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Ludovic Bu : "Le “tout-voiture” est un modèle à bout de souffle économiquement, écologiquement, et socialement parlant"

“On arrête tout et on réfléchit” : reprenant le mot d’ordre du film L’an 01, Tout voiture, le dernier ouvrage de Ludovic Bu aux éditions Rue de l’échiquier, nous invite à lever le pied pour considérer nos usages et imaginaires de la bagnole. Dans un entretien avec midi:onze, ce spécialiste des mobilités durables et inclusives dresse le bilan à charge de nos vies (auto-)mobiles et envisage des alternatives à l’injonction mobilitaire…

Nous nous étions rencontrés en 2010 à l’occasion de la sortie de votre premier livre : Les transports, la planète et le citoyen, co-écrit avec Olivier Razemon et Marc Fontanès. Pour quelles raisons consacrer un nouvel ouvrage à la mobilité ? Comment la situation a-t-elle évolué depuis 15 ans ? 

Trois raisons majeures expliquent ce nouveau livre. Tout d’abord le recul : en 15 ans, diverses expérimentations et études ont été menées sur certaines des solutions que nous préconisions dans Les transports, la planète et le citoyen. Depuis, on a constaté par exemple que le développement des transports en commun n’avait pas du tout diminué la place de la voiture. 

Deuxième raison : l’envie de faire un bilan personnel.  Depuis la publication de mon premier livre, j’ai eu d’autres activités. J’ai notamment participé au développement de Citizencar, je suis devenu consultant et j’ai lancé le Laboratoire des proximités, dont l’objet est de plaider pour la proximité et une réduction des distances. Mais j'ai dû abandonner, pour cause de déménagement. Et j'avais envie de tourner la page en proposant un bilan de 25 ans d'activités autour des mobilités. Tout-voiture se voulait donc un genre de testament, sauf qu’en l’écrivant j’ai plutôt remis une pièce dans la machine (rires)

"Le confinement a été pour beaucoup un choc. D’un côté, on voyait les animaux revenir en ville à la faveur du calme, de l’autre, on constatait que le rayon d’1km autorisé pour nos déplacements ne permettait pas de trouver grand chose autour de soi, car tout s’était éloigné en périphérie."

Enfin, la conjoncture me paraissait propice à l’écriture de ce livre. Il y a d’abord eu le mouvement des gilets jaunes, qui pouvait se lire comme une réaction à l’isolement social et à l’ultramobilité qui épuise. Ensuite, le confinement a été pour beaucoup un choc. D’un côté, on voyait les animaux revenir en ville à la faveur du calme, de l’autre, on constatait que le rayon d’1km autorisé pour nos déplacements ne permettait pas de trouver grand chose autour de soi, car tout s’était éloigné en périphérie. Pour toutes ces raisons, je me suis dit qu’il fallait écrire un nouveau livre. Sa rédaction m’a pris du temps, puisque j'ai commencé à y travailler en 2019, mais l’ouvrage a fini par paraître en juin 2024.  

Revenons d’abord sur les constats énoncés dans la première partie de l’ouvrage, et notamment sur le “tout-voiture” évoqué dans le titre. En quoi la voiture, et plus largement la mobilité, ont-elles transformé nos sociétés ? 

La question qui sous-tend l’ouvrage est la suivante : pourquoi se déplace-t-on ? Pour répondre à des besoins fondamentaux et annexes. Ces besoins n’ont pas beaucoup varié au cours des siècles : ils tiennent à la nécessité de se nourrir, de se soigner, de se vêtir, d’aller au travail, de rencontrer des gens, d’avoir des loisirs… Il y a 150 ans, pour répondre à ces besoins, on se déplaçait essentiellement à pied, donc on parcourait en moyenne 4km par jour. Le développement du train a permis d'aller plus loin, mais rarement. Ainsi, les écrivains du 19e siècle décrivent comme une véritable expédition les premiers trajets en train des bourgeois pour aller à ce qui est aujourd'hui la banlieue ! A l'époque, c'était vécu comme une expédition, un dépaysement.

Les voitures permettent d’aller encore plus loin. Leur démultiplication et la favorisation des déplacements rapides a transformé l’urbanisme. Le cercle des 4km s’est élargi à 40km en moyenne. Si bien qu’on a créé un monde où l’on a besoin d’un mode de déplacement motorisé pour répondre à ses besoins essentiels. 

"Plus on s’éloigne des centres métropolitains, plus la voiture est désirable et nécessaire."

Plus on s’éloigne des centres métropolitains, plus la voiture est désirable et nécessaire. Quand on habite un désert médical, avoir accès à la santé consiste à se déplacer en voiture, et les transports pris en charge par la Sécurité sociale pour répondre à l’éloignement des centres de santé représentent plusieurs milliards d’euros de dépenses par an. Je questionne ces usages et la société qui en découle : une société où il n’y a plus d’enfants qui circulent dans les rues ni de personnes âgées, où il n’y a pas de bancs, où les trottoirs ne sont pas très larges, où les centres-villes sont désertifiés parce que les commerces sont éloignés en périphérie. La question que nous devons désormais nous poser est donc : comment recréer des proximités ? Comment revenir à un rayon de 10km maximum à parcourir pour satisfaire ses besoins essentiels ?

Vous décrivez le « tout voiture » comme un modèle à bout de souffle. En quoi l’est-il ? 

Le “tout-voiture” est un modèle à bout de souffle économiquement, écologiquement, et socialement parlant. Sur le plan économique, le nombre de voitures continue à grandir avec le développement de nouveaux marchés, mais la filière ne vit que de subventions depuis 30 ans. Depuis 1993, tous les 2 ou 3 ans, un système d’aide à l’achat est lancé pour favoriser le renouvellement du parc automobile. Par ailleurs, des milliards d’euros d’argent public ont été injectés pour soutenir ce secteur en crise. 

"La question que nous devons désormais nous poser est : comment recréer des proximités ? Comment revenir à un rayon de 10km maximum à parcourir pour satisfaire ses besoins essentiels ?"

Sur le plan sanitaire, le “tout voiture” est un système qui coupe littéralement le souffle des humains. D’abord, il favorise l’obésité. Notamment à défaut de marcher suffisamment, 30% de la population française est en surpoids et ce chiffre progresse, notamment chez les enfants qui ne jouent plus dehors. Sans parler des maladies respiratoires causées par la pollution atmosphérique. Non contente d’être un problème de santé publique, la voiture est un danger pour les Humains et les animaux. 

