. Comment défendre une telle position dans un contexte où il est impensable de contraindre les gens à consommer moins d’énergie ?
Dans l’association négaWatt, nous faisons un parallèle avec le code de la route. Il a été conçu pour qu’en allant d’un point A à un point B, vous ayez une chance d’arriver à B. Pour cela, il importe d’éviter les comportements extravagants. En matière d’énergie, c’est la même chose ! La sobriété énergétique est une question de bon sens, mais elle doit aussi conduire à la mise en place de règles simples et collectives. Prenons l’arrivée massive des écrans publicitaires à très forte consommation d’énergie. Un million de ces écrans, c’est un réacteur nucléaire dont il faudra gérer les déchets pendant 100 000 ans. Qu’est-ce qu’on y gagne en bien-être ? L’idée de Négawatt, c’est d’avoir une vraie réflexion sur nos usages de l’énergie. Sont-ils sources de bienfaits ? Sont-ils superfétatoires ? La sobriété dont nous parlons renvoie à l’intelligence dans l’usage, collective et individuelle, plutôt qu’à la performance des équipements.
"La sobriété dont nous parlons renvoie à l’intelligence dans l’usage, collective et individuelle, plutôt qu’à la performance des équipements." Thierry Salomon
Cela passe par de la pédagogie, des règles, des incitations. Il faudrait en somme que l’énergie fasse l’objet d’un mouvement comparable à celui des déchets il y a quelques années. Il ne faut pas avoir peur de la sobriété. C’est plutôt l’ébriété qui est à craindre. Et puis, le mot « sobriété » exprime bien en lui-même ce qui le distingue du quota, du rationnement et de la privation.
On se retrouve assez avec Pierre Rabhi et le mouvement Colibri. Récemment, il s’est un peu radicalisé, passant d’un discours centré sur l’action individuelle à une réflexion plus sociétale et politique, et c’est tant mieux. En revanche, même si je suis souvent d’accord avec ce que Latouche écrit, je trouve qu’il appuie trop sur le mot décroissance. Or ce terme pose un problème de langage. Il pollue le débat car il reflète très mal l’idée qu’on puisse coupler décroissance de la consommation d’énergie et augmentation du bien-être. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’indicateur du PIB est mauvais, mais parler de décroissance généralisée peut être mal compris, et interprété comme une récession volontaire. C’est pourquoi chez négaWatt, nous ne reprenons jamais cette notion de décroissance. Nous ne rejetons pas la technique, nous ne prônons pas le fameux « retour à la bougie » (soit dit en passant, celle ci a une très mauvaise efficacité énergétique, et elle est faite à partir de pétrole !)… Nous proposons simplement, à travers les renouvelables, de revenir à une économie de flux, en opposition à l’économie extractiviste du charbon et du gaz.
Pour avoir vécu les 7 mois de ce débat, je pense que la réponse est la suivante : Delphine Batho venait plutôt de la sécurité, elle est jeune, c’est une femme, elle était assez inexpérimentée sur le sujet, elle n’était porteuse d’aucune vision. De plus, son ministère avait été dépouillé : alors que Borloo était numéro 2 du gouvernement et a joué à plein son rôle de skipper sur le grand navire du Grenelle, son ministère à elle n’avait plus l’urbanisme, ni le logement, ni le transport. Le débat sur la transition énergétique a donc commencé avec une ministre nommée à la suite d’un débarquement, dont le ministère était très appauvri, qui avait des difficultés à se faire respecter en tant que telle, et devait mettre en branle une très grosse mécanique. De plus, Hollande et Ayrault ne se sont à aucun moment invités dans le débat, ils ont laissé faire, avec pour seul objectif qu’on en sorte avec des recommandations. Bref, le portage politique a été très faible. A force de travail et de réunions, Delphine Batho a tout de même fini par comprendre l’importance de l’affaire. Elle a pris conscience qu’on ne s’en sortirait pas si l’on n’avait pas une volonté très ferme de réduction par deux de la consommation d’énergie. On l’a sentie de plus en plus affirmée sur cette question-là dans ses derniers discours. C’en était trop pour les producteurs d’énergie, qu’il s’agisse des pétroliers ou des électriciens. Celle qu’on croyait faiblarde à commencer à remuer. La question des budgets a été la goutte d’eau qui a fait chavirer le navire.