En 30 ans, le poids des véhicules a augmenté de 30%, et le nouveau design des SUV rend les collisions encore plus dangereuses. Or, les incivilités et délits routiers restent sous-évalués : beaucoup de citoyens et de policiers considèrent à tort qu’ils sont trop sévèrement punis. En somme, le “tout-voiture” ne persiste que parce qu’il est associé, à grands renforts de publicités, à un désir de liberté. Toute la question est de savoir si cette soi-disant liberté vaut les désagréments que je viens d’évoquer… 

En plus, une voiture coûte cher, de l’ordre de 5000 euros par an…

Ce chiffre est trompeur, car c’est une moyenne. Les gens qui ont peu de moyens ont une voiture qui leur coûte plutôt autour de 1000 euros par an. Non seulement beaucoup dépensent moins pour leurs trajets, mais ils évaluent mal le coût réel d’usage : ils ne comptent pas la dépréciation du véhicule, l’assurance, les réparations, le stationnement, etc. Si on leur demande d’analyser leurs relevés de comptes en banque et de surligner toutes les dépenses liées à la voiture, les gens tombent des nues sur le coût réel de leur voiture !

On entend souvent dire que les politiques visant à rompre avec le tout-voiture, comme les péages urbains ou les taxes carbone, pénalisent les plus pauvres. Qu’en est-il ?

L’argument selon lequel les mesures contre le “tout-voiture” pénalisent les plus pauvres permet surtout aux populations aisées et aux classes moyennes de maintenir le statu quo. Les pauvres habitent autant les villes que les riches, mais ils subissent davantage la pollution et le bruit car ils habitent plutôt près des grandes infrastructures de transport, périphériques ou échangeurs. Et ils ont beaucoup moins de voitures. Et, c'est montré statistiquement, ceux qui se déplacent en voiture dans les zones denses sont les classes les plus aisées et les classes moyennes. En France, les 10% les plus pauvres roulent deux fois moins que les 10% plus riches, et peu dans les zones denses. Ils sont donc très marginalement affectés par les Zones à faibles émissions (ZFE).

"L’argument selon lequel les mesures contre le “tout-voiture” pénalisent les plus pauvres permet surtout aux populations aisées et aux classes moyennes de maintenir le statu quo."

Sans compter qu'on peut faire autrement que d'entrer en voiture dans les ZFE : en région parisienne par exemple, il y a plus de 300 parkings relais, mais les gens n’ont pas envie de sortir de leur voiture pour prendre le train. Or, quand 15 ou 20% des enfants ont des maladies respiratoires, il faut faire quelque chose ! Et c'est l'objet des ZFE. C’est une simple mesure de respect vis à vis des personnes les plus vulnérables. 

La deuxième partie de l’ouvrage donne des pistes pour réduire notre dépendance à la voiture. Quelles sont les principales d’entre elles ? 

Comme je l’ai dit, le premier levier consiste à recréer des proximités pour pouvoir répondre à certains besoins en y accédant à pied ou à vélo. Pour cela, il est indispensable de rendre marchables le plus possible les espaces habités, villes comme villages. Or, beaucoup d’élus locaux ne sont pas prêts, car ces mesures sont impopulaires dans un premier temps, avant d’être généralement plébiscitées. Ils peuvent donc commencer par piétonniser ou gérer les stationnements de manière temporaire, avant d’étendre ces mesures à toute l’année. À Stockholm, la création d’un péage urbain a donné lieu à un double référendum, avant et après une période de test. Avant sa mise en œuvre, 70% de la population était contre. Après six mois de mise en œuvre, le résultat s'est inversé : 70% étaient pour le péage urbain. Je crois beaucoup à ce genre de mesures. Il faut annoncer, accompagner, aider ceux qui ont du mal, puis à un moment donné, il faut changer. 

De la même manière, les élus doivent sortir des clichés selon lesquels il suffit d’augmenter le nombre de bus pour limiter la place des voitures. Il s’agit plutôt de créer des imaginaires désirables, en aménageant par exemple des rues de jeu ou des places végétalisées pour montrer qu’une ville sans voitures est agréable. 

"Pour rompre avec le tout-voiture, il faut travailler sur l’imaginaire collectif qui valorise la mobilité et sortir d’une doxa selon laquelle on n’est rien si on ne possède pas d’automobile."

Plutôt que de contraindre les gens à se déplacer, on peut aussi amener les services à eux. Les bus de santé mis en œuvre dans certains départements en sont un exemple : ils ont été aménagés pour permettre aux patients de réaliser des examens de base. De fait, on estime que 80% des examens pourraient se faire hors de l'hôpital. Idem pour les services publics : quand on ne sait pas faire des démarches administratives en ligne, rien n’empêche qu’un bus vienne à vous pour vous assister. Cette offre peut même s’étendre aux loisirs. Il existe par exemple un cinéma itinérant logé dans un container, qui se déplace dans les villages. Même si les spectateurs viennent des villages alentours en voiture, ils parcourront 3 km au lieu d’en faire 30.

Enfin, pour rompre avec le tout-voiture, il faut travailler sur l’imaginaire collectif qui valorise la mobilité et sortir d’une doxa selon laquelle on n’est rien si on ne possède pas d’automobile. Par exemple, nombre d’offres d’emploi exigent le permis B, même lorsqu’il n’est pas indispensable à la réalisation des tâches demandées. On pourrait amener les recruteurs à se questionner sur la mention “permis B obligatoire”.

Pour autant, l’arrêt des mobilités motorisées est-il souhaitable ? Le confinement nous en a offert un exemple et montré que l’immobilité n’était pas forcément un horizon désirable…

L’imaginaire de la mobilité a d’abord été une lubie de riches avant de s’imposer à tous, via la publicité notamment. Les réseaux sociaux, et tout particulièrement Instagram où l’on poste ses photos de voyages, n’ont pas diminué la pression. Or, les études menées sur les mobilités, par le Forum Vies mobiles notamment, montrent que le désir de ralentir est très partagé. De fait, l’injonction à la mobilité est fatigante, y compris d’ailleurs dans le cadre des loisirs. Elle constitue un facteur de frustration pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer et d’épuisement pour ceux qui le peuvent. 

Quels sont les échelons territoriaux pertinents pour mener à bien des politiques rompant avec le tout-voiture ? 

Tous les échelons sont bons ! Au niveau des communes et des intercommunalités, les zones à trafic limité (ZTL), qui déterminent un certain nombre de trajets quotidiens à ne pas dépasser, peuvent être mises en place et s’avèrent bénéfiques aux commerces et au tourisme. Mais selon moi, c’est surtout l’Etat qui doit fixer les règles et les faire appliquer. Or, les mesures édictées en matière de mobilité, notamment par la loi d’orientation sur les mobilités (LOM, 2019) ne sont pas contraignantes, et reposent donc sur des démarches volontaires. Mais sans réelle contrainte, rien ne bouge.

"L’injonction à la mobilité est fatigante, y compris d’ailleurs dans le cadre des loisirs. Elle constitue un facteur de frustration pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer et d’épuisement pour ceux qui le peuvent."

On entend souvent dire que la lutte contre le tout-voiture n’est vraiment possible que dans les zones denses, où il existe des transports en commun. Qu’en est-il ? 

C’est faux ! J’en veux pour preuve le fait que les plus beaux villages de France sont tous piétons, et pour cause ! Aménager un parking à l’entrée d’un village ou d’un bourg et demander aux visiteurs de parcourir au maximum 300m à pied ne pénalise quasi personne. Pour peu qu’il y ait des bancs sur le parcours, tout le monde ou presque est en mesure de franchir une telle distance. Ce type de mesure est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre dans une ville comme Paris, où les distances à parcourir sont plus longues… 

La fiscalité peut-elle également être un levier pour limiter la part de la voiture dans nos déplacements ? 

Deux choses me viennent en tête. Le premier facteur est qu’en frais réels, on déduit la voiture de ses impôts, et il est facile de faire passer le perso en pro. Il y a aussi le fait que l’achat de véhicules d'entreprises est largement encouragé. Et puis, la comptabilité publique ne tient que très peu compte des externalités négatives, car elle aborde encore la question en silos. Une étude du Trésor public montre par exemple que la voiture est le mode de transport qui coûte le plus cher à la collectivité, toutes dépenses confondues. Mais comme ce ne sont pas toujours les mêmes entités qui payent selon qu’on parle d’aménagement viaire ou d'accidents de la route, on a du mal à évaluer son coût réel. Une autre étude menée à l’échelle européenne montre à l’inverse que les seuls modes de déplacement rentables pour la collectivité sont la marche et le vélo : ils n’ont pas d’externalités négatives telles que la perte de santé ou la pollution, et les infrastructures sont moins coûteuses à développer et à maintenir. C’est donc un gros travers des politiques publiques que de ne pas réfléchir globalement…

Enfin, vous parlez à la fin de l’ouvrage d’en venir à la contrainte. On touche ici à un épouvantail largement brandi, celui de l’écologie dite “punitive”, qui serait supposée vouloir tout interdire. Comment faire dans ce contexte ? 

On ne cesse d’entendre que les écologistes nous obligent à telle ou telle chose. Sauf qu’ils ne sont pas au pouvoir ! Ce qu’on constate généralement, c’est que les gens qui sont concernés par les mesures de restriction de la place de la voiture en ville les plébiscitent. Ils commencent par râler, puis réorganisent leurs habitudes en fonction des nouveaux aménagements.

"Ce qu’on constate généralement, c’est que les gens qui sont concernés par les mesures de restriction de la place de la voiture en ville les plébiscitent."

Prenons l’exemple de Rochefort-en-terre : le village est fermé à la circulation six mois par an, sauf pour les livraisons le matin. Au début, les habitants étaient contre, puis ils ont constaté que la mesure avait un effet positif sur la fréquentation touristique. Les ZFE et les péages urbains ont eu le même devenir : dans les 300 zones urbaines où ils ont été mis en place dans le monde, ils ont été plébiscités au bout de six mois !

Qui est Ludovic Bu ? 

Ludovic Bu est sociologue et diplômé de l’ESCP Business School. Il a contribué à lancer et développer trois sociétés de services de mobilités durables et inclusives, dont Wimoov et Citizencar. Il est également président de Moins Vite !, une association de sensibilisation aux enjeux de la vitesse. Il réside dans une sous-préfecture en Poitou, qui compte 30.000 habitants. Il ne possède pas de voiture, bien qu'ayant des enfants et des activités professionnelles.

Pour en savoir plus

Ludovic Bu, Tout-voiture : on arrête tout et on réfléchit, éditions rue de l’échiquier, 2024, 152 pages, 13,90 €

2025-02-04
Mobilité
Quels mobilités dans les territoires peu denses ? Entretien avec Pauline Métivier sur la démarche France Mobilité

En janvier 2018, le Ministère des transports et celui du développement durable et solidaire lançaient la démarche « French mobility ». Rebaptisée depuis « France mobilité », celle-ci cherche à soutenir les transitions mobilitaires dans les territoires peu denses et mal équipés en transports publics, comme nous l’explique dans un entretien Pauline Métivier, qui travaille au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer.

Pouvez-vous tout d’abord expliquer la genèse de France mobilité et le contexte de sa création ?

On a lancé cette démarche en janvier 2018, dans le sillage des Assises nationales de la mobilité. Ces assises ont été un grand moment de concertation citoyenne dans les territoires et ont rassemblé tous les acteurs de la mobilité, qui ne se parlaient pas forcément jusqu’alors : collectivités territoriales, administrations de l’Etat, grands opérateurs de mobilité, start-ups, fédérations professionnelles, associations, etc. De nombreuses solutions ont alors émergé, qui ont en partie nourri le projet de loi d’orientation des mobilités. Mais nous avons aussi constaté que certaines des propositions énoncées ne relevaient pas de la loi, et que si celle-ci était nécessaire sur de nombreux points, elle ne ferait pas émerger à elle seule des solutions pour répondre à tous les problèmes concrets. Nous avons eu besoin de mettre en connexion les gens, de fédérer l’ensemble des acteurs qui œuvrent pour la mobilité dans les territoires, et notamment les territoires peu denses. Des solutions peuvent y émerger, comme l’autopartage ou le co-voiturage, mais les freins à leur développement ne sont pas règlementaires et tiennent à l’absence de dialogue et de compréhension entre les différents acteurs.

Concrètement, que faites vous ?