Je pense que toute une frange du Parti socialiste n’a pas compris qu’il fallait changer de logiciel. Nous avons affaire à un microcosme qui s’en tient à une vision purement tacticienne et politicienne des choses – en gros à une vision qui ne va pas au-delà des prochaines municipales. Le PS propose de chercher un consensus sans force et de maintenir la situation jusqu’à ce que ça s’écroule. Il lui manque une vision politique forte. Du reste, les îlots de résistance ne se trouvent pas seulement dans la classe politique : les pétroliers, une grande partie du MEDEF et les électriciens ne sont pas près de bouger. Il y a pourtant des tas d’entreprises qui ont immensément à gagner à la transition, dans le bâtiment notamment où la rénovation pourrait être un fabuleux gisement d’emplois locaux… Mais la transition fait peur à nos hauts-fonctionnaires, et aussi à nos syndicats, pour qui elle équivaut à la remise en cause de positions acquises. Par exemple, quelqu’un qui travaille à EDF paye 10% de son courant, et le comité d’entreprise d’EDF est financé par 1% du Chiffre d’affaires de l’entreprise. Dans ces conditions il faut vendre le plus d’énergie possible. Alors forcément, quand nous affirmons qu’il faut réduire nos consommations, ce discours leur paraît radical. Quand vous faites la somme des résistances, que vous comptabilisez leurs forces et calculez leurs moyens, vous comprenez que c’est David contre Goliath. Mais dans l’histoire, c’est David qui gagne !
Pour répondre à votre question je voudrais vous rapporter une petite anecdote, que j’ai vue de mes yeux. En septembre 2012, lors de la conférence environnementale à laquelle participaient les PDG de l’énergie, le MEDEF et les ONG, Montebourg a voulu montrer qu’il s’ennuyait ferme, et a commencé à lire un magazine dont il a montré sciemment la couverture à l’assemblée. Il s’agissait de l’Usine nouvelle, qui titrait « Le trésor du gaz de schiste ». L’anecdote montre bien que le débat n’a été guidé par aucune vision, ni aucun attelage. Pourtant, il aurait été fort que Delphine Batho, Cécile Duflot et Arnaud Montebourg se montrent unis à la tribune dans un même discours.
Les positions de négaWatt trouvent des alliés assez inattendus, notamment dans les collectivités locales, les ONG, mais aussi dans de grandes institutions comme l’ADEME ou GRDF, dont les scénarios sont assez proches du nôtre. Ça crée un rapport de forces qui a permis à nos idées de sortir du débat très renforcées…
Elles ont tout intérêt à reprendre la main sur la question énergétique. L’énergie, c’est trois choses : la production, la distribution et la consommation. Les collectivités sont gagnantes à tous les niveaux. D’abord, les renouvelables sont une production locale et les collectivités y ont intérêt au titre d’une meilleure utilisation de ces ressources. Quant à la distribution, elles en ont laissé la gouvernance à EDF-GDF, à travers des concessions. Pourtant, on voit bien avec l’exemple de l’eau ce qu’elles pourraient gagner à reprendre la main, notamment en termes de prix. Sur le volet de la consommation, les collectivités y ont intérêt pour deux raisons : pour lutter contre la précarité énergétique et accroître le pouvoir d’achat, mais aussi pour créer sur place un grand nombre d’activités, notamment dans le domaine de la rénovation.
"Les collectivités ont tout intérêt à reprendre la main sur la question énergétique." Thierry Salomon
Un vaste programme destiné à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, c’est 30 ans de travail pour des entreprises locales. Les collectivités seraient les grandes gagnantes de cette revitalisation de l’économie, et un certain nombre d’entre elles l’ont bien compris – notamment la région Rhône-Alpes ou le Nord. Dans ces régions là, la transition énergétique apparaît comme une vraie opportunité, une manière de tendre vers une société meilleure. Les sondages montrent que 85% des français sont d’accord avec ce que je viens de raconter : il existe une quasi unanimité en faveur des renouvelables et les résistances, notamment vis-à-vis de l’éolien, sont en train de tomber. Nos compatriotes voient bien que la crise pétrolière peut surgir à tout moment, ou que le nucléaire n’est pas sûr.
Pour le comprendre, il faut regarder dans les analyses de la CRE (Commission de régulation de l’énergie). Elle a montré un décalage très fort entre le coût de revient de la production d’électricité en France et les prix. En France en effet, les tarifs sont régulés par le gouvernement. Evidemment, le 1er ministre n’a aucune envie que le prix de l’électricité monte. Malgré l’augmentation des coûts, on a fait en sorte que le prix stagne, et l’écart est devenu tellement considérable que ça peut être dangereux pour EDF. La CRE a donc demandé un rattrapage. Il faut aussi savoir que se profilent devant nous une série de coûts : au niveau de la production, se pose l’énorme problème du remplacement des centrales nucléaires, de leur arrêt ou de leur grand carénage. La prolongation de la durée d’exploitation des centrales coûterait 1,2 milliards par réacteur. Pour l’ensemble des réacteurs, il faut alors envisager une dépense de l’ordre de 50 à 80 milliards d’euros. Ne serait-il pas judicieux d’investir une telle somme dans la transition énergétique ?