France Mobilité met en œuvre différentes actions organisées selon six grandes thématiques. La première action, très concrète, a consisté à mettre en place un poste de facilitateur. Soit une personne identifiée comme ressource au sein du ministère, et que les porteurs de projets peuvent solliciter quand ils rencontrent une difficulté, notamment réglementaire. C’est ce facilitateur qui a lancé l’appel à projet dérogations, clôturé en décembre 2018, et dont l’idée était de faire remonter des projets pour lesquels il y avait des freins réglementaires à l’expérimentation, et de leur accorder des dérogations.Deuxième action : mettre en place une plateforme de mise en relation entre les personnes qui ont des besoins et celles qui ont des solutions. Cette plateforme, qui sera mise en ligne le 12 mars, va recenser sur une carte l’ensemble des projets, des solutions et des expérimentations sur les territoires, pour qu’ils puissent être répliqués ailleurs. On a déjà recueilli plus d’une centaine de projets.La troisième action porte sur la commande publique. L’idée est d’accompagner les collectivités dans le financement et l’organisation de services de mobilité sur leur territoire, et notamment auprès de start-up qui ont du mal à s’adapter aux contraintes des règles de la commande publique. Sur notre impulsion, il a été créé une dérogation pour les appels d’offre publics de moins de 100 000 euros dans les cas précis d’expérimentations et de services innovants. Sont particulièrement visées les communautés de communes en zone rurale qui veulent mettre en place un service de co-voiturage et le contractualisent avec une start-up. On est convaincus que ces nouveaux services portés par les start-up ne seront pas autonomes économiques sans financements publics.La quatrième action vise à créer une culture de l’innovation et des mobilités. On va lancer dans ce cadre un « tour France mobilité » à partir d’avril pour que les acteurs du secteur puissent se rencontrer.L’action numéro cinq porte sur l’ingénierie territoriale car les collectivités n’ont pas forcément les ressources en interne ni les compétences pour mener à bien des expérimentations. On a notamment lancé un appel à manifestation d’intérêt dans les territoires peu denses dès 2018, avec des dossiers très simples, en contrepartie d’un financement d’études. On veut aussi monter des cellules d’ingénierie territoriale. Nous projetons aussi d’organiser un autre appel à manifestation cette année. On a eu beaucoup de réponses lors du dernier appel à projets, ce qui montre qu’il y a de vrais besoins.Enfin, l’action 6 concerne les financements. Nombre de financements existent, mais ce sont généralement les mêmes types d’acteurs qui arrivent à les avoir car ils connaissent les mécanismes. Il n’est pas forcément nécessaire de créer d’autres fonds, mais de mieux orienter les financements.

"On porte cette attention particulière aux territoires peu denses car nous sommes convaincus que les nouvelles solutions de mobilité ont une vraie pertinente pour répondre aux besoins de ceux qui y vivent. Or, aujourd’hui la voiture individuelle est la solution, ce qui n’est bon ni pour la planète, ni pour le porte-monnaie. Sans parler des gens qui n’ont pas la possibilité de s’y déplacer, car ils n’ont pas le permis, ni de voiture." Pauline Métivier

France Mobilité semble cibler au premier chef les territoires ruraux et périphériques…

C’est clairement notre focus en effet. Si des métropoles en expriment le besoin, elles pourront bien sûr utiliser les outils que nous mettons en place. On porte cette attention particulière aux territoires peu denses car nous sommes convaincus que les nouvelles solutions de mobilité ont une vraie pertinente pour répondre aux besoins de ceux qui y vivent. Or, aujourd’hui la voiture individuelle est la solution, ce qui n’est bon ni pour la planète, ni pour le porte-monnaie. Sans parler des gens qui n’ont pas la possibilité de s’y déplacer, car ils n’ont pas le permis, ni de voiture.

Pourquoi les nouvelles mobilités sont-elles pertinentes dans ces territoires ?

Les services réguliers de transport – bus, trains, etc. – ont leur zone de pertinence, mais il y a des territoires où ils sont à l’inverse très peu pertinents faute de besoins, d’où des bus vides ou des horaires inadaptés. Des solutions plus flexibles, pour partager les voitures ou faire du transport à la demande, décuplent les possibilités. Mais ce sont pour le coup des réponses très locales.

Dans les revendications des gilets jaunes et celles des étudiants manifestant pour le climat, on voit émerger une demande forte en matière de transport ferroviaire, qui va d’ailleurs à l’encontre du rapport Spinetta. Le train est-il aujourd'hui adapté aux besoins mobilitaires des territoires les moins denses ?

Le devenir des petites lignes est un sujet sensible. Tout d’abord il faut préciser que le gouvernement n’a pas prévu d’appliquer à la lettre le rapport Spinetta. Nous continuons de penser que le train a son domaine de pertinente, même pour les petites lignes, et que tout est affaire de contexte. On voit d’ailleurs ici que le modèle de l’Etat grand organisateur, qui planifie et prévoie, ne fonctionne pas sur ces sujets particuliers. On n’a pas les ressources pour rénover toutes les petites lignes, et nous lançons donc une démarche en liaison avec les régions, pour réfléchir à ce qu’on en fait, et le cas échéant trouver des financements et des solutions pour les optimiser. Il n’y a pas de grands principes sur ce point, si ce n’est que la France est un grand pays du rail et qu’on ne peut pas évacuer la question simplement.

Stéphane Thidet, Le silence d'une dune, Biennale de Lyon, 2019. Crédit photo : Stéphanie Lemoine

Parmi les « nouvelles mobilités », en existe-t-il qui seraient typiquement extra-métropolitaines ?

Typiquement, le transport à la demande ! Il est très pertinent dans les zones peu denses, beaucoup moins dans les métropoles. Il est vrai que beaucoup de solutions se développent dans les métropoles car c’est là que se trouvent les modèles économiques des start-up.

Justement, comment faire venir les start-up dans des territoires où elles sont aujourd’hui absentes ?

Selon nous, la solution consiste à mettre les autorités organisatrices au cœur du système. Concrètement les communautés de communes sont le bon échelon pour savoir ce qui est pertinent et répondre aux besoins au cas par cas, sur un maillage très serré. Elles pourraient financer à ce titre une partie du service. Les start up ont évolué dans ce sens depuis le début des assises de la mobilité. Elles avaient tendance au début à ne pas aller voir les collectivités territoriales, elles n’en avaient pas le réflexe. Or elles commencent à comprendre, notamment les start-up de co-voiturage, qu’elles vont avoir besoin des collectivités pour se développer. Il faut donc à la fois accompagner les collectivités et les opérateurs de mobilités.

"Il y a un intérêt des start-up pour les territoires peu denses, mais ce sont des entreprises que leur modèle économique porte à voir à court terme : en tant qu’entreprises débutantes, elles ne savent pas si elles existeront dans trois mois, et ajustent leur trésorerie à cette incertitude." Pauline Métivier

Les start-up manifestent-elles un intérêt pour ces territoires ?

Il y a un intérêt des start-up pour les territoires peu denses, mais ce sont des entreprises que leur modèle économique porte à voir à court terme : en tant qu’entreprises débutantes, elles ne savent pas si elles existeront dans trois mois, et ajustent leur trésorerie à cette incertitude. Les marchés qu’elles cherchent en premier sont donc ceux qu’elles peuvent développer rapidement, en l’occurrence dans les métropoles.

La voiture autonome pourrait-elle constituer une innovation particulièrement intéressante pour les zones peu denses ?

On pense que la voiture autonome est une opportunité, d’autant plus que ses premiers usages seront sans doute des usages partagés. Elle aura onc toute sa pertinence dans les territoires moins denses, car elles proposent un modèle économique intéressant, moins cher. Il y a déjà des expérimentations en cours en France, menées par Navya ou Michelin.