"Qui va régler la facture ? Les futurs consommateurs, qui vont devoir payer notre héritage..." Thierry Salomon
Autre grande inconnue : la centrale EPR de Flamanville. Les coûts initialement annoncés étaient de 3,2 milliards, et on en est déjà à 8,5. Quant au traitement des déchets radioactifs, on parle de 35 milliards d’euros. Bref, on est face à une industrie qui double ses devis, et on ignore tout des coûts de démantèlement. Qui va régler la facture ? Les futurs consommateurs, qui vont devoir payer notre héritage...
La loi ne sera pas pour l’automne, mais plutôt pour février ou mars, pas avant. Et encore ! Nous sommes quelques-uns à penser qu’il faudra attendre encore car il y a les municipales au printemps. Pour tout dire je suis un peu pessimiste. Il aurait été intéressant que le débat puisse s’emparer du projet de loi, voire le rédiger, ce qui n’est pas le cas. Nous avons abouti à une recommandation, et ce seul mot était déjà tellement révolutionnaire que le MEDEF a souhaité le faire remplacer par le terme d’ « enjeu ». Mais un enjeu, n’est-ce pas ce qu’on pose au début d’un débat ? En somme, on a passé 7 mois sur un texte qui ne vaut pas grand-chose. Reste maintenant à guetter comment les députés vont s’emparer du projet de loi... Est-ce que celui-ci sera porté par la commission des affaires économiques, auquel cas cela signifiera que l’économie prime sur le reste ? Est-ce que ce sera la commission Développement durable, plus favorable à la transition énergétique ? Il va falloir être vigilants…
Association Négawatt, Manifeste Négawatt : réussir la transition énergétique, éditions Actes Sud, 2012, 20,30 euros
Amory B. Lovins, Réinventer le feu : des solutions économiques novatrices pour une nouvelle ère énergétique, éditions rue de l'échiquier, 2013, 29 euros
La Corévolution désigne l'ensemble des pratiques collaboratives qui émergent à tous les niveaux de la société aujourd'hui. Dans un contexte de crises économique et écologique, les dynamiques de partage sont réinventées, portées par l'essor des technologies numériques et par le besoin de tisser du lien social. Ce phénomène est global et montre à quel point il est possible de "faire autrement" aujourd'hui. Face à ma morosité ambiante, la CoRévolution porte une multitude d'alternatives qui ouvrent de nouveaux possibles, pour peu qu'on veuille bien les voir.
Bien sûr, c'est la partie émergée de l'iceberg, une façon de partager, donner, troquer qui est facilitée par la diffusion d'une "mentalité 2.0" (en référence au Web 2.0 et aux échanges transversaux rendus possibles avec l'essor des blogs et des réseaux sociaux, etc.). Les logiques à l'œuvre dans la consommation collaborative sont très anciennes mais totalement renouvelées par le numérique et les échanges pair-à-pair (peer to peer). Désormais, un besoin donné (se déplacer) peut être satisfait par une multitude de possibilités, ce qui réinvente l'abondance et permet différents modes de consommation.
"Désormais, un besoin donné (se déplacer) peut être satisfait par une multitude de possibilités, ce qui réinvente l'abondance et permet différents modes de consommation." Anne-Sophie Novel, co-autrice de Vive la co-révolution
Nous avons identifié quatre piliers : la crise économique qui nous oblige à avoir plus fréquemment recours au "système D", la crise écologique qui fait que nous sommes "tous concernés", les révolutions arabes, érables et le mouvement des indignés qui font que nous sommes "tous mobilisés" et enfin le web qui nous permet d'être "tous connectés", en permanence reliés.
Les deux sont fortement liées : l'économie de fonctionnalité travaille les services là où la consommation collaborative favorise l'usage et l'accès sur la propriété. A terme, les entreprises verront leurs modèles modifiés par ces nouvelles façons d'aborder la consommation, les constructeurs automobiles feront probablement plus de location que de vente, ou seront en tout cas obligés de revoir leur conception de véhicules pour un usage plus partagé et fréquent qu'aujourd'hui (une voiture est à l'arrêt 92% du temps).
La force de ce mouvement est qu'il vient de la base, qu'il se construit sur une logique ascendante, par et pour les usagers. Cela est véritablement révolutionnaire. Nous sommes peut-être dans une "bulle" du collaboratif, de la co-création, de la co-construction et de l'économie du "co", mais une chose est sûre: les tendances actuelles sont pour certaines parties pour durer.
"La force de ce mouvement est qu'il vient de la base, qu'il se construit sur une logique ascendante, par et pour les usagers." Anne-Sophie Novel
Des fonds d'investissements misent sur les start-up de la consommation collaborative, la finance participative vient de se doter d'une association pour être mieux représentée en France, Ashoka vient de créer un lieu dédié à la co-construction, des forums tels convergences2015 réunissent de plus en plus de monde...
Certains services de consommation collaborative sont sympathiques mais n'ont pas les moyens d'assurer un modèle économique digne de ce nom. Certains acteurs voient d'un mauvais œil ces nouveaux services et font pression pour une réglementation juridique. Les logiques de co-construction demandent beaucoup de temps aussi, et chaque acteur doit aussi travailler sa propre posture pour être apte à véritablement collaborer.
Le pouvoir que reprennent les consommateurs sur leur consommation, le fait de sortir de l'hyperconsommation et de générer plus d'autonomie et de solidarité. Dans nos sociétés développées, ce retour de nouvelles dynamiques de partage fait du bien ! Après, cela est peut être "contraint" par la crise, mais ça reste enthousiasmant.
La consommation collaborative permet concrètement de mutualiser les usages, d'éviter que chacun possède des objets "dans son coin" alors qu'ils ne servent qu'occasionnellement. Partager ou louer ces objets permet de rendre service à d'autres pour la durée de leur usage. Le fait d'échanger des compétences ou des services permet aussi de (re)tisser des liens sociaux que nous avons souvent oubliés.
"La consommation collaborative permet concrètement de mutualiser les usages, d'éviter que chacun possède des objets "dans son coin" alors qu'ils ne servent qu'occasionnellement." Anne-Sophie Novel
Plutôt que de jeter des choses qui nous sont devenues inutiles, on dispose de possibilités plus nombreuses pour les donner ou les réutiliser différemment. En réalité, on entre ici dans le développement durable par les portes économiques et sociales. L'avantage est que cela sert de fait des aspects plus environnementaux, et ce alors qu'il reste encore beaucoup à faire en matière de sensibilisation au DD. La consommation collaborative est un coup de pouce formidable pour le DD. Pour la CoRévolution en général, les logiques de co-contruction ou de co-création ONG-Entreprises, ainsi que les modifications profondes du management sont autant d'éléments qui réinventent les façons de faire en portant des valeurs plus solidaires, plus conviviales, véritablement au service du vivre-ensemble.
Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot, Vive la corévolution. Pour une société collaborative, éditions Alternatives, collection Manifestô, 2012, 208 pages.
« Le concept reste encore confus mais ses promesses sont grandes, [l'Internet des objets] vise à donner une identité au moyen d'une adresse IP à des objets, des équipements ou encore des machines afin de les mettre en réseau et de les faire communiquer entre eux». Voici la définition proposée par Geoffrey Zbinden dans son ouvrage « L'Internet des Objets, une réponse au réchauffement climatique (Éditions du Cygne, 2010). Objets intelligents voire objets « vivants », les objets connectés ou communicants, qu’on annonce aussi comme le web 3.0, trouvent leurs premières applications dans de nombreux champs. Le Lieu du design accueille jusqu'au 23 juillet une exposition intitulée « Objet(s) » du numérique design d’un nouveau mone industriel » présentant quelques prototypes et projets dans le but affiché de mettre en avant le rôle du design numérique dans des problématiques humaines, sociales, technologiques et économiques.
Parmi ses objets, « Efficient Home » de Mathieu Lehanneur et Attoma design pour Schneider Electric. Soit une gamme d’éléments destinés à optimiser la consommation énergétique du foyer dans l'optique d’en réduire significativement l’empreinte carbone. Selon Geoffrey Zbinden, les compteurs intelligents pourraient permettre de réduite la facture de près de 30% pour les particuliers. Le tout grâce aux informations communiquées en temps réel par ces émetteurs-récepteurs, positionnés sur des appareils électriques tels que la chaudière, le réfrigérateur, la télévision... Les capteurs assurent ainsi une veille permanente de la consommation. Les données sont ensuite consultables via internet. Identifier les appareils les plus gourmands, éviter de les utiliser aux heures pleines sont autant de comportements qui pourraient permettre de réduire la facture électrique d’un logement.