Vous avez mentionné les freins réglementaires et administratifs au développement des nouvelles mobilités hors territoires denses. Quid des freins culturels ?

Pour lever les freins culturels, on a souhaité créer une action spécifique pour développer une culture commune, afin que chacun arrive à comprendre les contraintes de l’autre. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons créer une formation spécifique avec l’IHEDAT. On lance en septembre une première promotion France Mobilité avec des gens venus d’horizons différents. Cette formation pourrait contribuer à créer cette culture commune.

Peut-on aborder la question des mobilités dans les territoires les moins denses sans la corréler à celles de l'emploi, du logement, des activités culturelles, de l'éducation, mais aussi de la couverture numérique ?

C’est une question essentielle car on ne peut pas s’intéresser à un service sans savoir d’où vient la demande. L’urbanisme, les services publics, etc. ont des impacts sur la mobilité et doivent y être corrélés. Là encore, les collectivités ont un vrai rôle à jouer pour coordonner les actions sur ces différents champs, grâce à la vision transversale qu’elles ont de leur territoire.

Est-ce l’indice d’une nouvelle manière d’aborder l’aménagement du territoire, plus décentralisée ?

La question de la mobilité est déjà très décentralisée en France. La gouvernance des mobilités telle qu’elle est abordée dans la nouvelle loi d’orientation des mobilités cherche à simplifier la prise de compétence des communautés de communes, et à les inciter à prendre la compétence. Aujourd’hui, 80% du territoire ne sont pas couverts par une autorité organisatrice de la mobilité, car les communautés de communes n’ont pas pris la compétence. Notre compréhension du sujet est qu’elles ne l’ont pas fait parce qu’il n’y avait pas de pertinence à développer des services réguliers. La question est de savoir comment l’Etat peut simplifier les choses. Chaque échelon territorial a sa pertinence. Le pari que fait la loi d’orientation des mobilités, c’est qu’en simplifiant la prise de compétence, on incite les communautés de communes à développer des mobilités. On leur fixe une date limite à partir de laquelle on considère qu’elles n’ont pas les moyens de le faire et la compétence est alors transférée à la région, qui est déjà chef de file dans la coordination des mobilités sur le territoire.

Faisons pour finir un peu de prospective. Quels effets le développement de "nouvelles" mobilités dans les territoires peu denses pourrait-il avoir sur ces territoires ? Pourrait-il contribuer notamment à y ramener emplois, commerces, écoles, habitants, dans un contexte où une majorité de Français aspire à vivre à la campagne ?

La mobilité est liée à tous les autres sujets. Il y a des besoins qui émergent en fonction des politiques d’urbanisme, en matière de services publics, etc.. A l’inverse, le développement d’une offre efficace de mobilité aura forcément un effet sur le comportement, le lieu d’habitation, etc. On ne fait pas de la mobilité pour faire de la mobilité, on est très conscients des enjeux qui lui sont liés, qu’ils soient écologiques, sociaux, etc.

2019-02-22
Mobilité
Tribune : Pour un permis mobilité associé au permis de construire

Maître d'ouvrage depuis 1993, Vidal Benchimol est l'inventeur du concept Ecofaubourgs, qui intègre à l'habitat collectif des solutions de mobilité (autopartage, vélos électriques en libre service, etc.). Dans midionze, il plaide pour une meilleure prise en compte du coût de la mobilité dans la construction, via la création d'un "permis mobilité".

La crise des gilets jaunes a mis en lumière l’impact des choix résidentiels des Français sur leur mobilité. Pour devenir propriétaires de leur logement, nombre de ménages, surtout les plus modestes, sont contraints à l’éloignement des bassins d’emploi, et particulièrement des métropoles où se concentrent les activités.Ce choix est en partie lié à un idéal : celui de posséder une maison individuelle avec jardin (ce type de logement est plébiscité par 3/4 des Français). Mais il tient aussi à une volonté de troquer le versement d’un loyer contre la constitution d’un capital mobilisable en cas de revente, et transmissible à ses descendants. L’accession fait en somme figure d’assurance à terme contre les aléas de la vie. D’autant plus que les mutations de l’emploi et la récurrence des crises économiques rend l’avenir incertain pour les classes moyennes.

L'éloignement, contrepartie de l'accession pour les ménages modestes

Pourtant, les ménages qui font le choix de l’accession au risque de l’éloignement se heurtent bientôt à un écueil de taille : les dépenses liées à la mobilité. La corrélation entre situation du logement et contraintes mobilitaires est évidente. Ainsi, le taux d’équipement en véhicules à moteurs augmente dès qu’on s’éloigne des centres urbains. Selon les sources du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) citées par l’INSEE, presque tous les ménages habitant les zones rurales ou les zones périurbaines possèdent un véhicule. D’après le CCFA, en région parisienne, 60 % des ménages sont motorisés alors que dans les autres agglomérations françaises, les taux de motorisation sont proches de 80 %.De plus, être propriétaire d’une maison isolée implique souvent d’avoir deux véhicules. De quoi renchérir considérablement les charges de mobilité, surtout dans un contexte où l’emploi tend à s’éloigner toujours plus. On comprend mieux dès lors qu’une hausse du prix du carburant puisse fragiliser certains ménages. Non seulement ces derniers pâtissent de l’éloignement des centres urbains, mais ils n’ont aucun moyen de se soustraire à la nécessité de posséder une voiture, sinon deux.Au moment de l’acquisition d’un logement, on anticipe rarement les charges liées au transport. D’autant moins qu'elles varient en fonction de paramètres difficiles à prévoir : fluctuations des cours du brut, évolutions règlementaires et technologiques, taxation, changement de situation professionnelle, etc. Sans compter que les agents et promoteurs immobiliers n’ont aucun intérêt à alerter les futurs acquéreurs sur ce point.

Vers un diagnostic de mobilité

Cette évaluation est pourtant déterminante. A ce titre, elle devrait être proposée à tous les candidats à l’accession pendant l’étape de commercialisation. De même que le diagnostic de performance énergétique, obligatoire depuis 2006, offre d’évaluer les futures dépenses de chauffage et d’électricité, de même un « diagnostic de mobilité » personnalisé pourrait permettre d’anticiper au moins en partie les dépenses contraintes de mobilité.Compte tenu des nombreux critères à prendre en considération et de leur évolution possible, celui-ci pourrait être calculé en fonction de la situation familiale et professionnelle des futurs acquéreurs, mais aussi de la situation plus globale du territoire où se situe le bien à acquérir (taux de chômage, bassins d’emplois, etc.). Il pourrait être exprimé en pourcentage de remboursement ou de loyer.