Plus globalement, des interfaces de visualisation et de contrôle (Smart Meters) remplaceront à terme les compteurs électriques traditionnels. Ils seront connectés à une plus vaste échelle par un réseau dit intelligent – c'est ce qu'on appelle le SmartGrid, un réseau de transport de l’électricité optimisé par des systèmes d’informations numériques. Selon le site www.smartgrids.eu, ce système permettrait une réduction de CO2 de 9% dans l’Union Européenne. En France, le compteur intelligent, développé par ERDF (Électricité Réseau Distribution France), s’appelle Linky et près de 300.000 compteurs sont actuellement installés dans deux agglomérations-tests : Lyon et Tours. Pour les utilisateurs, les économies d’énergie promises par ce système devraient être comprises entre 10 et 20%. La validation et la généralisation de ce type d'objets devraient être effectives aux alentours de 2017, à l'issue de l'actuelle phase d'expérimentation.
Eau, bâtiments, transports, biodiversité... : dans son ouvrage, Geoffrey Zbinden met en avant les nombreuses applications dans lesquelles l'Internet des Objets apporterait des solutions concrètes à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et par extension contre le réchauffement climatique. En matière d'agriculture intensive par exemple. Selon l'auteur, un réseau communiquant permettrait de détecter les fuites et d'ajuster l'irrigation en fonction des besoins et de réduire de près de 30% la consommation moyenne en eau des terres cultivées. Le secteur des transports n'est pas en reste. Des économies sont déjà réalisées grâce à la technologie Stop&Start (systèmes d'arrêt et de redémarrage automatique) et le programme d'éco-conduite à l'étude au sein de L'Europe ouvre des perspectives intéressantes. Le but annoncé est de réduire d'au moins 50 millions de tonnes les émissions de CO2. Le principe ? Des capteurs sont installés un peu partout sur le véhicule, enregistrant ainsi les gestes du conducteur, sa manière de conduire, son respect de la limite des vitesses. A l'issue d'une période donnée, l'automobiliste reçoit son bilan et se voit attribuer une note en fonction de sa bonne conduite. Le système permettrait de réduire la consommation d'essence de 15 à 20% en limitant les accélérations brusques.
D'autres expérimentations offrent aussi quelques espoirs. Le projet pilote de Moulins sur Allier mené depuis 2007 en est une démonstration : 80 logements HLM ont été équipés de capteurs communicants et permettent aux habitants de mesurer la consommation d'eau en temps réel via un site web. Ce feed-back modifie significativement les comportements puisqu’elle a permis de diminuer de 20% la consommation d'eau des occupants. Dans la même veine, en 2012, la communauté d'agglomération de Besançon mettra en place une redevance pour inciter les habitants au tri sélectif et à la réduction de leurs déchets. La facturation sera fonction du poids des déchets, mesuré par des puces RFID (“radio frequency identification”) installées sur les bacs. L'objectif à l'horizon 2014 est de réduire les déchets de 17% pour l'habitat pavillonnaire. Le coût d'une telle initiative ? Un investissement de 5 millions d'euros, dont près de la moitié subventionnée par divers organismes (dont l'Ademe), et qui devrait être amorti sur 10 ans. L'autre moitié, financée par emprunt et autofinancement, engendra un surcoût de 4€ par habitant sur l'année 2010/2011 et de 1,5 € par habitant sur les dix prochaines années. On s’en doute : ces investissements conséquents freinent en partie le développement de ce type de technologies.
« Aujourd'hui, sur la question des villes intelligentes, à chaque besoin (éclairage urbain, traitement des déchets, réduction thermique de bâtiments publics) on trouve une application. L'enjeu derrière tout ça, c'est l'interopérabilité de toutes ces applications. De plus, il faut passer du projet pilote à une échelle nationale. Cela ne me semble pas réalisable avant 2020 », précise Geoffrey Zbinden. Malgré des initiatives disparates, des investissements importants et des perspectives encore lointaines, l'Internet des Objets pourrait jouer un rôle dans la réduction des émissions de CO2 et la préservation des ressources rares. Mais les espoirs qu'il suscite ne masquent par tout à fait les inquiétudes qu’il engendre… Dès lors que le web 3.0 généralise la collecte d’informations à toutes les échelles et dans tous les domaines, comment assurer un niveau suffisant de protection des données à caractère personnel et de la vie privée ? La question est cruciale si l’on veut éviter que la préservation de l’environnement ne tourne à la surveillance généralisée, dans un cauchemar à la Big Brother où nos objets quotidiens deviendraient outils de contrôle…
Geoffrey Zbiden, "L'Internet des Objets, une réponse au réchauffement climatique" (Éditions du Cygne, 2010)