Objectif : financer la transition mobilitaire

Une telle mesure associe nécessairement les élus locaux. La mise en œuvre d’un diagnostic de mobilité pourrait ainsi s’adosser à une évolution des PLU pour une meilleure inclusion des transports. L’obtention d’un permis de construire pourrait ainsi s’accompagner d’un « permis de mobilité ». Celui-ci serait éventuellement associé à un certain nombre d’obligations pour le maître d’ouvrage. Et notamment celle de fournir avec le logement des solutions de mobilité durables et économes : autopartage, covoiturage, achat d’un vélo à assistance électrique, etc.Les contrevenants à ces obligations réglementaires se verraient alors appliquer une taxe, dont le produit serait affecté à la transition mobilitaire. L'argent collecté viendrait ainsi financer le développement de transports collectifs à la demande, l'aménagement de pistes cyclables et diverses innovations. D’une telle mesure, on peut escompter un double bénéfice. Ce serait d’abord une manière de limiter le mitage pavillonnaire et d’encourager les acteurs de l’aménagement et de la construction à opter pour la densité et la proximité. Surtout, la création d'un "permis de mobilité"offrirait de libérer l’initiative (publique, mais aussi privée). Elle inciterait sans nul doute à la mise en œuvre d’expérimentations fécondes dans des espaces périphériques, dont le potentiel en matière de transition énergétique reste à ce jour sous-estimé…

2019-02-04
Architecture & Urbanisme
Ecologie
Mobilité
La ville est-elle vraiment moins écolo que la campagne ?

L’image d’une ville polluée, congestionnée et d’une campagne saine et en harmonie avec la nature est-elle une réalité ou un cliché trompeur ? En termes de mobilité, d’habitat, de biodiversité et d’alimentation, les habitants des villes ont-ils un mode de vie et des habitudes moins écologiques que les habitants des campagnes? Le match en 5 manches.

 

« On devrait construire les villes à la campagne car l’air y est plus pur. » La formule, attribuée à Alphonse Allais, dresse une ligne de partage claire : à la ville, la pollution et le bruit, à la campagne l’image positive d’une vie simple et saine. Sauf que : à l’heure où près de la moitié de la population mondiale vit en milieu urbain (à l’horizon 2050, ce nombre atteindra près de 75%), la ville-centre secoue cette étiquette de pollueuse source de tous les vices anti-écolos et s’affiche de plus en plus comme un terrain d’expérimentations et d’innovations en matière de développement durable. Elle a ainsi vu apparaitre sur son sol de nombreuses initiatives plus ou moins balbutiantes: le mouvement des villes en transition, les Cittaslow (villes lentes), les écoquartiers… A telle enseigne qu’aujourd’hui, l'empreinte carbone d'un habitant de New York est trois fois inférieure à celle d'un Américain moyen d'après une étude de l'Institut International pour l'Environnement et le développement. Petite comparaison sur 5 postes clés entre la ville et la campagne…

Mobilité : 1-0 pour la ville

D'après une étude de l'Insee (INSEE Première n°1357, juin 2011) : « Les habitants des pôles urbains émettent deux fois moins de CO2, grâce à un usage plus fréquent des transports en commun et de la marche à pied. Mais les emplois des grandes villes sont également occupés par des périurbains ou des habitants d’autres villes qui parcourent de plus grandes distances, le plus souvent en voiture. Leurs émissions moyennes sont nettement plus élevées. » A ce titre, il est important de prêter attention aux nuances de définitions entre la ville, la campagne et le périurbain…En effet, le périurbain est considéré comme l'ensemble des communes d'une aire urbaine à l'exclusion de son pôle urbain (définition de l’Insee). Cette notion permet d’établir une distinction entre ville-centre et espace périurbain : plus la ville tend vers la campagne et plus elle devient gourmande en transports...

Les habitants des pôles urbains émettent deux fois moins de CO2, grâce à un usage plus fréquent des transports en commun et de la marche à pied.

De cette façon, les temps de transport et la mobilité diffèrent en fonction du lieu d’habitation. Selon une autre enquête de l’Insee (Insee Première N° 1129 mars 2007), « les déplacements domicile-travail sont amplifiés par la périurbanisation : Les salariés domiciliés dans l'espace périurbain quittent généralement leur commune pour aller travailler : cette proportion dépasse 90 % dans les couronnes périurbaines des aires urbaines de moins de 50 000 habitants et dans les couronnes des pôles d'emploi de l'espace à dominante rurale. […]Toutefois, en raison d'une vitesse de circulation plus réduite dans les zones urbaines que dans le périurbain ou l'espace rural, les écarts de temps de trajet, sont plus faibles que ne le sont les écarts de distance. Ainsi, en heure pleine, la durée des trajets pour les salariés domiciliés dans l'espace rural est en moyenne inférieure à celle des résidants des pôles urbains (28 minutes contre 32 minutes). » Malgré l’étalement urbain, la ville est un secteur dense et compact, où les logements et activités sont concentrés et mieux desservis par des transports en commun et où vélos et véhicules en auto-partage contribuent à reléguer la voiture individuelle au second plan. A l’inverse, le schéma classique à la campagne est un habitat individuel diffus dans lequel l’habitant ne peut se déplacer sans sa voiture individuelle et doit parcourir des distances importantes pour aller travailler ou accéder à ses activités et services.

Habitat : 1 point de plus pour… la ville

La gabegie énergétique liée au mode de vie pavillonnaire ne tient pas seulement à la question du transport, mais aussi au type d’habitat lui-même. Professeur américain d'économie urbaine à Harvard, Edward Glaeser a publié un essai intitulé Des villes et des hommes dans lequel il dévoile les multiples qualités et avantages qu’offre la ville. Parmi celles-ci, il souligne le fait « quel les villes ne sont pas néfastes pour l’environnement, bien au contraire ». Dans son chapitre « Quoi de plus écolo que le bitume », il justifie son point de vue en mettant en exergue le facteur de la densité: « Les villes densément peuplées proposent un mode de vie où l’on utilise moins la voiture et où les maisons sont plus petites donc plus faciles à chauffer et à rafraichir ».

"Les villes densément peuplées proposent un mode de vie où l’on utilise moins la voiture et où les maisons sont plus petites donc plus faciles à chauffer et à rafraichir." Edward Glaeser, professeur d'économie urbaine

De plus, la densité permet de limiter l’étalement urbain et ainsi contenir l'imperméabilisation des sols et la place du bitume… Aussi, la ville très dense permet de fortes économies énergétiques : transports en commun, possibilité de chauffage collectif, commerces à proximité. C’est une des raisons pour lesquels le modèle des écoquartiers séduit de plus en plus : il rassemble habitations, entreprises et commerces à proximité tout en repensant la mobilité.

Biodiversité : avantage à la ville

En ville, la nature est présente partout, et à différentes échelles : dans l’habitat sur le balcon, la terrasse, le toit et le mur végétalisé, dans le quartier avec ses squares et jardins, dans la ville avec ses coulées vertes, dans les zones périurbaines soumises au « mitage » des espaces naturels, dans la région avec ses corridors biologiques qui assurent la continuité écologiques (Rapport du Conseil économique et social, La Nature dans la ville, 2007). La ville devient même un refuge pour les abeilles qui fuient les pesticides présents dans les campagnes agricoles et qui trouvent sur les balcons et terrasses une diversité des plantations non-traitées. Une capitale comme Paris compte près de 300 ruches. En 2009, La ville de Toulouse a lancé un recensement de la biodiversité. Résultat : 1 162 espèces recensées (dont près de 8% sont protégées) et 24 réservoirs de biodiversité identifiés.

A contrario, certaines campagnes sont des « déserts agroalimentaires » comme le définit Bernard Farinelli dans son essai L’avenir est à la campagne (2009. Ed. Sang de la Terre) et composées de champs d’agriculture intensive et industrielle où le volume de pesticides fait fuir abeilles et espèces en tout genre. Pour l’écologue Nathalie Machon, professeur au MNHN (Muséum National d’Histoire Naturelle), « la mosaïque des milieux urbains favorise la variété des espèces. Certaines poussent parfois dans les endroits les plus improbables : dans une fracture de bitume, à la jointure d’un immeuble ou dans des parterres entourant les arbres. Une étude a montré qu’à Halle, en Allemagne, la zone urbaine accueille près de 20 % d’espèces supplémentaires par rapport aux zones agricoles périphériques » (La recherche N°422, Sept 2008).

Alimentation : 1 partout

Même si jardiner quelques tomates et laitues semble plus facile à la campagne, l’engouement pour les jardins partagés qui se multiplient dans les centres villes donne l’occasion aux urbains de reprendre contact avec la terre et de cuisinier leurs productions maraichères… Aussi, le développement important des Amap, Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (1600 en France) proposant des paniers de légumes de saison venant directement des producteurs révèlent que le citadin se préoccupe de la qualité de son alimentation et peut avoir accès à des produits sains. L’agriculture urbaine connaît quelques réalisations intéressantes mais qui demeurent confidentielles : jardins potagers inspirés des community gardens nord-américains, prototypes de fermes verticales high-tech promouvant la culture hors-sol…La ville n’est pour le moment pas en mesure de nourrir les quelques 3 milliards de citadins et va devoir s’affranchir de son statut de consommatrice pour devenir lieu de production.

Même si jardiner quelques tomates et laitues semble plus facile à la campagne, l’engouement pour les jardins partagés qui se multiplient dans les centres villes donne l’occasion aux urbains de reprendre contact avec la terre et de cuisinier leurs productions maraichères…

Et la campagne, est-elle plus propice à l’agriculture locale ? L’ouvrage de Bernard Farinelli évoque le travail d’Emmanuel Bailly, ingénieur en environnement et créateur de "l'Indice de Souveraineté Alimentaire®" (ISA), un indicateur permettant d’évaluer l’état de dépendance alimentaire d’un territoire : « Le Limousin couvre ses besoins en pommes de terre à 23,5%, en poulets à 13,23%, en œufs à 24,5 %». Preuve que l’autosuffisance alimentaire a perdu du terrain sous le coup, selon l’auteur, « du changement des mentalités des consommateurs et […]de l’urbanisation qui change la donne en matière de mœurs ». Toutefois, on ne peut exclure une agriculture de subsistance dans les potagers et vergers, nombreux en milieu rural et la réaffirmation d’une consommation « locavore » à travers le développement également manifeste des paniers et des ventes directs auprès de fermiers et producteurs locaux.

Qualité de l’air : match nul ?

Quid de l’air ? Est-il vraiment plus pur à la campagne ? Quel est l’impact sanitaire des pesticides sur les agriculteurs et les habitants des campagnes ? Des études contradictoires sont publiées sur le sujet et il est difficile de trouver des chiffres précis qui mettent directement en cause les pesticides dans le développement de maladies et de cancers. Pour la Mutuelle sociale agricole (MSA), 42 maladies professionnelles dues aux produits phytosanitaires ont été reconnues depuis 2002 même si ses chiffres sont considérés comme édulcorés par certains médecins et associations. Des chercheurs de l'Inserm ont annoncé que chez les agriculteurs, l'exposition aux pesticides double le risque de survenue de la maladie de Parkinson. Un chiffre qui pose la question du rôle d’une contamination résiduelle de la population générale... Et pour l’amiante ? Interdit depuis 1997, il est présent dans de nombreux bâtiments agricoles sous forme de plaques ou de tôles (toitures, faux-plafonds, dalles…) ou contenu dans les plaques en fibro-ciment. Selon un article paru dans le Télégramme, « les plaques de fibro-ciment [ …]équipent les toits, voire les murs, de 85% des hangars agricoles en Bretagne. »

Quant à la ville, elle concentre des émissions néfastes pour la santé et l’environnement : dioxyde de carbone, particules fines, COV (composés organiques volatiles) qui entrainent le développement de maladies respiratoires. Et les chiffres le prouvent : selon des estimations américaines, un lien de corrélation peut être effectué entre le niveau de pollution atmosphérique et l'évolution de l'espérance de vie. Le gain de vie des habitants pourrait atteindre jusqu'à 10 mois entre une ville polluée et une ville « propre ». Autre étude qui corrobore ces chiffres : selon l’étude européenne «Aphekom », l’espérance de vie diminue avec la pollution automobile, elle est donc plus faible dans les grandes agglomérations que dans les petites villes et à la campagne. L’enquête révèle notamment que vivre près de routes très fréquentées augmente considérablement le taux de mortalité attribuable à la pollution atmosphérique. Dans le même temps, l’Ile de France est la région où la mortalité est la plus basse et la région où les hommes vivent le plus longtemps (77,3 ans), devant le quart sud-ouest de l’hexagone. L’Insee souligne cependant qu’il s’agit d’une exception (liée à la forte proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures), car dans le reste de la France, les habitants du centre-ville décèdent plus jeunes que ceux des banlieues.

"Définissons la ville positive comme une ville dont la performance écologique est telle qu'elle répare l'environnement : production de ressources renouvelables, dépollution, création de biodiversité, production nette d'énergie renouvelable, amélioration de la santé et de la qualité de vie, stockage de carbone." Rodolphe Deborre, directeur associé de BeCitizen

A rebours de bien des idées reçues, la ville s’avère donc globalement plus écolo que la campagne et un terrain fertile pour des initiatives encourageantes. Selon Rodolphe Deborre, directeur associé de BeCitizen, société de conseil stratégique en développement durable qui a définit le concept de « ville positive », l’urbanisme pourrait même réparer l’environnement : « définissons la ville positive comme une ville dont la performance écologique est telle qu'elle répare l'environnement : production de ressources renouvelables, dépollution, création de biodiversité, production nette d'énergie renouvelable, amélioration de la santé et de la qualité de vie, stockage de carbone. » Une ville « régénératrice » d’environnement, l’ambition ultime de la cité ?

 

2012-09-10
Mobilité
Bouger autrement : les PDE (plans de déplacements en entreprise)

Dans le cadre de la "Semaine de la Mobilité et de la Sécurité Routière", Ecofaubourgs vous emmène à travers différentes initiatives pour une mobilité plus respectueuse de l'environnement. Premier volet de cette série avec les plans de déplacements en entreprise. Ou quand l'entreprise guide ses salariés sur le bon chemin.

9 fois sur 10, recruter c'est aussi embaucher la voiture. Résultat : les places de stationnement sont prises d'assaut autour des entreprises. Ces dernières n'hésitent d'ailleurs pas à agrandir leur parking, au lieu de trouver des solutions pour limiter la place de la voiture et ainsi réduire l'espace réservé au stationnement. Une solution alternative qui permettrait en outre de récupérer de l'espace qui pourrait de nouveau être rentabilisé par l'organisme. Le stationnement des voitures des salariés, en plus d'être un espace non productif, coûte cher à l'entreprise, en particulier pour celles qui sont implantées en centre-ville. La location d'une place de stationnement en centre-ville pour les salariés coûte en moyenne autour de 900 €. La création d'une place de parking en surface (25 m²) représente pour l'entreprise entre 1 500 € et 2 500 € d'investissement (hors investissement foncier).

Mais se déplacer en voiture à son travail ne coûte pas uniquement à l'entreprise. Ainsi, pour un salarié, venir au travail en automobile, c'est accorder en moyenne 3 000 € par an pour effectuer un trajet domicile travail deux fois par jour de 20 km.

D'autre part, les déplacements professionnels en voiture sont la première cause d'accidents mortels parmi les accidents du travail et de trajet (57%). Conséquence directe, la voiture implique une majoration égale à 0,36% du salaire brut mensuel, en cas d'accident de trajet. Enfin, les déplacements en voiture entraînent évidemment une dégradation de l'environnement par le rejet de CO2 et d'autres gaz toxiques. Et quand on sait que 28% des déplacements effectués en France sont d'origine professionnelle, se rendre au travail autrement qu'en voiture est devenu une nécessité pour préserver l'environnement, sa santé et les finances de son entreprise.

Un investissement en plus, des rejets de CO2 en moins

C'est dans ce cadre que s'est créé le PDE à la fin des années 1990. Selon l'ADEME, ce Plan de Déplacements Entreprise comprend "un ensemble de mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre grâce une gestion durable des déplacements professionnels conciliant respect de l'environnement, qualité de vie et compétitivité économique." Concrètement ? Tout (marche à pied, vélo, transports en commun, covoiturage, véhicules propres), mais pas la voiture individuelle. Apparu il y a une vingtaine d'années aux Etats-Unis et expérimenté en France à la fin des années 90, le concept de PDE bénéficie aujourd'hui dans l'Hexagone d'une dynamique récente, résultant d'une prise de conscience multiple des citoyens et des élus vis-à-vis du réchauffement climatique. Pourtant, le PDE n'est pas obligatoire. Il doit simplement aider l'entreprise volontaire tant financièrement (par l'ADEME ou la chambre de commerce et d'industrie) que techniquement à mettre en place les solutions les plus efficaces en matière de mobilité pour ses salariés. Attribué dans une entreprise à un responsable environnement, directeur du personnel ou autre responsable des moyens généraux, ce dernier doit faire au mieux pour inventer et proposer des solutions alternatives à la voiture. Pionnière en la matière, l'entreprise ST Microelectronics de Grenoble fait aujourd'hui partie des entreprises qui ont sauté le pas (en 2008, le cap des 500 PDE a été franchi en France). Située en périphérie du centre ville, elle compte 2 100 salariés. Dès 2000, un PDE y a été lancé pour un coût total de 240 000 euros (dont 43 000 financés par l'ADEME). Ce dernier comprenait notamment une navette pour les usagers du train, des abonnements transport à tarif préférentiel, des aménagements piétons sécurisés ainsi que des kits vélos. Résultat : 37,5% des salariés ont abandonné la voiture pour opter pour un mode de transport alternatif, 360 tonnes de CO2 n'ont pas été rejetées dans l'atmosphère, et le PDE mis en place par l'entreprise est aujourd'hui cité en exemple. La réussite du PDE dépend d'ailleurs largement de l'importance accordée par l'entreprise à son fonctionnement (budget approprié et mise en place d'une structure adéquate pour le réaliser). Pas négligeable également, l'amélioration de l'image de la société. Même si sur ce point, "les plans uniquement créés pour se donner une image verte sont les moins efficaces", observe Laurent Lanquar, du département organisation des transports de l'ADEME.

Inciter les salariés à changer

Autre exemple d'application du PDE à Villejuif par l'Institut Gustave Roussy. Ce centre hospitalier situé en périphérie de Paris est mal desservi par les transports en commun. La plupart des salariés et visiteurs s'y rendent donc en voiture (2 200 employés, 1 700 patients et 400 accompagnateurs). Pour régler les problèmes récurrents de stationnement et pouvoir développer ses activités, l'IGR décide, en 2000, de réaliser un Plan de Déplacements Entreprise. Suite au diagnostic, l'IGR met en place un système de covoiturage, une navette reliant l'IGR au métro et RER ainsi qu'un "point info" permanent sur les transports alternatifs à la voiture individuelle. Depuis, seulement 59% des salariés et visiteurs utilisent la voiture contre 71% avant le PDE. 357 tonnes de CO2 évitent d'être ainsi rejetées chaque année. Des résultats qui n'étonnent pas Laurent Lanquar : "les entreprises s'aperçoivent aujourd'hui que les problèmes de déplacements peuvent avoir des conséquences économiques sur leur activité et qu'elles doivent réagir pour rester compétitives". Et d'après les derniers chiffres en matière de mobilité, le PDE devrait avoir de beaux jours devant lui. 53 % des urbains utilisent la voiture tous les jours ou presque, alors que 48% ne prennent jamais les transports en commun. Enfin, un déplacement automobile sur deux est inférieur à 3 km, un sur quatre est inférieur à 1 km et un sur huit est inférieur à...500 m !

2009-09-14